La pandémie de COVID-19 a frappé de façon importante les personnes âgées, surtout celles en perte d’autonomie qui résident dans les établissements d’hébergement et dans d’autres lieux de vie collectifs. En effet, à la fin d’avril 2021, 8 520 (79 %) des 10 809 décès dus à la COVID-19 sont survenus dans des centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), des résidences de ressources intermédiaires (RI) ou des résidences pour aînés (RPA). Le Québec se démarque tristement à cet égard : en appliquant le taux de mortalité observé dans le reste du Canada, on peut estimer à plus de 5 300 le nombre de décès en surplus survenus au Québec.

Cette hécatombe résulte de la gestion inadéquate de la pandémie lors de la première vague, alors que les lieux d’hébergement se trouvaient dans l’angle mort du réseau de santé. Mais les causes profondes se situent bien en amont de la pandémie. Au cours des 30 dernières années, les soins et services offerts aux personnes âgées n’ont pas reçu l’attention qu’ils méritaient, compte tenu du vieillissement très marqué de la population québécoise. Pourtant, plusieurs rapports, commissions, politiques et plans d’action (voir le tableau ci-dessous) soulignaient l’importance d’améliorer les services aux aînés, mais sans que des actions conséquentes et cohérentes aient suivi. 
L’offre d’hébergement

Dans les années 1980, on a créé les CHSLD en modifiant le statut des « centres d’accueil et d’hébergement » et en y ajoutant les lits de soins prolongés des hôpitaux. On abolissait ainsi la règle selon laquelle 10 % des lits des hôpitaux devaient être réservés aux soins prolongés. Le Rapport Arpin (1999) puis le Rapport Castonguay (2008) recommandaient de diversifier l’offre d’hébergement et de faire davantage appel au privé. Le Rapport Clair (2000) proposait un rattrapage financier pour les CHSLD et une intensification de l’offre de soins. Le Plan stratégique 2005-2010 du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) comportait l’objectif d’augmenter de 2,5 % les heures travaillées dans les CHSLD et de doter ces établissements d’un plus grand nombre de professionnels. En 2008, le rapport suivant la consultation publique sur les conditions de vie des aînés recommandait aussi d’améliorer la qualité de vie dans les milieux d’hébergement.

Dans la foulée des réformes des soins de longue durée de 2003 et de 2015, les CHSLD ont perdu la gouvernance et la gestion propre de leurs établissements, puisqu’ils ont été intégrés dans des structures regroupant aussi les hôpitaux et les autres établissements de santé et de services sociaux. Ces réformes ont consacré l’hospitalocentrisme du réseau de santé en laissant les CHSLD à la marge, tant pour la dotation de personnel que pour l’attribution du financement. En avril dernier, le MSSS a rendu publique la Politique d’hébergement et de soins et services de longue durée qui, au-delà de principes et d’orientations générales, ne comprend aucune mesure concrète pour améliorer la qualité et l’intensité des services. Une étude de Roxane Borgès Da Silva et ses collaborateurs, qui paraîtra sous peu, montre que, de 2001 à 2019, l’écart entre les besoins et les services fournis dans les CHSLD est passé de 22 à 30 %. Le financement des CHSLD en dollars constants n’a augmenté que de 45 % au cours de cette même période, soit à peine 2 % en moyenne par année. Si l’on tient compte du vieillissement de la population, le financement des CHSLD a en fait diminué petit à petit au cours des deux dernières décennies.

Le recours au secteur privé pour les soins de longue durée s’est accentué au cours des dernières années en raison des stratégies d’achat de places par les établissements publics dans des CHSLD privés ou des RPA. Cette privatisation progressive de l’offre d’hébergement soulève des questions sur le contrôle des fonds publics et sur la surveillance de la qualité des soins offerts.

Les politiques de soutien à domicile 

Bien que les lois canadiennes sur l’hospitalisation et la santé ne couvrent pas les soins et services à domicile (à l’exception des services médicaux), la Loi sur les services de santé et les services sociaux du Québec a d’emblée inclus ces services dans la couverture publique tout en mettant sur pied des établissements dédiés à cette fin : les centres locaux de services communautaires (CLSC). En 1979, la première politique de soutien à domicile a confirmé le rôle de ces établissements dans la prestation de soins et de services à domicile. Ceux-ci couvraient les soins infirmiers et d’assistance, de même que les services professionnels en nutrition et en réadaptation. Cette politique établissait clairement la gratuité des services à domicile.

Le virage ambulatoire effectué au milieu des années 1990 par le ministre Jean Rochon visait à réduire le nombre de lits dans les hôpitaux en diminuant les durées de séjour et en transférant certaines interventions en milieu externe. Les économies réalisées devaient être investies dans les services à domicile. Cependant, l’objectif du déficit zéro établi lors du sommet socioéconomique de mars 1996 est venu détourner ces fonds. Le budget des services à domicile, loin d’augmenter, a plutôt dû absorber les nouvelles activités ambulatoires générées par la réforme. Les soins et services à domicile à long terme destinés aux personnes âgées et aux personnes handicapées ont donc été réduits.

En 1996, le gouvernement créait le Programme d’exonération financière pour les services d’aide domestique (PEFSAD), qui subventionnait une partie des services dispensés par les entreprises d’économie sociale en aide à domicile (EESAD). Il instaurait aussi l’allocation financière appelée « chèque emploi-service » pour encadrer la rémunération des travailleurs engagés directement par l’usager pour des services à domicile. Le Rapport Arpin (1999) préconisait de recourir davantage au secteur privé pour les services à domicile. Le Rapport Clair (2000) recommandait que l’on augmente considérablement les ressources publiques de maintien à domicile. C’est aussi à cette époque que le gouvernement a créé le crédit d’impôt pour maintien à domicile.

En 2003, le MSSS publiait sa politique de soutien à domicile intitulée Chez soi : le premier choix, qui énonçait clairement que le domicile doit être la « première option à considérer » et que la priorité doit être accordée aux choix des individus. Elle proposait aussi le principe de neutralité financière en vertu duquel le choix de l’usager n’est pas associé à des avantages financiers. Malheureusement, la stratégie nationale de soutien à domicile et le plan d’action qui ont suivi n’ont jamais permis d’atteindre ces objectifs. En 2012, le Protecteur du citoyen critiquait d’ailleurs sévèrement les services de soutien à domicile en dénonçant l’exclusion de certains usagers, le plafonnement des heures de service, la disparité d’accessibilité selon les régions, les délais d’attente et la réduction effective des heures de services. Bien que les plans stratégiques du MSSS de 2005 et de 2010 prévoyaient que le nombre d’usagers augmenterait et que l’intensité des services de soutien à domicile devrait être accrue, force est de constater que ces intentions ne se sont pas matérialisées.

Le Rapport de la consultation publique sur les conditions de vie des aînés (2008) recommandait une amélioration substantielle des services de soutien à domicile et une bonification du PEFSAD. En 2012, la politique Vieillir et vivre ensemble réaffirmait l’importance de vieillir chez soi et d’y recevoir les services nécessaires. Les deux plans d’action de cette politique, celui de 2012 et celui de 2018, prévoient aussi des bonifications des soins et des services à domicile.

Le financement du soutien à domicile

Malheureusement, entre 2001 et 2020, les investissements dans les services à domicile au Québec n’ont représenté que 15 à 24 % du financement public des soins de longue durée (voir figure ci-dessous). En comparaison des pays européens, qui consacrent à ces services près de la moitié du financement ― le Danemark y investit même 73 % de ses dépenses en matière de soins à long terme ―, le Québec fait piètre figure. Les investissements ont à peine suivi l’inflation et le vieillissement de la population, sauf entre 2013 et 2015 et depuis 2018, où l’on note une nette augmentation. Une étude sur les services à domicile reçus par les personnes âgées à Sherbrooke montre cependant une diminution importante et progressive des visites à domicile de 2011 à 2015, et ce, même si une hausse importante (20 %) du budget a eu lieu en 2013-2014. Il semble que ces fonds additionnels aient plutôt été affectés à d’autres priorités dans les établissements fusionnés, sans doute à l’hôpital, où les besoins sont toujours criants.

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Le mode de financement des soins de longue durée pose problème : les fonds qui doivent y être consacrés sont compris dans un budget global que le gouvernement attribue aux établissements et qui sert à financer l’ensemble de leurs missions. Dans ce contexte, il est illusoire de penser que, même en exigeant une reddition de comptes rigoureuse, les services à domicile puissent se développer pleinement. La neutralité financière prescrite par la Politique de soutien à domicile ne peut être mise en œuvre. C’est pourquoi, dès 2000, la Commission Clair recommandait la création d’un régime capitalisé d’assurance contre la perte d’autonomie. Le rapport notait qu’il « est illusoire de penser que le système actuel ou le seul redéploiement du budget des hôpitaux vers le maintien à domicile permettra de réaliser l’importante transition proposée ».

Cette idée a été reprise par le Rapport Ménard (2005), qui suggérait une capitalisation partielle. Le Rapport Castonguay (2008) rejetait cependant cette solution et conseillait au gouvernement d’investir plutôt dans les établissements. Pourtant, une telle assurance de soins à long terme a été mise en place dans les pays de l’Europe continentale, de même qu’au Japon et en Corée du Sud. J’en avais fait une recommandation spécifique en 2008, dans mes conclusions du rapport sur la consultation publique sur les conditions de vie des aînés. C’est ce projet qui m’a amené en politique où, de 2012 à 2014, j’ai pu élaborer le projet d’assurance autonomie. Un livre blanc publié en 2013 a fait l’objet de consultations parlementaires et a reçu un large appui. En décembre 2013, le gouvernement a déposé à l’Assemblée nationale du Québec le projet de loi no 67 sur l’assurance autonomie, mais il n’a pu être adopté, étant donné les élections précipitées de 2014. Cette assurance visait à redonner à l’usager le contrôle du financement des soins et à réaliser la neutralité financière évoquée par la Commission Clair.

L’insuffisance des services à domicile entraîne un recours indu à l’hébergement en CHSLD et en ressources intermédiaires. Elle joue aussi un rôle très important dans la décision des personnes âgées de déménager dans des RPA, où elles espèrent trouver la sécurité et l’accès aux soins. L’engouement pour les RPA est considérable : en effet, 50 % des RPA au Canada se trouvent au Québec, et près de 20 % des personnes de plus de 75 ans y habitent. Cette situation explique en partie le haut taux de mortalité lié à la COVID-19, puisque plus de 2 000 décès (soit 21 %, fin avril 2021) sont survenus dans les RPA, qui ont connu de multiples éclosions lors des deux vagues de 2020.

 Les trois chantiers principaux

La pandémie a mis en lumière les défaillances des services aux aînés en perte d’autonomie. Cette hécatombe doit susciter trois actions essentielles pour éviter qu’elle se reproduise.

Nous devons d’abord réformer les CHSLD en améliorant la qualité et surtout l’intensité des services. La gouvernance et la gestion de ces établissements doivent être revues afin de réintroduire une gestion locale et agile. Il faut élaborer des normes sur le ratio de résidents par infirmière, par médecin et par préposé, à la lumière des données probantes et des bonnes pratiques ailleurs au Canada et dans le monde. Il est nécessaire d’établir une stratégie de recrutement et de rétention du personnel qui revalorise ces métiers et améliore la formation. La stabilité du personnel est un élément fondamental de la relation avec les résidents et de la prévention d’éclosions infectieuses. On doit aussi entreprendre un vaste programme de rénovation des installations, en vue de diminuer le nombre de chambres à plusieurs occupants, d’éviter le partage des salles de bain, d’améliorer la ventilation et d’aménager des espaces de vie dignes de ce nom. Enfin, un réexamen du recours au privé s’impose pour mieux encadrer l’achat de places et, surtout, pour assurer la qualité des services.

Puis, nous devons améliorer les soins et services à domicile pour en augmenter l’accessibilité et surtout l’intensité. En déployant pleinement la Politique de soutien à domicile, le domicile devient une véritable option en cas de perte d’autonomie. Il faut que les usagers aient un droit explicite à ces services en cas de besoin, tout comme ils ont accès aux services hospitaliers et médicaux.

Enfin, le financement des soins de longue durée doit être réformé en profondeur. La mise en place d’une assurance autonomie avec un fonds propre est incontournable pour permettre un financement public équitable, fondé sur les besoins des usagers dans le respect de leurs choix. Des projections montrent qu’une telle formule permet de mieux contrôler les coûts liés au soutien des personnes en perte d’autonomie et représente une solution au statu quo actuel, qui repose sur le recours coûteux à des institutions.

Il s’agit donc de trois chantiers incontournables pour répondre aux lacunes mises en évidence par la pandémie, trois chantiers qui nous permettront de corriger la situation affligeante dans laquelle se trouvent nos aînés, dont des milliers sont décédés au cours de la dernière année.

Cet article fait partie du dossier Coup d’envoi à la réforme des soins de longue durée.

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Réjean Hébert
Réjean Hébert is an associate professor in the school of public health at Université de Montréal.

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