La pandémie de COVID-19 a mis au grand jour la question des demandeurs d’asile, qui sollicitent une protection à titre de réfugiés au Québec ou ailleurs au pays. Bien qu’ils fassent partie des gens les plus vulnérables, ils ont été les plus touchés par la décision gouvernementale de fermer les frontières.

Nous sommes conscients du fait que le gouvernement canadien, comme tant d’autres gouvernements, s’est retrouvée devant un important dilemme : assurer la santé et la sécurité de sa population ou remplir ses obligations internationales comme pays signataire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Une de ces obligations est de respecter le principe de non-refoulement des demandeurs d’asile, selon l’article 33, qui stipule :

Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

La fermeture de la frontière canado-américaine a entraîné le refoulement de centaines de personnes à notre frontière, des personnes qui avaient frappé à la porte du Canada afin d’y solliciter la protection en tant que réfugiés. Impossible donc de se présenter à un poste de contrôle, ni même de tenter un passage irrégulier au Québec par le « fameux » chemin Roxham. Or, qui dit « refoulement aux États-Unis » dit « détention » avec des prisonniers de droit commun et des criminels de tout acabit. Une situation qui implique aussi la séparation des familles, la détention d’enfants et le risque d’expulsion vers le pays d’origine des réfugiés, où ils étaient persécutés. Autant de conséquences néfastes de la fermeture de la frontière avec les États-Unis en période de COVID-19 !

Malgré l’appel de plusieurs groupes et organismes œuvrant dans le domaine de la défense des réfugiés, rien n’a réellement été fait pour amener le gouvernement fédéral à respecter ses obligations internationales envers les demandeurs d’asile. Il y a bien eu la décision de permettre à des individus de solliciter l’asile à un poste de contrôle terrestre à la condition, entre autres, que des membres de leur famille habitent déjà au Canada, ou d’accepter la demande de mineurs non accompagnés, en vertu du décret du gouvernement adopté le 22 avril 2020, mais cela ne touche pas la très grande majorité des demandeurs d’asile, qui sont actuellement refoulés vers les États-Unis.

La CISR précise sur son site Web que le temps d’attente prévu avant qu’une demande d’asile ne soit instruite par la Section de la protection des réfugiés est « d’environ 22 mois à compter de la date à laquelle le cas est déféré ». On peut facilement imaginer que ces délais vont maintenant exploser.

Une autre conséquence majeure de la COVID-19 est la fermeture, en mars 2020, du tribunal chargé d’entendre les requêtes des demandeurs d’asile au pays, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). Toutes les audiences devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) ont été annulées. À Montréal, les audiences ont repris seulement le 3 août et se déroulent au ralenti. Cette fermeture occasionnera de longs délais de traitement qui s’ajouteront aux retards déjà accumulés avant la pandémie. À cet égard, soulignons que le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoit qu’un demandeur d’asile doit être entendu par le tribunal dans un délai maximum de 60 jours suivant le dépôt de sa demande auprès des autorités compétentes. Or, avant la COVID-19, il n’était pas exceptionnel que certains demandeurs d’asile doivent attendre plus de 20 mois avant de pouvoir être entendus par le tribunal. La CISR précise sur son site Web que le temps d’attente prévu avant qu’une demande d’asile ne soit instruite par la Section de la protection des réfugiés est « d’environ 22 mois à compter de la date à laquelle le cas est déféré ». On peut facilement imaginer que ces délais vont maintenant exploser, ce qui occasionnera très certainement de l’incertitude et un stress supplémentaire pour les demandeurs d’asile en attente d’être fixés sur leur sort.

La pandémie nous a fait réaliser que plusieurs demandeurs d’asile occupent dans le système de santé un emploi dit « essentiel » pour combattre la COVID-19, principalement comme préposées aux bénéficiaires. Des gens qui, malgré leur statut incertain au Canada, ont accepté de mettre leur santé en péril afin de sauver celle des autres ― et qu’on appelle maintenant nos « anges gardiens ». Des gens qui n’ont pas hésité à aller au front, malgré le danger.

Des groupes de pression s’étaient formés afin de demander au gouvernement qu’il régularise le statut de ces demandeurs d’asile. Dans l’état actuel des choses, il m’apparaît tout à fait logique de garder ces gens en poste. Pour ce faire, leur accorder le statut de résident permanent est la voie appropriée pour éviter leur expulsion du Canada et, par le fait même, conserver cette main-d’œuvre si précieuse en période de pandémie.

Le 14 août dernier, le gouvernement fédéral, en collaboration avec les gouvernements provinciaux, a répondu favorablement à cet appel. Les demandeurs d’asile qui ont offert des soins directs aux patients ― préposé(e)s aux bénéficiaires, infirmiers et infirmières, aides-soignants et aides en service ― pourront soumettre une demande de résidence permanente par le biais d’un programme de régularisation. Par contre, certains types d’emplois ne sont pas inclus dans ce programme, notamment ceux des agents de sécurité et du personnel du service d’entretien, même si ces emplois sont occupés dans un centre hospitalier, dans un CHSLD ou dans une résidence privée pour personnes âgées.

Que dire à la mère de famille qui a perdu son emploi comme femme de chambre à cause de la COVID-19 ou au père de famille qui a perdu son emploi de serveur en raison de la pandémie ? Ces demandeurs d’asile ne devrait-on pas les inclure dans le programme ?

De plus, nombre de demandeurs d’asile occupent un emploi qui a été classé comme « essentiel » par le gouvernement du Québec au début de la pandémie. On n’a qu’à penser aux employés d’épicerie, aux commis des stations-service et des pharmacies, aux livreurs d’aliments, aux cuisiniers ou aux employés de services de garde. Devrait-on régulariser aussi le statut de ces personnes ? Que dire à la mère de famille qui a perdu son emploi comme femme de chambre à cause de la COVID-19 ou au père de famille qui a perdu son emploi de serveur en raison de la pandémie ? Ces demandeurs d’asile qui se retrouvent dans une situation de vulnérabilité accrue, ne devrait-on pas les inclure dans le programme ?

Il ne faut pas oublier non plus que de nombreuses personnes qui ne sont pas des demandeurs d’asile mais qui sont en attente d’un statut au Canada (demandes humanitaires, réunification familiale) ont elles aussi occupé un emploi jugé essentiel comme préposé(e)s aux bénéficiaires. Ces personnes ne devraient-elles pas bénéficier du programme de régularisation ?

Ce programme n’est donc pas parfait ; cependant, il reconnaît le travail des « anges gardiens » de première ligne. C’est tout de même mieux que rien. Il permettra aussi aux demandeurs d’asile admissibles d’inclure dans leur demande de résidence permanente leur conjoint et leurs enfants qui se trouvent à l’extérieur du Canada.

À mon avis, le plus important, c’est de s’assurer que ceux et celles qui ont droit à ce programme de régularisation de leur statut y auront accès rapidement et que leurs dossiers seront traités dans des délais raisonnables. Il serait absurde que ces personnes doivent patienter pendant trois à cinq ans avant d’être fixées sur leur sort.

Cet article fait partie du dossier Combattre les inégalités pendant la reprise post-pandémie.

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Stéphane Handfield
Stéphane Handfield est avocat spécialisé en droit de l’immigration. Il a été commissaire à la Section de la protection des réfugiés pendant 11 ans et a aussi enseigné le droit de l’immigration à titre de chargé de cours au cégep de Saint-Laurent. Il est appelé régulièrement à commenter l’actualité dans divers médias.

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