De plus en plus d’enfants naissent du recours à la procréation assistée. L’encadrement de cette pratique est un domaine de compétence partagé entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Par contre, la parentalité, la filiation et la connaissance des origines des enfants conçus par procréation assistée relèvent des lois provinciales, et ces questions m’intéressent dans le contexte québécois.

Une consultation citoyenne sur la réforme du droit de la famille vient d’être lancée par la ministre de la Justice et procureure générale du Québec Sonia LeBel pour éclairer une future réforme. Cette consultation se déroulera en deux temps. Dans une première étape seront abordées la parentalité, la conjugalité et la relation avec le beau-parent ; dans une étape ultérieure, on s’intéressera à la filiation des enfants, notamment lorsqu’ils sont conçus par une mère ou une femme porteuse. La consultation s’appuiera en partie sur les recommandations du Comité consultatif sur le droit de la famille (le Comité).

Le droit de la famille québécois a besoin d’une réforme, c’est indéniable ! Les transformations importantes que connaît la famille contemporaine nous amènent à nous poser plusieurs questions, notamment : Qu’est-ce qu’une famille ? Qu’est-ce qu’un parent ? Quel rôle doit jouer le tiers (donneur de sperme ou donneuse d’ovules) ou la mère porteuse ? Faut-il limiter le nombre de parents à deux, comme c’est le cas actuellement ? Dans le contexte d’une séparation, en particulier si les parents ont eu leur enfant par procréation assistée, quel rôle le droit doit-il attribuer au beau-parent ? Les fondements de la filiation et de la famille sont bouleversés. Il faut les redéfinir.

La réforme de 2002 a permis la filiation homoparentale par adoption et par procréation assistée. Elle a ainsi reconnu la monoparentalité, une femme seule pouvant concevoir un projet parental. Le gouvernement a aussi statué que le don de gamètes par relation sexuelle peut établir la filiation. Mais cette réforme reste à parfaire.

D’abord, en 2002, on a oublié les enfants vivant déjà dans des familles homosexuelles intactes, séparées ou recomposées. Il faut les inclure dans le prochain débat. Cette question touche à la parentalité et à la relation avec le beau-parent, de même qu’à la filiation. Or le fait de scinder la consultation citoyenne en deux étapes ne permet pas, selon moi, d’aller au fond des questions.

De même, en 2002, on a prévu une exception lorsque l’apport de forces génétiques se fait par relation sexuelle. Le donneur de gamètes peut remettre en question, dans l’année qui suit la naissance, le lien de filiation créé entre deux mères ayant formulé le projet parental. Cette exception est-elle toujours pertinente ?

Par ailleurs, la pluriparentalité ― la reconnaissance de plus de deux parents à l’enfant ― doit faire partie du débat. Elle ne va pas de soi au Québec, alors qu’elle est admise ailleurs au Canada, notamment en Ontario et en Colombie-Britannique. Les différents types de vie commune, tel le polyamour, devront également être envisagés. De plus, le débat doit inclure la reconnaissance d’un statut au nouveau conjoint ou à la nouvelle conjointe du parent. On voit ici de nouveau que la question de la conjugalité ne peut être séparée de celle de la parentalité et de la filiation. Elle est délicate et exige un débat ouvert pour que les règles respectent le mieux possible l’intérêt de l’enfant et pas seulement celui des adultes qui l’entourent.

Qu’en est-il des enfants nés d’une mère porteuse ? Dans l’état actuel du droit, la femme qui accouche est celle qui est légalement reconnue comme la mère de l’enfant. Le Comité a recommandé de conserver cette règle pour éviter l’instrumentalisation de la mère porteuse, qui aura ainsi le dernier mot. Mais ce n’est pas l’avis de tous ; pour assurer un débat plus vaste sur la question, il faudra se demander si cette règle doit être maintenue.

De plus, malgré l’article 541 du Code civil qui prévoit la nullité des conventions de gestation avec une mère porteuse, des enfants sont tout de même conçus dans le cadre de tels contrats entre parents d’intention et mère porteuse. La législation fédérale n’interdit pas à une femme d’agir comme mère porteuse, elle exclut seulement la commercialisation de la pratique. Pour établir la filiation de l’enfant ainsi conçu, il faut que les parents d’intention adoptent l’enfant, ce qui soulève des difficultés, malgré la prise de position de la Cour d’appel du Québec, en 2014, en faveur de l’adoption au nom de l’intérêt de l’enfant. Le Comité a notamment recommandé d’abroger l’article 541 du Code civil. Je partage ce point de vue parce que l’article crée de la confusion entre l’ordre public et l’intérêt de l’enfant. De plus, l’ordre public évolue, et il faut se demander si la maternité de substitution y porte toujours atteinte aujourd’hui.

Le Comité a notamment recommandé d’abroger l’article 541 du Code civil. Je partage ce point de vue parce que l’article crée de la confusion entre l’ordre public et l’intérêt de l’enfant.

Inspiré notamment par la législation de la Colombie-Britannique en matière de filiation, que l’Ontario a aussi adoptée par la suite, le Comité recommande un encadrement en deux volets. D’abord, l’inscription de la filiation par le directeur de l’état civil, à la condition que les parents d’intention et la mère porteuse aient bénéficié des conseils d’un notaire et rencontré un professionnel d’un centre jeunesse « aux fins d’obtenir l’éclairage nécessaire sur les conséquences psychosociales du projet parental convenu ». Autrement, les parties peuvent s’adresser au tribunal. Cette procédure nous semble préférable au processus d’adoption, qui a pour objectif de pallier l’abandon d’enfant et non pas celui d’établir la filiation d’un enfant dont la naissance résulte du désir de ses parents d’intention. Par ailleurs, ici aussi, il ne faut pas se limiter à une réflexion à partir du rapport du Comité, mais envisager d’autres avenues. La proposition du Comité n’est pas mauvaise, mais elle n’est certainement pas la seule possibilité, comme en témoignent les diverses législations à travers le monde. Quelles balises protégeront le mieux l’intérêt de l’enfant ?

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Dans le cas où les parents d’intention changeraient d’avis et ne voudraient pas respecter la convention, le Comité recommande de les tenir responsables de l’enfant et à l’égard de la femme porteuse. La nullité des conventions de l’article 541 du Code civil ne permet actuellement pas d’appliquer une telle protection de l’enfant en cas d’inexécution de la convention. Étant nulle, on ne peut l’invoquer devant le tribunal pour la faire exécuter. Je salue cette recommandation, qui va de pair avec l’abrogation de l’article 541. Mais il n’y a pas d’unanimité à ce sujet. Certains voient dans cet article un rempart contre l’exploitation de la femme porteuse. Il faudra en débattre.

Les conditions d’accès à la gestation pour autrui (GPA) méritent également une réflexion plus large que celle proposée par le Comité. Par exemple, est-ce qu’une mère porteuse doit avoir déjà fait l’expérience de la grossesse ? Est-ce qu’elle doit faire partie de l’entourage des parents d’intention ? La réflexion ne se limite pas à la filiation des enfants nés de la GPA. Si la seconde étape de la réforme ne portera que sur ce sujet, on ne pourra aborder toutes les questions entourant la GPA.

En ce qui a trait aux origines biologiques de l’enfant, le Comité recommande d’insérer le droit à la connaissance des origines dans la Charte québécoise des droits et libertés. La reconnaissance explicite d’un droit de connaître ses origines biologiques aurait assuré un réel respect des droits de l’enfant tels que reconnus aux articles 7 et 8 de la Convention relative aux droits de l’enfant. Dans la réforme récente de l’adoption (Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives en matière d’adoption et de communication de renseignements, c. 12), le législateur a cependant maintenu le principe de l’anonymat, tout en facilitant les retrouvailles avec la famille d’origine. Il faudra voir si, malgré cette réforme, le nouveau gouvernement choisira d’aller plus loin. Sinon, il devra au moins élargir les règles actuelles pour y inclure la procréation médicalement assistée. Ne pas le faire entraînerait de la discrimination entre les enfants adoptés et ceux conçus par procréation assistée.

Il faudra aussi songer à la création d’un registre pour faciliter l’accès aux données.

En conclusion, si le rapport du Comité constitue une bonne base de discussion, il faut toutefois envisager la réforme plus largement pour s’assurer que tous les points de vue sur ces enjeux complexes seront entendus. La ministre de la Justice doit tenir un réel débat de société. De plus, les différentes phases de la réforme ne devraient pas être scindées. Un regard d’ensemble sur les transformations familiales s’impose pour trouver des solutions durables adaptées à toutes les familles québécoises tout en assurant le respect des droits et de l’intérêt de leurs enfants.

Les idées exprimées dans cet article n’engagent que l’auteure.

Cet article fait partie du dossier Lacunes de notre politique de procréation assistée.

 Photo : Shutterstock / Monkey Business Images


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MG
Michelle Giroux est avocate et professeure titulaire à la Faculté de droit, Section de droit civil, de l’Université d’Ottawa. Elle est membre du Laboratoire de recherche interdisciplinaire sur les droits de l’enfant (LRIDE), du Centre de droit, politique et éthique de la santé (CDPES) et du Partenariat CRSH sur les familles séparées et recomposées.

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