(Cet article a été traduit en anglais.)

La pandémie de COVID-19 et ses conséquences fatales pour les personnes âgées vulnérables obligent à revoir notre modèle de services de soutien aux incapacités fonctionnelles. Le système de soins canadien et la Loi canadienne sur la santé ont mis les hôpitaux au cœur de la réponse sanitaire. Si ce choix était justifié au siècle dernier pour répondre aux besoins d’une population plus jeune, il est beaucoup moins pertinent aujourd’hui, dans un contexte de population vieillissante aux prises avec des maladies chroniques et des incapacités.

Au Canada et au Québec,  le taux d’hébergement en soins de longue durée des personnes de 65 ans et plus est respectivement de 5,7 et 5,9 %, un taux légèrement plus élevé que la moyenne des pays de l’OCDE, qui se situe à 4,7 %. Pour ce qui est des résidences privées pour aînés au Québec, 7 % des personnes de plus de 65 ans ont opté pour ce type d’habitation, tandis que la moyenne canadienne est de 4,3 % (recensement de 2016). Ces aînés de la génération dite « silencieuse » y cherchent sécurité et accès aux services en cas de besoin ; ils y vivent dans une certaine autarcie et une auto-exclusion des autres groupes sociaux. Leurs enfants, de la génération des baby-boomers, y voient aussi une solution pratique au soutien et à la sécurité de leurs parents. Si ces résidences peinaient à remplir leur mandat avant la crise, force est de constater que sécurité et services ne sont plus qu’illusions à la lumière des éclosions de COVID-19 dans ces milieux et du confinement généralisé que la pandémie a engendré.

L’engouement pour l’hébergement collectif résulte de l’incapacité de la société et du système de soins à assurer les services à domicile nécessaires en cas de perte d’autonomie. Les soins à domicile ne représentent que 14 % du financement public des soins de longue durée au Québec et au Canada. Tous les autres pays de l’OCDE y consacrent une plus grande part de leur budget en la matière, allant même jusqu’à 73 % au Danemark. Ce peu d’investissement s’explique par une logique de financement ; le système de santé canadien couvre essentiellement les soins médicaux et hospitaliers. En conséquence, l’hébergement en soins de longue durée, issu des hôpitaux de soins prolongés, est pris en charge par le régime public d’assurance maladie, alors que les soins à domicile sont financés à la marge, à la discrétion de chacune des provinces. On comprend alors pourquoi les services de santé ont privilégié la solution institutionnelle.

Mais investir davantage dans les soins à domicile ne sera pas suffisant pour amener un changement notoire. Dans une étude longitudinale recensant l’ensemble des services utilisés par les personnes âgées de Sherbrooke, nous avons constaté une forte diminution des services à domicile de 2011 à 2015, passant de 200 000 visites par an à moins de 60 000. Cette diminution est particulièrement importante chez les personnes nécessitant des soins plus intensifs. Ce phénomène est d’autant plus troublant que le budget de 2013-2014 comprenait un investissement supplémentaire de 110 millions de dollars pour les soins à domicile, soit une augmentation de 20 % de la base budgétaire. De toute évidence, cette augmentation ne s’est pas traduite par une amélioration des services. Les établissements ont plutôt réparti les sommes selon leurs priorités, de toute évidence l’hôpital.

Il faut donc sortir du mode de financement actuel axé sur les établissements. Les gouvernements doivent mettre en place un financement basé sur les besoins en soins de longue durée des personnes âgées. C’est le principe des assurances publiques de soins à long terme que de nombreux pays ont adopté au cours des 20 dernières années, notamment le Japon (« Kaïgo Hoken », la France (Allocation personnalisée d’autonomie) et la plupart des pays d’Europe continentale. Dans ces systèmes d’assurance, les besoins de la personne sont évalués à l’aide d’un outil de mesure des incapacités, et l’allocation est déterminée selon le niveau de besoins. Elle sert à financer les services publics ou privés choisis par la personne ou ses proches à partir du plan d’intervention élaboré par un professionnel de la santé, souvent un gestionnaire de cas. Dans certains pays, cette allocation est même payée en espèces (« cash for care »), et le bénéficiaire achète lui-même les services qui lui sont destinés. La qualité des prestataires est assurée par un mécanisme d’agrément, et la qualité des services rendus est évaluée par le gestionnaire de cas.

Ces assurances sont habituellement financées sans capitalisation (« pay-as-you-go ») et par une variété de sources, soit des cotisations employeur-employé, l’impôt sur le revenu, des déductions sur les pensions ou d’autres formes de recettes, par exemple des redevances sur l’électricité ou abolition d’un jour férié. Plusieurs pays utilisent plus qu’une source de financement, mais chacun a créé une caisse séparée pour financer les soins de longue durée.

C’est ce modèle que le gouvernement du Québec proposait avec l’assurance autonomie en 2013, alors que j’étais ministre de la Santé, et qui devait être instaurée en 2015. Le modèle a gardé toute sa pertinence aujourd’hui. Grâce à plusieurs éléments déjà en place au Québec, il pourrait être introduit très rapidement encore maintenant. Un de ces éléments importants est l’outil d’évaluation déjà largement utilisé pour toutes les personnes requérant des services à domicile ou en hébergement, soit l’Outil d’évaluation multiclientèle (OEMC), qui intègre le Système de mesure de l’autonomie fonctionnelle (SMAF). Cet outil sert non seulement à établir les besoins d’une personne, mais la classification des besoins selon 14 profils types d’incapacités (les profils Iso-SMAF) permet de traduire les besoins en ressources et en allocations.

Un deuxième élément a trait aux ressources : le Québec a déjà des professionnels de la gestion de cas qui œuvrent dans le cadre de l’intégration des services. Ils peuvent s’occuper de l’évaluation continue des besoins, de la planification des services et de la qualité des services fournis par les prestataires. Un troisième atout est les outils informatiques dont dispose le Québec pour soutenir l’élaboration du plan d’intervention et de l’allocation de services. Et, finalement, la Régie d’assurance maladie du Québec est l’organisme tout désigné pour gérer de façon efficace l’assurance. Grâce à l’accord des groupes et associations de personnes handicapées, l’assurance autonomie peut couvrir tous les adultes ayant des incapacités.

Cette assurance autonomie répondrait à plusieurs besoins :

  • Elle assurerait un financement public équitable aux personnes nécessitant des soins et services à long terme, et ce, sans égard à leur milieu de vie et aux prestataires de services. Elle offrirait aussi une solution aux problèmes d’équité interrégionale et interétablissement dans la prestation de services de maintien à domicile.
  • Elle établirait une gestion publique de tous les services de soutien à l’autonomie, que ces services soient fournis par des établissements publics ou des entreprises privées.
  • Elle redonnerait aux usagers la liberté de choisir leur milieu de vie tout comme les prestataires de services.
  • Elle assurerait la qualité des services offerts par les organismes publics et privés et permettrait de créer une émulation parmi les prestataires pour mieux répondre aux besoins.

Après la publication d’un livre blanc en 2013, bien accueilli par l’ensemble des parties prenantes, le gouvernement avait choisi d’utiliser l’impôt sur le revenu pour financer cette assurance, comme c’est le cas de l’assurance maladie. Un programme budgétaire particulier et protégé devait permettre d’isoler ce financement de celui du budget global des établissements. On estimait alors que des investissements annuels cumulatifs de 100 à 200 millions de dollars seraient nécessaires pour assurer les besoins des personnes âgées et s’ajuster au vieillissement anticipé de la population. Les projections pour l’investissement supplémentaire en 2027 se chiffraient à 1,3 milliard de dollars, ce qui peut paraître énorme, mais elles étaient inférieures de 1,5 milliard à celles faites à partir du statu quo axé sur la solution institutionnelle.

Le projet de loi, déposé à l’Assemblée nationale en décembre 2013, n’a jamais été adopté, en raison du déclenchement précipité des élections et de la perte du pouvoir du gouvernement de Pauline Marois. Le projet n’a pas été repris par les gouvernements ultérieurs. S’il est mort, l’idée ne l’est pas, et les éléments permettant sa réalisation sont toujours à portée de main. Sa pertinence est encore plus manifeste à la lumière de la crise de COVID-19.

Les personnes âgées méritent de vieillir à domicile avec les services dont elles ont besoin. En adaptant l’approche de financement et d’organisation des services à la réalité du 21e siècle, les Québécois choisiront de vieillir à la maison et résisteront au chant des sirènes des résidences et autres lieux d’exclusion sociale institutionnalisée.

Cet article fait partie du dossier Faire face à la crise politique des soins de longue durée au Canada.

Pour des sujets connexes, voir les publications du programme de recherche de l’IRPP Défis du vieillissement.

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Réjean Hébert
Réjean Hébert est professeur titulaire au Département de gestion, évaluation et politique de santé à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Il est également chercheur au CIRANO, au Centre de recherche en santé publique (CReSP) de Montréal et au Centre de recherche sur le vieillissement de Sherbrooke. De 2012 à 2014, il a été ministre de la Santé et des Services sociaux ainsi que ministre responsable des Aînés.

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