Aide sociale au QuébecTEST

Les importants piliers des parlementairesTEST

De quels soutien, formation et outils a besoin un député fédéral pour bien s’acquitter de ses fonctions de législateur et pour bien servir sa communauté ? Quels types de réseaux formels et informels façonnent l’expérience des députés à la Chambre des communes ?

Dans le cadre de la baladodiffusion Les Personnages de la Chambre, le Centre Samara pour la démocratie a interrogé six anciens députés fédéraux sur l’importance des liens qu’ils ont tissés avant, pendant et après leur passage à la Chambre des communes. Au cours de ces entretiens, les libéraux Linda Lapointe, Rémi Massé et Jean-Claude Poissant, les néodémocrates Guy Caron et Matthew Dubé, et le conservateur Stephen Blaney ont tous souligné l’importance que la famille, le mentorat et la formation ont eue pour eux lorsqu’ils siégeaient sur la colline.

Selon ces anciens élus, il est essentiel de tenir compte de ces soutiens pour appuyer et retenir des législateurs efficaces qui aspirent à représenter la diversité de la population canadienne.

« La famille va continuer après la politique »

En général, les anciens députés estiment que le soutien de leur famille a joué un rôle important, notamment en les encourageant à se présenter aux élections.

Rémi Massé note que même si sa famille lui a initialement demandé « es-tu fou ? », sa réaction aura finalement été « très bonne ».

Quand il leur a fait part de son souhait de faire le saut en politique, certains membres de la famille de Guy Caron ont réagi avec humour. « Quand j’ai dit ça à ma mère initialement, elle m’a demandé pourquoi et si j’étais malade ! » se souvient-il.

Gros plan sur Guy Caron, qui s’adresse à une foule, un micro à la main.
Le candidat Ă  la direction du NPD Guy Caron prend la parole lors de la Vitrine du leadership du parti Ă  Hamilton, en Ontario, le dimanche 17 septembre 2017. LA PRESSE CANADIENNE/CHRIS YOUNG

« Quand on m’a approché [pour me présenter], la première chose que [ma conjointe] m’a dit c’est : « “ça ne change pas grand-chose, t’es jamais là !” » a pour sa part plaisanté Jean-Claude Poissant.

Les ex-députés précisent que leur famille n’était pas seulement importante lorsqu’ils se sont présentés à une élection, mais qu’elle a aussi joué un rôle essentiel pour survivre à leur passage à la Chambre des communes et en ressortir avec une santé mentale intacte. Steven Blaney souligne d’ailleurs que sans le soutien de sa famille, « ça aurait été impossible ».

À ce sujet, son chef, l’ancien premier ministre Stephen Harper disait : « prenez soin de votre famille pendant que vous êtes en politique, car une fois que vous l’aurez quittée, c’est la seule chose qui vous restera ».

Être député francophone à Ottawa

De la même manière, Linda Lapointe avance que « la famille va continuer après la politique… Si tu passes à travers ta carrière politique, mais que tu n’as plus de famille autour de toi, après tu n’as rien accompli dans ta vie. Il faut permettre aux députés d’avoir un équilibre ».

Contrairement à ses collègues masculins, Mme Lapointe pointe du doigt les politiques parlementaires qui affectent la parité à la Chambre des communes. Elle estime que « les femmes en général vont penser plus à l’impact personnel que ça va avoir dans leur vie familiale… S’il y a plus de modèles positifs, si on peut avoir un parlement qui permet plus facilement de vivre [en équilibre]. Si c’est un modèle hybride un peu plus flexible, tant mieux ».

Ensemble, ces points de vue partagés sur l’importance de la famille soulèvent des questions importantes sur la manière dont les politiques de la Chambre des communes devraient évoluer pour mieux soutenir l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale des élus. En particulier si l’on considère le fait préoccupant que le taux de divorce chez les députés est deux fois plus élevé que la moyenne nationale.

« J’ai posé beaucoup de questions pendant quatre ans »

La courbe d’apprentissage à la Chambre des communes est raide et continue, précisent les anciens députés. M. Massé aurait « aimé entrer en politique avec ce [qu’il sait] maintenant », notant qu’il « aurait été drôlement plus efficace ».

Malgré les formations offertes par le parti et le Parlement, il n’existe pas de cours pour devenir un bon député. M. Blaney décrit les débuts de l’expérience parlementaire comme « un baptême du feu ». Mme Lapointe compare de son côté les trois premiers mois de travail à « un train à grande vitesse [où] tu apprends très vite ».

La rapidité avec laquelle on attend des députés qu’ils se mettent au diapason et au travail a été soulignée par tous les intervenants. M. Dubé raconte que « quand il y a une rencontre, il y a énormément d’informations transmises d’un coup. C’est difficile à tout apprendre ».

« Tu apprends sur le tas et tout le monde est en apprentissage… Tout le monde travaille le pied au plancher », ajoute M. Massé.

Les députés présentés dans Les Personnages de la Chambre reconnaissent la valeur du mentorat formel et informel, de même que le soutien apporté par l’administration de la Chambre des communes. M. Poissant affirme qu’il a reçu « un soutien extraordinaire » alors que M. Caron témoigne d’« un appui incomparable de la part de la Chambre des communes » et « qu’au niveau du parti, on a eu un bon encadrement ».

Massé ajoute que le soutien qu’il a reçu de la part des agents de transition fédéraux était « excellent » et qu’il a « posé beaucoup de questions pendant quatre ans ».

Mme Lapointe, pour sa part, a été inspirée par d’autres politiciennes québécoises, dont elle a suivi l’exemple. « Je me souviens que Pauline Marois était enceinte. Je me disais que si elle est capable, je devrais être capable de concilier le tout », se souvient-elle.

« Pas mal de monde à la messe »

De leur propre aveu, le mentorat a facilité le parcours politique des anciens députés ; si Steven Blaney se confiait à l’ancien député conservateur Jean-Pierre Blackburn, M. Dubé qualifie pour sa part le néodémocrate Malcolm Allen de « papa politique ».

Les réflexions des anciens députés démontrent également les avantages d’une relation étroite avec les chefs de parti. M. Dubé raconte que le défunt chef du Nouveau Parti démocratique, Jack Layton, « a été tellement bon pour nous appuyer, puis de donner crédit à l’implication des jeunes en politique ». Dans la même optique, M. Caron confie qu’il s’est présenté parce qu’il « croyait [en] Jack Layton ».

Blaney a lui aussi bénéficié d’une relation privilégiée avec le premier ministre Stephen Harper. Il précise que son chef était presque trop familier, si bien qu’il avait invité plusieurs fois des électeurs à venir rencontrer le premier ministre Harper après le caucus, et ce, sans préavis. Bien que le premier ministre Harper était partant, cette proximité n’était pas partagée par tous les parlementaires.

À l’inverse, M. Poissant indique avoir très peu communiqué avec le chef libéral Justin Trudeau. M. Massé relève qu’au-delà des réunions du caucus, M. Trudeau a beaucoup à gérer et qu’il « en avait plein les bottines ». Étant donné que le caucus libéral comptait alors 184 députés, « il y avait pas mal de monde à la messe », note M. Massé.

Jean-Claude Poissant est debout Ă  la Chambre des communes. Il tient des feuilles et prend la parole.
Le secrétaire parlementaire du ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, Jean-Claude Poissant, se lève pendant la période des questions à la Chambre des communes sur la Colline du Parlement à Ottawa, le vendredi 25 mai 2018. LA PRESSE CANADIENNE/JUSTIN TANG

Les défis et apprentissages auxquels sont confrontés les nouveaux députés ne sauraient être réalisés sans une formation adéquate, des mentors et le soutien de leur famille. Les députés interrogés estiment que des investissements dans la formation et le mentorat, de même que l’élaboration de politiques favorisant l’établissement de relations saines à l’intérieur et entre les partis pourraient améliorer l’expérience des futurs parlementaires.

Tous ont exprimé l’immense valeur de leur travail et leur volonté de faire comprendre à leurs successeurs ce que nécessite la fonction de député et l’importance de l’institution qu’ils aspirent à représenter. Compte tenu de tout ce qu’ils consacrent à servir leur circonscription, tous les députés méritent de comprendre les tenants et aboutissants de leur mandat.

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Une meilleure éducation civique pour soutenir notre démocratieTEST

Les repas de famille tendus lors de la pandémie, le « Convoi de la liberté » en 2022 et, plus récemment, les affrontements sur la question de l’identité de genre témoignent de la polarisation sociale et de la propagation de la désinformation. Ces phénomènes fragilisent la cohésion sociale, exacerbent les divisions et les préjugés et affaiblissent la démocratie.

C’est pourquoi l’appel à plus d’éducation à la citoyenneté est devenu un refrain familier dans l’espoir de régler ou de prévenir ces crises sociales. Cette idée repose sur le principe que des citoyens informés, engagés et responsables sont essentiels pour maintenir une société démocratique fonctionnelle et résiliente.

Toutefois, bien que cette demande puisse sembler raisonnable, ne devrions-nous pas d’abord analyser la qualité actuelle des services offerts avant d’en réclamer davantage ? C’est précisément l’objet du rapport L’Éducation civique mise au second plan, qui brosse un portrait de la perception des enseignants canadiens sur le sujet. Pour y parvenir, 1922 professionnels de l’éducation à travers tout le pays ont été sondés. Des groupes de discussion et des entretiens individuels ont permis d’approfondir certains éléments de l’enquête.

Le constat est clair : l’éducation civique est gravement dévalorisée au Canada, ce qui compromet son efficacité. Partant de cet état de fait, il importe d’outiller les enseignants dans leur lourde tâche de préparer les jeunes à devenir des citoyens engagés et bien informés.

Qu’est-ce qu’une « bonne » éducation civique ?

L’éducation à la citoyenneté comprend l’étude formelle des processus politiques, du rôle des gouvernements ainsi que des droits et responsabilités des citoyens. Toutefois, à un niveau plus fondamental, elle concerne la communauté et la manière dont nous nous identifions aux autres et interagissons avec eux.

Ce qui fait toute la différence est l’approche pédagogique de l’enseignant.

Une bonne éducation civique privilégie une participation active des élèves plutôt que la simple transmission des connaissances, des faits et des dates.

Les meilleures pratiques mettent l’accent sur des méthodes pédagogiques qui placent les élèves en situation d’observation et d’expérimentation, par exemple des discussions constructives sur des enjeux politiques, des simulations de processus politiques ou des projets d’action civique.

Mais pour y parvenir, les enseignants ont besoin de beaucoup de temps, de formation et de ressources afin de mettre en Ĺ“uvre les meilleures pratiques.

L’état de l’éducation civique au Canada

Sur papier, les programmes scolaires présentent la citoyenneté active comme l’un des plus importants objectifs de l’éducation, mais sur le terrain, c’est une tout autre chose.

Près des deux tiers des enseignants ont déclaré dans le cadre de l’étude que ce volet n’est pas une priorité dans leur école. Ce manque de valorisation au sein du système scolaire compromet son efficacité, notamment parce que les enseignants ne disposent pas de formation adéquate et de suffisamment de temps ou de ressources pour l’enseigner.

L’étude révèle des lacunes dans la formation des enseignants en matière d’éducation à la citoyenneté : 25 % des répondants ont suivi une formation en enseignement à cet effet, ce qui n’est pas le cas pour presque deux fois plus d’entre eux (48 %). Il n’est donc pas surprenant que plusieurs enseignants n’aient pas suffisamment confiance en leur capacité à enseigner la politique, ressentent une certaine pression ou se sentent démunis face au manque de lignes directrices de la part du système scolaire, qui inclut les écoles, les centres de services scolaires, les commissions scolaires, les districts ou les ministères de l’Éducation. Ce manque d’encadrement et d’intégration du programme peut d’ailleurs donner l’impression que l’éducation civique est une compétence facultative, tant aux yeux des enseignants que des élèves.

Pourtant, la majorité des programmes d’études canadiens décrivent des attentes élevées en la matière. Par exemple, les programmes d’études des provinces de l’Atlantique affirment que « les sciences humaines, plus que tout autre domaine du programme, sont essentielles au développement de la citoyenneté », car elles « incarnent les grands principes de la démocratie ». Toutefois, la plupart de ces programmes n’offrent pas de conseils ou des consignes précis sur la manière d’atteindre ces objectifs d’apprentissage.

Si certains enseignants profitent de cette flexibilité pour mettre en œuvre des projets d’éducation civique authentiques, ce n’est pas le cas pour tous. La plupart d’entre eux ont plutôt indiqué avoir besoin de stratégies pédagogiques et didactiques concrètes afin d’atteindre les objectifs d’apprentissage prescrits.

Actuellement, ces activités prennent plus souvent qu’autrement la forme de discussions sur les événements d’actualité et des enjeux politiques. Or, des stratégies pédagogiques d’apprentissage actif ou par l’expérience se sont avérées beaucoup plus efficaces, par exemple des discussions constructives bien encadrées, des simulations authentiques d’élection ou des projets d’action civique qui permettent aux élèves de réinvestir leurs apprentissages dans leur communauté.

Comment surmonter ces obstacles ? 

Pour aider les jeunes à devenir des citoyens engagés, informés et actifs dans leurs communautés, l’éducation civique doit devenir une priorité, tant pour les enseignants que les autorités scolaires.

Il faut d’abord investir dans la formation des enseignants à tous les niveaux, aussi bien des actuels que des futurs professeurs. Ils doivent être en mesure de développer leurs propres connaissances et compétences civiques, en plus de maîtriser les stratégies pédagogiques fondées sur des données probantes. La formation est l’un des principaux moyens pour apprendre les meilleures pratiques en la matière, qui permettront aux élèves d’avoir des discussions constructives et de participer à des projets expérientiels et authentiques.

De plus, les enseignants doivent avoir accès à des stratégies pédagogiques concrètes et des exemples tangibles sur la manière d’intégrer la matière dans leur classe, quelle que soit la matière enseignée. Cela peut se traduire par des ressources pédagogiques clé en main qui les aident à bien préparer leurs élèves à voter lors d’une simulation électorale, des guides ou encore des plans de leçons qui leur permettent de bien encadrer les discussions politiques en classe.

Enfin, il faut investir dans une infrastructure pour soutenir la création d’une communauté de partage entre les enseignants, qui pourraient alors se partager les recherches émergentes en éducation civique, les meilleures pratiques et des ressources. Malgré leur volonté, peu de professionnels de l’éducation ont le temps ou les moyens de se tenir au fait des recherches actuelles en la matière. Il faut souvent payer pour accéder aux articles scientifiques, et y dédier un certain nombre d’heures pour les synthétiser ou s’en servir pour mettre en pratique de nouvelles approches pédagogiques. Nous avons donc besoin d’une infrastructure capable de rassembler les recherches émergentes et d’aider les pédagogues à lier ces recherches à leur pratique, de manière concrète et réalisable.

Amély PaquetTEST

Après avoir enseigné le français au secondaire, Amély Paquet a rejoint CIVIX, une organisation dédiée à l’éducation civique chez les jeunes, en tant que rédactrice de contenu pédagogique francophone. Dans le cadre de son travail, Amély élabore du matériel éducatif innovant et engageant pour les enseignants francophones du Canada et soutient les pédagogues dans la mise en œuvre des programmes d’éducation civique de l’organisme.

Dana CotnareanuTEST

En tant que directrice de la programmation francophone chez CIVIX, Dana Cotnareanu contribue aux nombreux programmes de l’organisation qui visent à développer les compétences et les habitudes d’une citoyenneté active et informée chez les jeunes. Depuis cinq ans, elle participe à l’élaboration des ressources pour les programmes de l’organisme et a dirigé de nombreuses sessions de développement professionnel pour les enseignants.

Partager le congé parental pour endiguer les inégalités de genreTEST

Le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord où les nouveaux pères ont droit, sous réserve de quelques conditions, à un congé de paternité payé leur étant exclusivement réservé. Si les prestations de paternité sont fort populaires, les plus récentes données du Conseil de gestion de l’assurance parentale (CGAP) montrent qu’une proportion croissante de pères utilisent aussi les prestations parentales partageables au terme de leur congé exclusif.

Ce changement dans les comportements des nouveaux pères pourrait avoir des effets bénéfiques sur les inégalités de genre.

L’arrivée d’un enfant est un moment charnière dans l’édification de ces inégalités. Alors que la transition à la paternité est souvent accompagnée d’un renforcement de la position des hommes sur le marché du travail, celle des femmes est parallèlement fragilisée en raison des nouvelles responsabilités de soins, dont elles assument disproportionnellement la charge. Une meilleure implication des pères dans les congés parentaux aiderait à changer cette réalité.

Avantage aux pères québécois

Il existe en vertu du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) trois principaux types de prestations pour une naissance : des prestations de maternité exclusives à la mère biologique, des prestations parentales partageables entre les parents, et des prestations exclusives pour le père ou le second parent. D’autres prestations exclusives peuvent également s’ajouter dans certaines situations particulières, par exemple lors de naissances multiples où dans le cas où un parent est le seul mentionné à l’acte de naissance.

La durée et la hauteur de ces prestations varient selon le type de régime choisi par les parents. Le régime de base offre une durée plus longue, tandis que le régime particulier est un peu plus généreux quant au montant versé pour les parents qui planifient un congé plus court, comme le montre le tableau 1.

Ailleurs au pays, les nouveaux parents ont également accès à des prestations exclusives pour la mère biologique et des prestations partageables. Depuis 2019, les familles qui choisissent le régime court bénéficient de 40 semaines de prestations pouvant être partagées. Toutefois, chaque parent ne peut prendre plus de 35 semaines. Ainsi, on comprend que des prestations d’une durée de cinq semaines sont également offertes au deuxième parent.

Les prestations québécoises réservées aux pères sont également mieux payées, couvrant de 70 à 75 % du salaire jusqu’à un maximum assurable de 94 000 $ (voir le tableau 1, ci-dessus). En comparaison, ailleurs au pays, les prestations partageables entre les parents remboursent un maximum de 55 % du salaire dans le régime court, et de 33 % dans le régime long. Le revenu maximal assurable est aussi sensiblement moins élevé, à un peu plus de 63 000 $ par an.

Les pères québécois utilisent massivement les prestations de paternité. Au Québec, plus des trois quarts (76,6 %) des pères ont demandé des prestations en 2021, comparativement à seulement trois pères sur 10 (29,9 %) ailleurs au pays.

Plus d’argent pour plus de nouveaux parents

Les changements apportés au Régime québécois d’assurance parentale

Myopie et limites de la politique familiale québécoise

Un incitatif efficace : le « bonus au partage »

Un des objectifs clés de la refonte de 2020 de la Loi sur l’assurance parentale était de favoriser une plus grande utilisation des prestations par les pères, au-delà de leur congé exclusif. À cette fin, le RQAP propose désormais un nouvel incitatif au partage en « récompensant » les couples dont les deux parents prennent des prestations parentales par l’ajout de semaines additionnelles de prestations.

En vertu du régime long, pour les couples où chacun des parents utilise huit semaines de prestations partageables, quatre semaines sont ajoutées à la durée totale des prestations du RQAP. Les nouveaux parents qui prennent chacun six semaines de prestations partageables en vertu du régime plus court se voient ajouter trois semaines à leur congé payé.

L’initiative portée par le CGAP, qui gère et oriente le RQAP, porte ses fruits.

Parmi les couples où les deux parents étaient admissibles aux prestations du RQAP, le deuxième parent prenait au moins une semaine de prestation dans plus du tiers (35 %) des cas en 2021, alors que ce n’était le cas que pour 20 % des couples en 2006, et 27 % en 2020.

De façon plus ciblée, la proportion de couples utilisant au moins 6 semaines de prestations – le minimum requis pour obtenir des semaines additionnelles de congé – a presque triplé à la suite de l’ajout de semaines de « récompense », passant à 22 % en 2021, après avoir oscillé entre 6 et 8 % pendant les quinze années précédentes.

En d’autres mots, dans 22 % des couples où les deux parents reçoivent des prestations, le deuxième conjoint utilise au moins 6 semaines de prestations parentales partageables, en plus du congé de paternité

L’exceptionnalisme québécois

Un partage des prestations chez une proportion croissante de couples est évidemment une excellente nouvelle. L’enthousiasme avec lequel les couples se prévalent de cette mesure suscite l’intérêt.

L’utilisation des prestations parentales chez les hommes est déterminée par des facteurs organisationnels, politiques et culturels. Des recherches comparatives ont néanmoins montré qu’offrir aux pères des prestations bien rémunérées non transférables à la mère encourage leur utilisation.

Cependant, la recherche a aussi montré que l’égalité des genres est favorisée par l’octroi de prestations sur une base individuelle, avec une portion partageable limitée, comme c’est par exemple le cas en Islande et en Suède. Au Québec, l’accès aux prestations « bonus » est conditionnel à la qualification des deux conjoints.

C’est bien là ce qui est étonnant dans le succès de l’initiative. En vertu du régime plus long, choisi par huit familles sur dix bénéficiaires du RQAP, les semaines de prestations additionnelles ne sont payées qu’à 55 % du salaire… Or, la recherche montre qu’un taux de remplacement du salaire d’au moins 80 % est nécessaire pour promouvoir l’égalité des genres dans la prise de congés. De plus, l’accès au bonus est tributaire de l’utilisation par les deux parents des prestations parentales, contrairement aux autres types de prestations.

Il est aussi possible que la pénurie de places en services de garde – plus de 30 000 enfants sont en attente d’une place – incite au partage des prestations. Les couples ne trouvant pas de place pour leur enfant décideraient alors de maximiser leur congé. C’est ce qui expliquerait entre autres l’adhésion des pères, en dépit du taux de remplacement du revenu plutôt faible dans le régime long.

Un effet durable ?

La mise en place d’une nouvelle mesure est souvent accompagnée d’un effet d’entrée, directement lié au changement dans l’architecture de la politique. Les effets à long terme de l’incitatif au bonus restent à être documentés. La hausse de la participation des pères au RQAP à la suite de l’instauration des prestations de paternité a ralenti après une dizaine d’années. On ne verra sans doute la pleine mesure de l’incitatif au partage que dans plusieurs années.

D’ici là, on ne peut exclure que les effets positifs de l’incitatif au partage soient aussi liés à d’autres modifications apportées au RQAP, comme la possibilité accrue de gagner des revenus de travail sur une base individuelle tout en étant prestataire, ou encore celle d’étaler sur 18 mois la prise de congés.

Ottawa sauve la mise en haussant l’impôt sur le gain en capitalTEST

Lors de sa mise à jour économique de l’automne dernier, la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, s’était fixé trois principaux objectifs en vue du budget 2024.

Le premier était de maintenir le déficit annoncé en 2023-2024 à un niveau égal ou inférieur à la prévision du Budget de 2023, soit 40,1 milliards $.

Le second était d’abaisser le ratio de la dette au PIB en 2024-2025 par rapport à l’Énoncé économique de l’automne (42,7 %), et de le maintenir ensuite sur une trajectoire descendante.

Le troisième était de continuer la baisse du ratio du déficit sur le PIB en 2024-2025, puis de le maintenir sous 1 % du PIB en 2026-2027 et après.

Dans son récent budget, la ministre respecte chacun de ces objectifs : le déficit pour 2023-2024 est de 40 milliards $ ; le ratio prévu de la dette sur le PIB pour 2024-2025 est de 41,9 % ; et le ratio du déficit sur le PIB baisse de 0,1 % en 2024-2025, pour descendre à 0,9 % en 2026-2027, et diminuera encore ensuite.

Un interventionnisme accru

Le respect des cibles budgétaires cache cependant un interventionnisme accru, conduisant à 57,9 milliards $ de nouvelles initiatives entre 2023-2024 et 2028-2029. Bien que la ministre ait identifié des sources de revenus additionnels (nous y reviendrons sous peu), il n’en demeure pas moins que les déficits cumulés sur l’ensemble de la période augmentent de 10,3 milliards $.

On peut en conclure que ce budget est loin d’être restrictif. Entre 2023-2024 et 2024-2025, les revenus fédéraux augmenteront de 7,0 %, les dépenses de programmes de 6,7 %, et les intérêts sur la dette de près de 15 %.

Les paiements d’intérêts sur la dette connaissent une hausse significative. Après un creux de 20,4 milliards $ en 2020-2021, ils sont estimés à 54,1 milliards $ pour l’année 2024-2025 et ils seront de 64,3 milliards $ en 2028-2029. À titre illustratif, pour l’année en cours, Ottawa doit désormais consacrer l’équivalent de l’entièreté des recettes de la TPS au financement des intérêts sur la dette.

L’imposition des gains en capital à la rescousse

La ministre des Finances va chercher des recettes additionnelles essentiellement en réduisant le traitement préférentiel accordé sur les gains en capital. À lui seul, l’impact de ce changement pour les sociétés, les fiducies et les particuliers dépassera les 19 milliards $ sur 5 ans.

Depuis que les libéraux ont pris le pouvoir en 2015, plusieurs s’attendaient à un tel resserrement, notamment parce que le taux marginal d’imposition sur un gain en capital était inférieur au taux marginal d’imposition le plus élevé sur les dividendes déterminés. Cela a encouragé des planifications fiscales visant à convertir des dividendes en gain en capital. Certaines d’entre elles se sont avérées incertaines, ce qui a pour effet de créer de l’incertitude lorsque l’Agence du Revenu du Canada les conteste.

Historiquement, le gain en capital a toujours bénéficié d’un traitement préférentiel. Un tel traitement est souvent présenté comme une reconnaissance de l’effet de l’inflation dans les plus-values à long terme, ou encore comme une manière de récompenser la prise de risque. Le gouvernement fédéral l’a d’ailleurs explicitement reconnu en introduisant dans le dernier budget l’Incitatif aux entrepreneurs canadiens (qui sera expliqué plus loin).

Avant 1972, le gain en capital n’était pas imposé au Canada. C’est le budget Benson (1971) qui a réformé la définition du revenu pour y inclure partiellement le gain en capital, à hauteur de 50 %. Concrètement, cela signifiait que la moitié du gain en capital était ajoutée au revenu et imposée selon le taux applicable. L’autre portion du gain en capital demeurait soustraite à l’impôt, ce qui représentait un avantage de 50 %.

Cette proposition faisait suite à la Commission royale d’enquête sur la fiscalité (commission Carter) qui recommandait toutefois de l’inclure en totalité sous le principe de « a buck is a buck is a buck » (un dollar est un dollar est un dollar), ce qui signifie essentiellement que même si le revenu peut être gagné de diverses façons, il s’agit en fin de compte d’un revenu, et donc que tous les revenus devraient être imposés de la même manière.

Depuis plus d’une cinquantaine d’années, l’avantage a varié entre 25 % et 50 %, comme l’illustre le tableau 1.

À titre indicatif, lors de la hausse du taux d’inclusion du gain en capital ayant pris effet au 1er janvier 1988 et au 1er janvier 1990, l’annonce avait été faite en juin 1987 (lors de l’annonce de la réforme fiscale), laissant le temps aux contribuables de s’ajuster. À l’inverse, lors de la réduction du taux d’inclusion du gain en capital en 2000, les annonces prenaient effet le jour même.

Le budget 2024 vient réduire le traitement préférentiel accordé au gain en capital à 33,33 %. Autrement dit, les deux tiers du gain en capital (66,67 %) seront dorénavant ajoutés aux revenus imposables. Pour les sociétés, ce changement affecte l’ensemble des gains en capital, mais pour les particuliers, il ne concerne que la portion excédant 250 000 $ de gain en capital annuel. Cette exemption de 250 000 $ est déterminée après prise en compte des pertes en capital. Le nouveau traitement s’applique à compter du 25 juin 2024, ce qui laisse le temps aux contribuables d’organiser leur affaire avant que la mesure n’entre en vigueur.

De leur côté, les provinces ont toujours eu le même taux d’inclusion partielle des gains en capital que celui appliqué par le gouvernement fédéral. Le Québec a d’ailleurs décidé d’emboîter le pas, ce qui représente des recettes fiscales additionnelles potentielles de 3 milliards $ sur cinq ans.

Le cas des biens immobiliers

Plusieurs se sentent interpellés par la façon dont le changement va affecter le gain à la suite de la vente de biens immobiliers (immeuble locatif, résidence secondaire). Il faut rappeler que les contribuables peuvent continuer de réclamer l’exemption pour la résidence principale, ce qui fait en sorte que le gain demeure entièrement libre d’impôt. En outre, dans le cas des couples dont, par exemple, la résidence secondaire est détenue à 50 % par les conjoints, chacun d’entre eux a droit au seuil d’exemption de 250 000 $. Il faut donc que le gain en capital sur la résidence secondaire soit supérieur à 500 000 $ avant que les récentes modifications aient un effet négatif.

La disposition présumée au décès

Outre certains transferts de biens entre conjoints sans conséquence fiscale au moment du décès, le défunt est imposé sur le gain en capital accumulé au moment de la mort. Encore une fois, le seuil d’exemption de 250 000 $ s’applique, et seul l’excédent est visé par le taux d’inclusion à 66,67 %.

Un nouvel appui aux PME

Pour éviter les critiques quant à l’effet que pourrait avoir la hausse du taux d’inclusion du gain en capital sur l’entrepreneuriat, la ministre des Finances majore de 25 % l’exonération cumulative des gains en capital pour compenser la hausse du taux d’inclusion. Le nouveau plafond à vie atteindra 1,25 million $ dès le 25 juin 2024, et il sera indexé à l’inflation dès 2026.

De plus, à compter du 1er janvier 2025, un nouvel Incitatif aux entrepreneurs canadiens est mis en place pour les entrepreneurs-fondateurs. Il s’agit d’une réduction du taux d’imposition sur les gains en capital au moment de la disposition d’actions. Sur le gain admissible – soit au-delà de 1,25 million $ couvert par l’exonération cumulative du gain en capital –, le taux d’inclusion est réduit de moitié en comparaison au taux en vigueur (donc 33,33 % au lieu de 66,67 %). Le plafond cumulatif sera mis en œuvre progressivement par tranche de 200 000 $ par année, jusqu’à un maximum de 2 millions $ au 1er janvier 2034.

Le traitement plus avantageux s’appliquera donc éventuellement un gain en capital de 3,25 millions $ découlant de la vente des actions d’une entreprise, une amélioration appréciable pour ceux qui se qualifient.

Un régime d’imposition plus neutre

Aux taux d’imposition actuels au Québec, la différence entre les taux marginaux supérieurs est de près de 27 points par rapport à un revenu ordinaire comme un salaire (26,7 % contre 53,3 %), ou d’un peu plus de 13 points de pourcentage par rapport aux dividendes (26,7 % contre 40,0 %). La réduction de l’avantage associé au gain en capital de 50 % à 33,33 % réduira l’écart et permettra d’assurer une meilleure symétrie dans le traitement fiscal des dividendes et du gain en capital. Ainsi, les taux marginaux seraient davantage uniformes (35,5 % pour le gain en capital contre 40,0 % pour les dividendes déterminés). Les résultats sont similaires en Ontario.

Au-delà de l’évaluation de ce que rapportera ce changement important à la fiscalité, il faut reconnaître que dans le contexte du déséquilibre budgétaire actuel et à venir à Ottawa et dans les provinces, la décision d’aller chercher de nouveaux revenus ne pouvait être exclue. D’une certaine façon, au Québec, le plan de retour à l’équilibre budgétaire du ministre Girard a reçu un coup de pouce d’Ottawa !

 

Marie-Josée DutilTEST

Marie-Josée Dutil est détentrice d’un baccalauréat en actuariat de l’Université Laval. Elle a débuté sa carrière en 2008 à la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances. Elle a joint le Conseil de gestion de l’assurance parentale en 2014 à titre de responsable des indicateurs de gestion et des statistiques, en plus d’assister l’actuaire en chef dans l’élaboration des évaluations actuarielles annuelles.

Barbara BoraksTEST

Barbara Boraks is a member of Coalition Canada basic income – revenu de base. She is an organizer and lead of the P.E.I. project.

Voici la meilleure façon d’aider rapidement les Canadiens les plus démunisTEST

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Les Canadiens les plus démunis ont besoin de soutien supplémentaire, et rapidement.

Ce n’est pas nouveau. Les prestations provinciales d’aide sociale, qui servent à se procurer de la nourriture et d’autres produits de première nécessité, sont inférieures au seuil de pauvreté officiel du Canada depuis au moins 2013. Mais la situation s’est considérablement aggravée en raison de la poussée inflationniste qui a suivi la pandémie.

En Ontario, où le seuil de pauvreté officiel était de 27 631 $ en 2022, un adulte célibataire en âge de travailler recevait 10 253 $ en aide sociale. C’est en Alberta, en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick que l’aide sociale est la moins généreuse.

La recherche montre que des transferts monétaires ciblés peuvent réduire la pauvreté et l’insécurité alimentaire, en plus d’aider à combler les besoins de base. Les gouvernements ont fait des progrès considérables dans la réduction des taux de pauvreté chez les personnes âgées et les enfants grâce à des programmes tels que la Pension de la sécurité de vieillesse, le Supplément de revenu garanti et l’Allocation canadienne pour enfants.

Mais certains groupes passent à travers les mailles du filet. Les taux de faibles revenus restent élevés chez les personnes monoparentales et chez les adultes célibataires en âge de travailler et sans enfant.

Mes propres travaux indiquent que le moyen le plus rapide et le plus efficace de réduire de manière significative les taux de faibles revenus est d’augmenter le crédit de TPS/TVH pour les adultes en âge de travailler et leurs enfants – ou, au Québec, le crédit pour la TPS et la TVQ.

Cela permettrait également de lutter contre l’insécurité alimentaire croissante. En 2022, 18 % des Canadiens n’avaient pas un accès stable à une alimentation suffisante, contre 16 % en 2021 et 17 % en 2019. Plus de 40 % de ces familles étaient dirigées par des mères célibataires, tandis que plus d’un tiers des familles noires et autochtones souffraient d’insécurité alimentaire.

La fréquentation des banques alimentaires est également en hausse. Banques alimentaires Canada a enregistré près de deux millions de visites dans l’ensemble du pays en mars 2023, le dernier mois pour lequel des données sont disponibles. Il s’agit d’une hausse de 32 % par rapport à la même période en 2022, et de plus de 78 % par rapport à 2019. Les adultes célibataires en âge de travailler représentaient 44 % des utilisateurs, l’un des plus grands sous-ensembles de visiteurs.

Ces tendances sont inquiétantes. Pour faire baisser les prix des produits alimentaires, le gouvernement fédéral a annoncé des mesures visant à stimuler la concurrence entre les grandes chaînes d’épicerie, mais il est peu probable que ces efforts aient à eux seuls un impact significatif.

De plus, les causes de l’insécurité alimentaire ne se limitent pas aux prix des aliments. La forte hausse du coût du logement, des taux d’intérêt, de l’essence et des transports pèse également sur le budget des familles. Bien des ménages doivent choisir entre manger ou payer le loyer. C’est souvent la nourriture qui écope.

La recherche indique également qu’une aide au revenu est le meilleur moyen de réduire l’insécurité alimentaire. Le Conseil d’action sur l’abordabilité, un groupe non partisan d’experts politiques et de responsables communautaires, m’a demandé de rechercher et d’évaluer la manière la plus efficace et la plus rentable d’augmenter l’aide fédérale pour les ménages à faibles revenus.

J’ai examiné les réformes possibles des programmes de transfert de fonds existants, notamment le Crédit pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée, l’Allocation canadienne pour enfants et l’Allocation canadienne pour travailleurs, puisque ces réformes peuvent être mises en œuvre plus rapidement qu’une nouvelle prestation.

J’en ai conclu que le gouvernement fédéral devrait élargir le crédit TPS/TVH existant pour les adultes en âge de travailler et leurs enfants.

Ce crédit est une prestation générale accessible à tous les types de familles, y compris les adultes célibataires en âge de travailler et les familles monoparentales, et qui arrive bien à cibler les ménages à faibles revenus. L’Allocation canadienne pour enfants ne s’adresse qu’aux familles avec enfants et l’Allocation canadienne pour les travailleurs ne s’adresse qu’aux personnes ayant un faible revenu d’emploi.

Toutefois, le crédit existant pour la TPS/TVH est modeste. Il prévoit une prestation de base de 325 $ par an par adulte et de 171 $ par an, par enfant. Les adultes célibataires bénéficient de leur côté d’un montant annuel supplémentaire de 171 $, qui s’applique progressivement aux revenus supérieurs à 10 544 $.

Dans l’ensemble, les adultes célibataires reçoivent donc un maximum de 496 $ par an et les couples sans enfant un maximum de 650 $ par an.  Les couples avec un enfant reçoivent un maximum de 821 $ par an, comme les parents célibataires ayant un enfant, qui sont considérés comme un couple avec un enfant aux fins du calcul.

Je recommande au gouvernement fédéral de privilégier l’une des deux options suivantes : accorder un crédit mensuel de 100 $ par adulte en âge de travailler, réparti uniformément entre les ménages à revenus faibles et moyens, ou de 150 $ par mois aux personnes en situation de grande pauvreté. Les deux options toucheraient environ 10 millions de ménages et ajouteraient entre 10 et 11 milliards $ à ce qu’Ottawa dépense pour ces prestations.

Je ne recommande pas d’étendre le complément aux personnes âgées de 65 ans et plus, car elles sont moins susceptibles d’avoir un faible revenu ou de souffrir d’insécurité alimentaire. Toutefois, elles continueraient à recevoir le même montant qu’aujourd’hui.

Je recommande également que le crédit de taxes élargi soit versé mensuellement et non plus trimestriellement, comme c’est le cas actuellement. Cela permettrait de répartir les paiements de manière uniforme tout au long de l’année et assurerait aux bénéficiaires une plus grande stabilité dans la couverture des dépenses quotidiennes.

Quelle que soit la méthode de transfert de fonds retenue, certaines personnes qui auraient droit à la prestation proposée ne la recevraient pas. En effet, les aides au revenu sont distribuées par l’Agence du revenu du Canada et ne sont donc versées qu’aux personnes qui remplissent une déclaration de revenus. Or, jusqu’à 12 % des Canadiens ne remplissent pas de déclaration.

Il s’agit le plus souvent de personnes vivant dans la pauvreté, par exemple des Autochtones (en particulier les mères), des sans-abri et des bénéficiaires de l’aide sociale – ceux-là mêmes qui ont le plus besoin d’aide.

Dans le budget 2023, le gouvernement fédéral annonçait la prochaine mise à l’essai d’un service automatique de déclaration de revenus pour les Canadiens dont le revenu est faible ou fixe et qui ne remplissent pas de déclaration. Ottawa a depuis élargi un système moins ambitieux de déclaration de revenus par téléphone, mais n’a pas mis en œuvre le service automatique. Il devrait le faire dès que possible.

Sur la base de mon analyse, le Conseil d’action sur l’accessibilité a recommandé, dans un rapport publié en décembre 2023, que le gouvernement fédéral restructure et élargisse le crédit pour la TPS/TVH et le renomme « Allocation pour l’épicerie et les besoins de base ».

La prestation proposée s’appuierait sur le remboursement unique des frais d’épicerie mis en place par le gouvernement fédéral en 2023. L’option choisie par le Conseil donnerait 150 $ par mois par adulte (1800 $ par an) et 50 $ par enfant (600 $ par an) aux ménages aux revenus les plus faibles.

Il est peu probable que ce complément contribue à l’inflation, car toute aide au revenu supplémentaire que les familles à faible revenu reçoivent est susceptible d’être consacrée à l’achat de nourriture et d’autres produits de première nécessité, et non à des articles de luxe.

Néanmoins, les ménages les plus modestes ne devraient pas avoir à supporter le fardeau de la lutte contre l’inflation. Chacun devrait pouvoir se nourrir et payer son loyer.

Le gouvernement fédéral a récemment annoncé qu’il dépenserait 1 milliard $ sur cinq ans pour lancer un programme national d’alimentation scolaire, qui devrait permettre de fournir des repas à 400 000 enfants chaque année à partir de 2024-25. Ce programme est un pas dans la bonne direction, mais d’autres mesures sont nécessaires.

Pour réduire de manière significative les taux de faibles revenus et l’insécurité alimentaire croissante, le Canada a besoin d’un programme de transferts de fonds ciblés plus généreux. L’élargissement du crédit pour la TPS/TVH est le moyen le plus rapide et le plus efficace d’y parvenir.

Le budget fédéral est l’occasion de combler les lacunes de notre système de santéTEST

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Les soins primaires ne répondent pas aux besoins de plusieurs Canadiennes et Canadiens en matière d’universalité, d’intégralité et d’accessibilité, et ce, malgré l’inscription de ces principes fondamentaux dans la Loi canadienne sur la santé.

Le Canada dispose actuellement d’un ensemble hétéroclite de centres de soins de première ligne indépendants, qui mènent leurs activités sans attentes claires en matière de rendement et de reddition de comptes. C’est notamment en raison de la structure de ce système, plutôt que de circonstances imprévues, que tant de travailleurs de la santé sont épuisés et que 6,5 millions de Canadiens sont privés d’un accès simple et régulier aux soins.

À quelques exceptions près, les soins primaires complets et centrés sur la personne ne sont ni accessibles ni efficaces pour les patients ayant des besoins complexes. Or, ce dysfonctionnement semble étonnamment toléré par des travailleurs épuisés et un public désabusé.

Une stratégie modérée et progressive – comprenant des projets pilotes à court terme, un recrutement international accru et de nouvelles écoles de médecine – est inefficace, éthiquement douteuse ou tout simplement irréaliste. Elle n’entraînera pas les changements nécessaires.

Le gouvernement fédéral a une occasion unique et opportune de corriger le tir avec son budget de 2024. Il faut investir dans la formation aux soins primaires dispensés par des équipes et dans l’élaboration d’indicateurs de rendement et de normes régissant la reddition de comptes. En outre, Ottawa devrait se concentrer sur les technologies du 21e siècle et montrer l’exemple dans un domaine complexe où les compétences sont partagées avec les provinces et les territoires.

Un large consensus existe

Malgré l’inertie qui caractérise la « réforme » des soins de première ligne au Canada, il existe un large consensus sur les mesures devant être prises : une réorganisation à grande échelle du système de santé et une réelle responsabilisation de chaque instance. Ces mesures doivent être soutenues par un financement substantiel, ciblé et suffisant pour marquer un véritable changement.

Les rapports se succèdent pour demander la mise en place d’un système de soins primaires qui dépasse ses racines artisanales, afin d’offrir à chaque Canadien un accès opportun et continu à des équipes de santé qui mettent à profit l’ensemble des compétences de leurs spécialistes.

Dans un monde idéal où le fédéralisme serait davantage axé sur la collaboration, Ottawa et ses partenaires négocieraient des augmentations significatives de la proportion des transferts fédéraux vers les soins de première ligne. L’histoire laisse plutôt entrevoir qu’un tel résultat est peu probable.

Le Québec encore seul dans sa défense des pouvoirs provinciaux

Face au vieillissement des Canadiens, les provinces doivent collaborer

La santé publique doit devenir une priorité

Créer une banque de données des effectifs en santé

Adopter une approche d’équipe

Une autre solution serait d’amorcer un changement transformationnel.

Il faudrait d’abord adapter et arrimer les soins primaires à leur finalité. La population actuelle est en moyenne 20 ans plus âgée que lors de l’implantation de l’assurance-maladie.

Des millions de Canadiens ont des besoins multiples et complexes, en particulier les personnes âgées fragiles, les personnes souffrant de maladies chroniques, les groupes socioéconomiques et culturels marginalisés et les personnes souffrant de problèmes de santé mentale ou de dépendance. Aucun médecin de famille ou personnel infirmier praticien ne peut gérer seul des cas aussi complexes.

Pour réussir, il faut un village, c’est-à-dire des équipes interdisciplinaires de soins primaires. Les soins de première ligne complets doivent inclure la santé mentale, la réadaptation, la pharmacie et la diététique, mais aussi couvrir un éventail de diagnostics et des partenariats avec d’autres organismes communautaires. Il faut aussi se doter d’une infrastructure adéquate : des bâtiments conçus pour accueillir des équipes et un excellent système d’information sur la santé.

Le gouvernement fédéral devrait être la source de « capital de risque » pour les soins de santé.

Les investissements intelligents libèrent et exploitent le potentiel de leadership organisationnel et clinique, facilitent les conversations difficiles et soutiennent une combinaison d’innovations descendantes et ascendantes.

À cette fin, le budget de 2024 doit adopter des mesures pour soutenir l’innovation à grande échelle dans notre système de santé. Cela se traduit notamment par l’octroi de davantage de fonds aux provinces et aux territoires, dont les plans sont les plus ambitieux en matière de modèles de soins primaires fondamentalement nouveaux, conçus pour servir ceux qui en ont le plus besoin.

Quelles mesures doivent être prises ?

Voici quatre mesures précises que le gouvernement fédéral devrait intégrer dans son budget :

1. Investir dans de nouvelles approches de la formation aux soins primaires. Les soins interdisciplinaires dispensés par des équipes ne seront jamais pleinement réalisés si les prestataires continuent d’être formés individuellement. Au lieu d’écoles de médecine, de sciences infirmières et de physiothérapie, il devrait y avoir des écoles de soins primaires où les étudiantes et les étudiants apprennent les bases de la santé, de la maladie, de la santé de la population et des déterminants sociaux de la santé.

Les étudiantes et les étudiants devraient également apprendre dès le premier jour à travailler en équipe ainsi qu’à organiser et déployer les ressources et les talents de l’équipe dans l’intérêt de leurs patients (et de leur propre durabilité).

Les écoles de soins primaires ne devraient pas être des points d’entrée vers une spécialisation au sein d’établissements. Elles devraient être les centres de formation d’un secteur des soins primaires en pleine expansion et beaucoup plus compétent, tout en assurant la majeure partie de l’éducation permanente.

2. Investir dans le développement d’indicateurs de rendement, dans des stratégies d’optimisation du personnel et dans des politiques visant une véritable reddition de comptes sur la qualité, l’efficacité et les résultats des soins primaires.

Ces mesures devraient être conçues et adoptées conjointement par les gouvernements, les prestataires, les équipes de recherche et le public. Les données qui permettront d’évaluer le rendement du système et son amélioration devraient être générées en temps réel et être facilement accessibles à toutes les parties impliquées.

Par l’intermédiaire de ses organisations de santé pancanadiennes, le gouvernement fédéral pourrait également bonifier ses rapports publics sur le rendement en guise d’élément clé de l’amélioration continue de la qualité des services. Cela permettrait de renforcer la reddition de comptes et de mieux informer le public. Des initiatives concomitantes de recherche et d’évaluation solides et intégrées permettraient d’universaliser et d’étendre les approches les plus solides.

3. Soutenir l’adoption de processus et de technologies du 21esiècle afin de rendre les soins primaires plus accessibles, pratiques et efficaces. Déjà, de nombreuses personnes préfèrent les rendez-vous en ligne, souhaitent accéder à leur dossier médical électronique et veulent naviguer sur des sites Web de haute qualité, alimentés des données probantes, qui soutiennent l’autogestion et les aident à prendre des décisions.

Considérer les patients comme des partenaires pourrait devenir la nouvelle norme. Bien entendu, ces transformations comportent des incertitudes, des risques et des conséquences imprévues auxquels les prestataires et le public devront s’adapter.

4. Le gouvernement fédéral devrait montrer l’exemple en développant les soins primaires les plus innovants.

La responsabilité du gouvernement en matière de services de santé pour les Autochtones est l’occasion idéale de maximiser son impact. Il existe un besoin particulier de soins dispensés par des équipes autochtones et dirigées par des Autochtones, qui intègrent et reconnaissent les rôles essentiels des anciens, des herboristes, des sage-femmes autochtones et d’autres personnes au sein d’équipes interdisciplinaires innovantes.

Les centres médicaux, dentaires et de physiothérapie des Forces armées canadiennes au Canada et à l’étranger pourraient soutenir la diffusion des innovations en matière de services de soins primaires en adoptant et en présentant des pratiques de pointe fondées sur le travail d’équipe.

Voir plus loin que les transferts fédéraux

Bien entendu, le fédéralisme fait en sorte qu’Ottawa ne peut pas dicter de solutions aux provinces et aux territoires ni imposer unilatéralement des conditions strictes à ses transferts de fonds. Ce système politique peut néanmoins soutenir le travail nécessaire pour amorcer un changement significatif.

Par rapport aux autres pays riches de l’OCDE, le Canada investit beaucoup trop peu dans les soins primaires.

Il est temps de voir plus grand que les fonds fédéraux de transition pour les soins primaires d’il y a vingt ans. Ces fonds étaient alloués à des microprojets qui n’étaient pas assez importants pour être universalisés et adaptés, et qui n’étaient dotés d’aucun ensemble cohérent de principes et de responsabilités favorisant la transformation du système.

La population canadienne doit également se mobiliser, hausser ses attentes et ses exigences et être ouverte à l’innovation, en reconnaissant que les soins primaires ne se limitent pas à l’accès à un médecin de famille. Il ne faut pas lancer de fleurs aux gouvernements lorsqu’ils investissent des fonds qui ne contribuent qu’à maintenir le statu quo.

Aucune patience ne doit être accordée aux gouvernements qui veulent simplement plus de fonds fédéraux sans rendre compte des améliorations qui en découleraient. Après tout, il s’agit de l’argent des contribuables et c’est à eux que tous les niveaux de gouvernement doivent faire rapport.

Il faut exiger que les deux niveaux de gouvernement s’entendent, car la santé et les soins de santé sont l’affaire de tous. La clé de la mobilisation est de montrer que la transformation n’est pas une utopie, mais qu’elle est à la fois nécessaire et réalisable grâce à une stratégie solide, des investissements prudents et une conception efficace.

Il est temps de se mobiliser, d’amorcer des conversations difficiles, de prendre des risques innovants et de mettre en place le système que la population canadienne mérite.

La production agroalimentaire est un actif stratégique pour le CanadaTEST

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La plupart des Canadiens n’interagissent avec l’agriculture qu’à l’épicerie, où ils s’inquiètent souvent de la hausse des prix des denrées. Compte tenu de leurs autres préoccupations quotidiennes et de la distance qui sépare leur lieu de résidence, leur milieu de travail et leur supermarché de la plupart des fermes, il n’est guère étonnant que de nombreuses personnes ne soient pas conscientes de l’importance du rôle du secteur agricole.

Pourtant, l’agriculture est un actif stratégique de plus en plus important pour le Canada et le temps est venu de la placer au cœur de ses projets futurs.

Le budget fédéral d’avril est l’occasion d’adopter une vision plus stratégique et ambitieuse de l’agriculture et de l’alimentation, avec des investissements axés sur la croissance et la prospérité durable du secteur, en plus d’une série d’autres mesures.

Cependant, l’agriculture et l’alimentation ont une dynamique unique qui en fait un secteur plus riche en défis que beaucoup d’autres. En fait, il est souvent inapproprié de les considérer comme un « secteur ». Il s’agit plutôt d’un ensemble de chaînes produisant des biens de consommation très différents, destinés à des marchés nationaux et internationaux très variés.

Par exemple, les vaches et les cochons représentent tous deux des sources de protéines animales, mais la production de bœuf et de porc nécessite des approches très différentes. Ces produits se retrouvent également sur des marchés différents. En 2022, 43 % de la viande bovine canadienne a été exportée, contre près de 70 % pour la viande de porc.

Aussi, un agriculteur de l’ouest du pays peut cultiver du canola, du blé et des légumineuses en rotation, mais le canola peut finir comme carburant diesel renouvelable, le blé moulu en farine au Canada et dans le monde entier, et les légumineuses sont exportées vers l’Inde, où les cultures de la Saskatchewan s’inscrivent dans une relation géopolitique difficile.

Les secteurs soumis à la gestion de l’offre se concentrent sur le marché intérieur, cherchant à tirer parti de la croissance rapide de la population canadienne. Il y a ensuite les différences avec les cultures plus petites, mais importantes, telles que les pommes de terre, les légumes de serre, etc.

Les exploitations agricoles sont toutes différentes et nécessitent des politiques adaptées

Plutôt que d’être dirigée par un petit groupe de grandes entreprises, comme c’est le cas pour les industries automobile, minière et forestière, l’agriculture repose entre les mains de 200 000 agriculteurs canadiens tous différents les uns des autres.

Cette diversité au sein de l’industrie agroalimentaire complique l’élaboration de stratégies sectorielles, comme on en voit pour les minéraux critiques, les véhicules électriques et les énergies renouvelables.

La complexitĂ© de ce dĂ©fi ne signifie toutefois pas qu’il ne faut pas s’y attaquer.

Le gouvernement fédéral travaille sur une stratégie en matière d’agriculture durable. Toutefois, il peine à lier sa vision aux intérêts économiques, géopolitiques et stratégiques plus larges du Canada.

Or, ce lien est pourtant au cœur de la Stratégie canadienne sur les minéraux critiques, qui considère ces derniers comme « l’occasion d’une génération » pour les travailleurs, l’économie et l’avenir carboneutre du Canada.

L’augmentation de la demande mondiale, la crise alimentaire provoquée par « les conflits, les chocs économiques, les extrêmes climatiques et la flambée des prix des engrais », de même que la position du Canada en tant que fournisseur de cultures et de produits animaux à faible teneur en carbone ne sont que quelques-unes des raisons pour lesquelles l’agriculture et l’alimentation peuvent et doivent alimenter les opportunités pour les générations futures au Canada.

Le budget fédéral de 2022 a consolidé l’engagement du Canada à l’égard de l’exploitation, sur plusieurs générations, des minéraux critiques avec un investissement de 3,8 milliards $ dans les infrastructures, la recherche et les données, ainsi qu’un crédit d’impôt pour encourager l’exploration minière.

Le budget de mardi pourrait inclure des avancées similaires pour l’agroalimentaire.

Celles-ci pourraient s’appuyer sur des propositions telles que l’initiative sur les chaînes de valeur de l’agriculture durable, le développement d’innovations en matière d’agrotechnologie ou la poursuite de l’augmentation des exportations agroalimentaires vers l’Indo-Pacifique.

Dossier : l’agriculture canadienne à la pointe du secteur

Une occasion historique Ă  saisir dans le secteur agricole

Le Canada a besoin d’une audacieuse stratégie en santé des sols

Grandeurs et misères du porc du Québec

Occasions ratées

Ottawa a déjà fait quelques pas dans cette direction, mais continue de rater l’occasion d’adopter une approche stratégique plus ambitieuse. Le budget de cette année peut corriger cette situation en associant la durabilité à la croissance et à la prospérité tout en positionnant le secteur comme un atout géopolitique.

Le budget de cette année pourrait garnir la boîte à outils politique de l’industrie, comme celui de 2023 a adopté des crédits d’impôt pour stimuler la croissance de l’économie propre. Le budget de cette année pourrait faire de même pour encourager les investissements dans l’agriculture et l’alimentation.

Le budget 2023 a présenté le plan du Canada pour une économie propre sous la forme d’un triangle simple dont la base est la tarification de la pollution, progressant vers des programmes ciblés au sommet.

Une stratégie agricole dans le budget d’avril pourrait établir des priorités, notamment en matière de protéines animales et végétales, de croissance durable, de productivité, de R&D, d’infrastructures et de commerce.

Plutôt qu’une base de tarification de la pollution, le triangle pourrait se baser sur un meilleur accès aux marchés nationaux et internationaux en mettant en œuvre un code de conduite pour les épiciers et en investissant dans les infrastructures ; un cadre réglementaire qui favorise l’innovation et la croissance ; des crédits d’impôt pour encourager l’investissement et la durabilité ; un financement stratégique pour combler le déficit de capitaux ; et une pointe au sommet de programmes ciblés pour stimuler la R&D et développer les chaînes de valeur.

L’un des plus grands avantages d’une stratégie axée sur l’agriculture et la croissance alimentaire est peut-être le moins tangible.

La fracture rurale-urbaine

Le fossé entre le Canada rural et le Canada urbain « se creuse », écrit l’auteur Donald Savoie dans le Globe and Mail.

De plus en plus de voix réclament une politique élaborée avec une lunette rurale. La décision d’exempter les combustibles de chauffage domestique de la taxe carbone est un exemple de « la façon dont les petites communautés et leurs habitants sont souvent négligés dans la conversation nationale », selon Derek Nighbor, président et directeur général de l’Association des produits forestiers du Canada.

La décision d’exonérer de la taxe carbone l’huile de chauffage dans le Canada atlantique, mais pas le propane et le gaz naturel utilisés pour le séchage des céréales et le chauffage des granges, a perpétué la perception d’un fossé entre les zones rurales et les zones urbaines.

Le budget fédéral de ce mois d’avril est l’occasion de combler ce fossé et de donner au Canada rural la place qui lui revient dans l’élaboration de politiques nationales. Il s’agirait du même coup d’un bienfait pour l’économie, pour la durabilité et pour l’avenir du pays.

L’union parentale, une réforme trop timideTEST

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Depuis 1980, l’union de fait s’est imposée comme le mode dominant de vie conjugale au Québec. Durant ce temps, l’Assemblée nationale n’a pourtant jamais touché aux rapports entre conjoints de fait, dont la relation n’entraîne ni droits ni obligations en vertu du droit familial.

Cette longue inaction a pris fin avec le dépôt par le ministre de la Justice, le 27 mars dernier, du projet de loi 56 portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d’union parentale. Toutefois, cette réforme attendue depuis longtemps soulève des réticences, voire des inquiétudes.

La clé de voûte de la réforme est la reconnaissance d’un statut juridique aux conjoints de fait qui deviendront parents d’un même enfant après le 29 juin 2025. L’union parentale conférera à la résidence de ces couples les protections de la résidence familiale sous le droit matrimonial. Elle entraînera aussi la constitution d’un patrimoine d’union parentale, une version allégée du patrimoine familial des époux. De plus, cette réforme permettra à un conjoint en union parentale de réclamer à l’autre une prestation compensatoire en cas de rupture.

Il convient de souligner d’emblée que le projet de loi comporte de bonnes propositions favorisant l’accès à la justice. Notamment, il habilitera le tribunal à mieux sanctionner les abus de procédure en matière familiale en tenant compte de la violence familiale. Il faut cependant considérer les effets discutables de la réforme pour les enfants, les futurs conjoints en union parentale et les conjoints de fait qui y échapperont.

Les conjoints de fait devraient aussi être protégés

Ouvrir le débat sur la réforme du droit de la famille au Québec

Plusieurs catégories d’enfants

Le ministre de la Justice dit vouloir créer « un filet de sécurité pour les enfants dont les parents vivent en union libre. […] En cas de séparation, il fallait protéger les enfants ». Il s’agit d’un objectif louable. La proposition paraît toutefois rater sa cible, du moins dans de nombreux cas.

Certes, l’étendue élargie du régime de la résidence familiale peut assurer une certaine stabilité lors d’une rupture. Ce régime permet au tribunal d’attribuer au conjoint auquel il accorde la garde d’un enfant un droit d’usage de la résidence familiale. Or, en raison du caractère prospectif du régime, celui-ci n’assurera aucune nouvelle protection aux enfants qui sont nés ou qui naîtront de parents en union de fait d’ici le 29 juin 2025. Qui plus est, le critère de la prise en charge de l’enfant commun aux conjoints laisse de côté les nombreux autres enfants qui vivent dans une famille recomposée, sans lien de filiation avec le conjoint de leur parent.

Par ailleurs, l’union parentale prodiguera à ces enfants à naître une protection bien plus mince que celle dont profitent les enfants nés de parents mariés. Lors du divorce, une pension alimentaire au profit de l’époux le moins fortuné peut pallier son besoin ou amortir les contrecoups financiers de l’éducation des enfants. En revanche, l’union parentale n’imposera aux conjoints aucune mesure basée sur la solidarité familiale, comme l’obligation alimentaire. La stabilité et la sécurité économiques du parent moins favorisé, y compris au moment où survient la rupture, sont pourtant inséparables de celles de l’enfant.

Bref, les enfants québécois, qui sont censés s’inscrire au cœur des préoccupations du gouvernement, se classeront en trois catégories. D’abord, ceux nés de conjoints mariés garderont leurs protections actuelles. Ensuite, ceux nés ou adoptés en union de fait à partir de juin 2025 profiteront d’une version réduite de ces protections matrimoniales. Enfin, ceux qui sont nés en union de fait avant l’entrée en vigueur de la réforme, ou qui vivent dans une famille recomposée, resteront négligés par rapport aux autres.

Cette relégation semble contredire l’esprit, sinon la lettre, de la déclaration fondamentale de l’article 522 du Code civil : « Tous les enfants dont la filiation est établie ont les mêmes droits et les mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur naissance ».

Des gains mitigés pour les parents affectés

Quant aux parents soumis au nouveau statut, nous avons vu qu’une union qui ne comporte aucune mesure basée sur la solidarité manque singulièrement de contenu.

En outre, il faut examiner de plus près la proposition de codifier le droit du conjoint en union parentale de réclamer de l’autre une prestation compensatoire. Ce recours, déjà disponible pour les époux, exige que le demandeur prouve sa contribution à l’enrichissement de l’autre ainsi que son appauvrissement corrélatif. Le fardeau de la preuve est lourd et le résultat, incertain.

Or, l’incertitude ne fera vraisemblablement que s’accroître au vu de la jurisprudence sur la prestation compensatoire entre époux. En effet, celle-ci s’est élaborée autour de l’opposition entre les « avantages que procurent le régime matrimonial et le contrat de mariage », dont le patrimoine familial, et les contributions extraordinaires à l’enrichissement du patrimoine de son époux (article 427 du Code civil). Comment cette jurisprudence pourra-t-elle s’appliquer au contexte différent de l’union parentale ?

Plus inquiétant encore, la possibilité de réclamer une prestation compensatoire pourrait être moins avantageuse que l’état actuel du droit. À l’heure actuelle, un conjoint de fait, quoiqu’exclu des régimes matrimoniaux, peut se prévaloir du recours en enrichissement injustifié issu du droit commun.

Au fil des années, la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel du Québec ont assoupli les conditions de son application afin de tenir compte de la spécificité de l’union de fait. Ces tribunaux ont reconnu entre autres que l’union de fait se qualifiant de « coentreprise familiale » peut justifier un partage de la valeur accumulée durant la relation.

Bien que le recours ainsi ajusté à l’union de fait demeure imparfait, il s’agit d’un outil important. Or, l’enrichissement injustifié étant un recours subsidiaire, il est exclu lorsque le demandeur peut faire valoir un autre droit contre l’enrichi. Le droit de demander une prestation compensatoire viendra-t-il écarter le recours bonifié en enrichissement injustifié, au détriment des demandeurs potentiels ?

Plusieurs couples mis de côté

En signalant les distinctions entre enfants que creusera la réforme, nous entrevoyons de nombreux couples qui seront laissés pour compte. Il s’agit des conjoints de fait dont les enfants sont nés avant le 29 juin 2025 ainsi que ceux qui, en situation de famille recomposée, élèvent un enfant qui n’a de lien de filiation qu’avec un des deux conjoints.

Toutefois, l’union de fait sans enfant peut, elle aussi, occasionner un investissement dans le projet du couple et engendrer un déséquilibre économique. Les soins prodigués par un conjoint, souvent une femme, aux parents âgés de l’autre peuvent en être un facteur majeur. Rappelons à cet égard la célèbre affaire d’Éric c. Lola. Cinq juges de la Cour suprême du Canada ont clairement reconnu l’exclusion de l’union de fait du droit familial comme étant discriminatoire, quoique constitutionnelle. Dans cette affaire, qui est reconnue comme un catalyseur principal de la réforme proposée, il était question de toutes les unions de fait, sans isoler celles bâties autour d’un enfant commun.

Somme toute, le projet de loi reste perfectible. Son champ d’application est plus étroit que nécessaire. De toute manière, la liberté et l’autonomie des couples sont sauvegardées par la possibilité, prévue par la réforme, de renoncer à ses mesures phares par consentement. Quant à l’objectif louable de protéger les enfants, le projet promet trop peu, à trop peu d’entre eux.

Dale McMurchyTEST

Dale McMurchy est chercheur et conseiller indépendant dans le domaine des soins de santé, spécialisé dans les soins primaires et la santé publique.

Le programme canadien d’adoption du numérique : 60 fois pire qu’ArriveCANTEST

(English version available here)

Donner quelques milliards de dollars peut être plus difficile que vous ne l’imaginez.

Ce n’est peut-être pas pour la philanthrope américaine MacKenzie Scott, qui a fait don de 16 milliards $ au cours des cinq dernières années, avec une efficacité saluée. En comparaison, notre gouvernement fédéral n’a pas réussi à distribuer les 4 milliards $ prévus au budget de son programme d’adoption du numérique (PCAN).

Lancé pendant la pandémie en 2022, le programme devait couvrir 90 % des coûts déboursés par les entreprises pour identifier les moyens de mettre à jour leurs technologies en ligne. Il ouvrait ensuite la porte à des prêts publics sans intérêt pouvant aller jusqu’à 100 000 $ pour la mise en œuvre de ces mesures.

Après avoir dépensé moins d’un cinquième du budget qui y était alloué, le gouvernement a mis fin au programme en février dernier, deux ans avant l’échéance prévue. Une subvention plus modeste pouvant aller jusqu’à 2400 $ et destinée aux petites entreprises pour la création de sites web reste toutefois disponible.

La nouvelle n’a pas reçu l’attention qu’elle aurait dû avoir. Le gâchis de 60 millions $ d’ArriveCAN a suscité une indignation soutenue et des critiques virulentes, mais le programme d’adoption numérique a été largement ignoré. Le PCAN n’a été mentionné que six fois au Parlement dans la dernière année, contre près de 1000 fois pour ArriveCAN, malgré un budget 60 fois plus élevé.

Ce déséquilibre est regrettable. Un meilleur contrôle est nécessaire pour résoudre les problèmes dès la mise en œuvre des programmes, et pas seulement d’une reddition de comptes plus tard. Si quelque chose vaut la peine d’être fait et vaut qu’on investisse 4 milliards $, cela vaut la peine d’être bien fait.

Le PCAN a été conçu parce que les entreprises canadiennes investissent toujours moins dans les technologies numériques que leurs concurrents internationaux. Seule 1 petite ou moyenne entreprise sur 20 utilise la technologie de manière efficace.

Alors, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Il faudra plus de transparence de la part du gouvernement pour en avoir le cœur net.

Si l’on considère la manière dont le programme a été conçu et géré, on comprend mieux pourquoi les entreprises ont pu refuser de l’argent tombé du ciel. Le processus était fastidieux. Avant même de parler avec un consultant, les entreprises devaient naviguer sur un site web jargonneux pour choisir si elles souhaitaient « développer leurs activités commerciales en ligne » ou « améliorer les technologies de leur entreprise ».

Elles devaient également se frayer un chemin à travers un processus de demandes centralisé et un marché hébergé par le gouvernement. Cela signifie qu’elles devaient passer du temps à apprivoiser de nouveaux comptes et de nouvelles plateformes, puis trier des fournisseurs classés en fonction des règles du programme plutôt que de la manière dont les entreprises les choisissent habituellement.

Le programme était trop rigide. Les entreprises pouvaient choisir parmi une liste de consultants approuvés par le gouvernement et le type de conseils que ceux-ci pouvaient fournir était défini de façon précise.

Chaque plan d’adoption du numérique devait suivre un modèle standardisé comprenant une évaluation de toutes les technologies actuelles, que le demandeur soit une simple boutique, une petite usine ou une firme de génie employant plus de 80 personnes.

Il y a également eu une pénurie de consultants. On a mis fin très tôt aux demandes d’inscription dans un souci de rapidité en raison de la pandémie. De nombreuses firmes se sont montrées prêtes à fournir des estimations pour un montant correspondant exactement au maximum autorisé de 15 000 $, mais d’autres ont été rebutées par les limites du programme ou n’en ont pas eu connaissance assez tôt pour respecter la date limite.

Les clients potentiels n’avaient donc qu’un nombre restreint de consultants parmi lesquels choisir, surtout s’ils espéraient quelqu’un étant familier avec leur secteur.

Il est facile de critiquer de l’extérieur. Mais le véritable enjeu ne touche pas les lacunes du programme; il concerne plutôt l’absence de réponse lorsque ces failles ont été relevées.

Le journaliste Paul Wells a écrit sur le retard des demandes dans une partie du PCAN plus d’un an avant sa fin. Les difficultés auraient déjà dû être douloureusement évidentes pour le gouvernement, mais Ottawa s’en est tenu au statu quo pendant une année supplémentaire avant de mettre discrètement fin au programme.

Admettre ses erreurs et ne pas les répéter

Le Canada est confronté à des défis bien plus complexes que celui de persuader les propriétaires de petites entreprises de transférer leurs données dans le nuage. Mais sur ces autres enjeux, le pays suit trop souvent le principe de sagesse suivant : « Si vous ne réussissez pas du premier coup, continuez pendant un an, puis arrêtez et espérez que personne ne posera de questions ».

Par exemple, quelques jours après la fin du programme d’adoption du numérique, la Société canadienne d’hypothèques et de logement a discrètement supprimé l’incitatif à l’achat d’une première propriété qui, il y a seulement quelques années, était un élément central de la stratégie nationale d’Ottawa en matière de logement.

La décision de mettre fin à ces programmes plutôt que de les réformer ou de les remplacer était peut-être la bonne. Mais cette décision aurait pu être prise plus tôt, avec moins d’argent en jeu et moins d’entreprises laissées en plan.

Une approche progressive incluant des tests auprès des utilisateurs, aurait pu permettre de détecter et de remédier aux lacunes que comportaient ces programmes. Il n’est pas nécessaire pour cela de procéder à des consultations ou à des projets pilotes sans fin. Au sud de la frontière, l’Internal Revenue Service (IRS) lance un nouveau service de déclaration d’impôts par étapes, via des mises à jour et une mise à l’échelle rapide en quelques mois, ainsi que la publication régulière de suivis.

Pour s’améliorer, il faut être prêt à admettre ouvertement que quelque chose ne fonctionne pas et faire différemment la prochaine fois. Cependant, Ottawa reste réticent à concéder que le programme d’adoption numérique n’a pas été un succès retentissant.

Cette politique de l’autruche risque de nous condamner à répéter les mêmes erreurs.

Par exemple, la semaine suivant la clôture du programme, le comité des finances de la Chambre des communes a publié une recommandation prébudgétaire en faveur de nouvelles subventions agricoles basées « sur le modèle du Programme canadien d’adoption du numérique ».

La moindre des choses, après avoir commis des erreurs de plusieurs milliards de dollars, c’est d’en tirer des leçons.

Geoff McCarneyTEST

Dr. Geoff McCarney is an assistant professor at the University of Ottawa’s school of international development and global studies as well as senior director of research for the Smart Prosperity Institute. His research expertise includes the interface of climate change, the circular economy and natural resource development.

Le rapatriement de la recherche vers le ministère de l’Économie est inquiétantTEST

Le mois dernier, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (EIE) Pierre Fitzgibbon a déposé un projet de loi visant essentiellement à rapatrier à son ministère le dossier de la recherche, qui relève actuellement du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie (ERST). Ce changement était prévisible puisque le gouvernement du Québec avait déterminé par décret, en octobre 2022, « qu’à l’égard de la recherche, de la science et de l’innovation et de la technologie, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie exerce les fonctions de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie ». Y a-t-il matière à inquiétude ?

Un coup d’œil aux changements législatifs proposés permet de comprendre ce qui est en train de se produire. Ces changements, tous majeurs, sont au nombre de trois :

  • L’élaboration d’une politique nationale en matière de recherche et d’innovation  serait dĂ©sormais confiĂ©e au ministre de l’EIE, qui devra en coordonner la mise en Ĺ“uvre et en assurer le suivi ;
  • Le ministre de l’EIE se verrait confĂ©rer l’autoritĂ© sur les trois Fonds de recherche du QuĂ©bec, qui seraient fusionnĂ©s ;
  • La responsabilitĂ© de la Commission de l’éthique en science et en technologie serait elle aussi transfĂ©rĂ©e au ministère de l’EIE.

Les articles au sujet de la commission susmentionnée sont tout simplement retirés de la Loi sur le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche de la Science et de la Technologie et insérés dans la Loi sur le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie. Les articles au sujet des Fonds de recherche du Québec sont quant à eux abrogés dans la loi sur le ministère de l’ERST. S’ils se retrouvent, pour la plupart, dans la loi sur l’EIE, certaines modifications sont apportées. Il en sera question plus loin.

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Nous assistons à l’officialisation de la prise de contrôle, entamée à l’automne 2022, du portefeuille de la recherche par le ministre de l’EIE. Dans les faits, on revient à un stade antérieur de la répartition des portefeuilles ministériels. En effet, si le projet de loi 44 est adopté, la responsabilité de la recherche retournera au ministre titulaire du portefeuille de l’Économie, elle qui avait été attribuée au ministre de l’ERST en 2012 par la première ministre Pauline Marois.

D’aucuns se demanderont pourquoi le gouvernement du Québec souhaite un tel changement qui est tout sauf anodin. En effet, si on exclut les dispositions modificatives, le texte de la loi sur le ministère de l’ERST serait amputé de 57 de ses 91 articles, et les trois Fonds de recherche du Québec seraient fusionnés en un seul, un autre retour à un état antérieur des choses qui n’est pas sans en inquiéter certains. Pourquoi dissocier le portefeuille de la recherche de ceux de l’enseignement supérieur, de la science et de la technologie, alors que le premier est étroitement lié aux trois autres ?

Interrogé à ce sujet, le ministre Fitzgibbon a fait valoir qu’il s’agit simplement d’une « question de gouvernance, et qu’il sera plus efficace d’avoir un seul conseil d’administration de 19 personnes que trois d’une quinzaine ». On conviendra que cette justification est plutôt mince pour un changement de si grande envergure.

Dans un communiqué de presse daté du 8 février 2024, les administrateurs des Fonds de recherche du Québec soutiennent de leur côté que le regroupement des trois fonds actuels permettra de « maximiser les synergies entre les secteurs de recherche et leur agilité dans le déploiement de leurs mandats », en plus de « mieux prendre en compte l’intersectorialité dans les programmes de bourses et de subventions ».

Or, curieusement, l’article 22.2 du projet de loi 44 où le rôle du scientifique en chef est décrit n’inclut pas le second paragraphe de l’article 33 de la loi actuelle sur le ministère de l’ERST, selon lequel « le scientifique en chef assure la coordination des enjeux communs aux trois Fonds et des activités de recherche intersectorielles ». Voilà qui est pour le moins surprenant.

Les promoteurs du projet de loi 44 ont tôt fait d’objecter, en s’appuyant sur le même article, que « le scientifique en chef favorise le rapprochement entre la science et la société ».

S’il est tout à fait vrai que la science doit servir la société, peut-on conclure qu’elle doit être également subordonnée à l’économie ? Cette question doit être posée. Jusqu’à preuve du contraire, cette hiérarchie semble refléter la vision de la CAQ sur la place de la recherche.

Abordé sous cet angle, le projet de loi 44 est inquiétant. Au plan philosophique, la science et la recherche sont au service de l’humanité dans son étroit rapport avec son environnement, ce qui est considérablement plus vaste que la seule économie. Sur le terrain, les impacts de nature économique ne sont qu’un des effets parmi tant d’autres de la recherche.

S’il fallait en venir à financer d’abord et avant tout les projets de recherche bénéfiques pour l’économie, et ce dans un contexte où l’enveloppe de l’éventuel Fonds de recherche du Québec demeure la même, des projets de recherche exclus par ce critère pourraient être boudés. Or, de tels projets, par exemple dans le domaine de la santé ou des sciences humaines, peuvent avoir des retombées d’envergure pour une société, et ce, même s’ils ne créent pas nécessairement des « jobs payants ».

En proposant de transférer le portefeuille de la recherche vers le ministère de l’EIE, Québec laisse entendre que la recherche devrait être d’abord et avant tout, voire uniquement, au service de l’économie. Il est ainsi permis de craindre que dans un avenir rapproché, le même gouvernement puisse orienter la recherche de manière telle qu’en répondant principalement à des impératifs économiques, les autres besoins de la population en pâtiraient.

Hélas, un tel scénario est réaliste, vu l’importance que ce gouvernement accorde à ce qu’il appelle « la richesse ».