(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Accélérer la croissance du secteur agricole canadien doit être une priorité stratégique pour le prochain gouvernement. Notre croissance économique dans les années 2020 et notre position dans le monde pourraient en dépendre.

Plus de deux millions de personnes travaillent dans le secteur agroalimentaire et près de 7 % de notre production économique résulte de leurs efforts. Le Canada est le cinquième exportateur de produits agricoles, et ses producteurs contribuent à nourrir la population mondiale. Cette capacité deviendra encore plus cruciale au cours de la prochaine décennie, car la population de la planète atteindra près de neuf milliards d’habitants, ce qui signifie qu’il y aura près d’un milliard de bouches de plus à nourrir.

Répondre à cette demande en gardant le cap sur la durabilité environnementale et la viabilité économique ne sera pas facile. Toutefois, si nous saisissons l’occasion historique que représente l’émergence de nouvelles technologies et de systèmes de données, il devient possible de transformer et de développer notre secteur agricole, et ainsi de faire du Canada un acteur encore plus pertinent dans un monde en croissance rapide et de plus en plus complexe.

À cet égard, mentionnons d’abord que peu de pays jouissent comme le Canada d’une abondance de terres arables et d’eau douce, ainsi que de l’accès à des marchés internationaux en raison d’accords commerciaux conclus récemment avec l’Europe, l’Asie et les États-Unis. De même, peu de pays peuvent compter sur une main-d’œuvre aussi qualifiée que la nôtre.

Cependant, un changement en profondeur s’est amorcé en ce qui a trait aux aptitudes nécessaires pour maintenir le Canada à l’avant-garde de la production alimentaire mondiale. Ce sont ces compétences qui joueront un rôle déterminant dans la transformation du secteur.

Avec les aptitudes et les technologies appropriées, le secteur agricole pourrait ajouter 11 milliards de dollars au PIB du Canada et représenter une valeur annuelle de plus de 50 milliards d’ici 10 ans. C’est là une des constatations d’« Agriculteur 4.0 : comment les prochains développements de connaissances peuvent transformer l’agriculture », un nouveau rapport de RBC. La contribution du secteur agricole à notre PIB deviendrait ainsi plus importante que celles combinées des secteurs de l’assemblage automobile et de l’aéronautique.

Pour que cette possibilité se concrétise, les gouvernements, le secteur agricole et le milieu universitaire doivent conjuguer leurs efforts afin de doter les agriculteurs et les producteurs alimentaires d’outils appropriés ― allant des technologies de pointe aux capitaux, en passant par l’apprentissage continu. C’est grâce à ces outils qu’il sera possible de soutenir le rythme imposé par des pays qui investissent rapidement dans l’agriculture.

Déjà, au Canada, l’innovation et la technologie de pointe sont présentes dans l’agriculture et la production alimentaire. Les Canadiens sont à l’avant-garde d’une nouvelle révolution agricole. Pour produire le rapport « Agriculteur 4.0 », mes collègues chercheurs et moi-même avons parcouru le pays. En Saskatchewan, nous avons rencontré des producteurs de canola qui se servent de machines agricoles autonomes pour prendre des relevés de l’état du sol. Dans le Grand Toronto, nous avons discuté avec un agriculteur qui a entrepris d’installer une ferme verticale intérieure pour la culture de fines herbes. En divers endroits de l’Ontario et du Québec, nous avons parlé à des propriétaires de fermes laitières qui doublent leur production en se servant de robots de traite et qui peuvent assurer un suivi immédiat de la qualité grâce à de nouveaux systèmes de données.

Un champ de canola en Saskatchewan. Shutterstock / Kangas.

Les agriculteurs canadiens ne manquent pas d’ingéniosité.

Et pourtant, un jeune Canadien obtiendra beaucoup plus facilement du financement pour lancer une société de logiciels que pour démarrer une exploitation agricole. Nombre de producteurs des Prairies que j’ai rencontrés récemment se sont dits frustrés de cet état de choses. Ils souhaitent que les dirigeants canadiens créent de nouvelles options de financement pour les gens qui désirent démarrer une ferme et investir dans la technologie agricole. Ils voudraient aussi que les dirigeants stimulent davantage l’investissement privé en recherche et développement et fassent en sorte d’attirer un plus grand nombre d’immigrants entrepreneurs et de technologues dans le secteur.

La dimension humaine de l’agriculture doit être l’une des priorités. Il faut s’assurer que le Canada dispose d’une main-d’œuvre suffisante dans ce secteur pour éviter une crise démographique, et que cette main-d’œuvre possède des aptitudes qui mettront le pays à l’abri d’une crise numérique. Dans ce contexte, nous voyons se dessiner deux défis qu’il faudra surmonter.

En premier lieu, près de 40 % des personnes qui constituent la main-d’œuvre agricole auront 65 ans ou plus dans 10 ans. Or nous ne disposons pas de la relève nécessaire pour remplacer ces travailleurs ; le nombre de jeunes qui entrent dans le secteur diminue de 600 chaque année. Pour infléchir cette tendance, l’industrie doit faire une meilleure promotion des perspectives de carrière stimulantes et diversifiées qu’offre l’agriculture de nos jours, en mettant notamment en avant des emplois qui sortent du cadre traditionnel et seront désormais exercés dans des tours de bureaux, des centres de données et des laboratoires d’ingénierie à divers endroits au pays.

En deuxième lieu, la gestion des fermes de l’avenir exigera de nouvelles aptitudes. Pour que les technologies novatrices procurent un avantage réel, il faut que leurs utilisateurs aient accès aux aptitudes et à l’infrastructure pour les mettre à profit. Ils doivent notamment pouvoir s’appuyer sur des données pour stimuler la productivité des fermes.

Le défi à relever est d’autant plus grand que les compétences nécessaires varient selon qu’il s’agit de gérer une pisciculture, un vignoble ou un élevage de bétail. Nous devons repenser notre façon de former les jeunes en tenant compte de l’éventail des possibilités et occasions dans les diverses régions du pays.

Voici une comparaison qui éclaire la situation. Aux Pays-Bas, 75 % des jeunes agriculteurs ont un baccalauréat ou un diplôme d’études supérieures, alors qu’environ 20 % des agriculteurs canadiens âgés de moins de 40 ans possèdent un diplôme universitaire. Il faut mentionner aussi qu’un important institut néerlandais aide le pays à maintenir l’avantage concurrentiel qu’il possède sur la scène mondiale en matière d’horticulture en serre en développant le savoir-faire lié à l’application de l’Internet des objets aux systèmes alimentaires durables.

Des vaches Holstein en pâturage dans une ferme à Vaughan, en Ontario. Shutterstock / Reimar.

Parmi ses initiatives récentes, l’Université de Wageningen a lancé un concours mondial visant à créer des serres autonomes dans lesquelles il sera possible de faire pousser des concombres en quatre mois. Le lancement de ce concours a suscité de l’intérêt pour l’agriculture néerlandaise et a attiré l’attention de Microsoft, d’Intel et du géant technologique chinois Tencent. Les résultats sont impressionnants. Le Canada possède 46 millions d’hectares de terres agricoles, alors que les Pays-Bas n’en possèdent que 900 000 hectares. Pourtant, la valeur par habitant des exportations de produits agricoles de ce petit pays d’Europe est le triple de celle du Canada.

Il est indéniable que le Canada possède d’excellentes écoles d’agriculture. Six de nos universités se classent parmi les cent meilleures au monde au chapitre des programmes d’agriculture et de foresterie. De plus, selon les données de Statistique Canada, le nombre d’étudiants inscrits dans ces programmes augmente rapidement ; ces 10 dernières années, la hausse a été de 29 % (même s’il s’avère que bon nombre des diplômés vont travailler dans des secteurs à valeur ajoutée, comme le traitement). Cependant, pour former la prochaine génération de producteurs, nos écoles devront faire preuve d’innovation, et notamment mettre l’accent sur une approche plus multidisciplinaire conjuguant l’étude des systèmes agricoles, alimentaires et terrestres avec celle de domaines non liés à l’agriculture, par exemple l’informatique.

Pour donner à l’agriculture une place plus importante dans l’éducation, on ne pourra pas attendre qu’un plus grand nombre de jeunes obtiennent un diplôme d’études postsecondaires. Plus tôt les connaissances liées à l’agriculture seront intégrées aux programmes d’enseignement, mieux ce sera. Une telle intégration devrait se faire de la maternelle à la 12e année. L’importance d’agir de la sorte apparaît clairement lorsqu’on considère que 26 % des jeunes exploitants agricoles ont fait leurs débuts dans le secteur dès la fin du secondaire, selon les données du recensement de 2016 effectué par Statistique Canada. L’Australie est déjà engagée sur cette voie. Dès la maternelle, les enfants y sont exposés à des questions liées à l’agriculture et à l’alimentation ; par la suite, à mesure qu’ils avancent dans leurs études, ils en apprennent davantage sur les possibilités qu’offrent ces domaines.

Par ailleurs, les nouvelles aptitudes devront toutes s’appuyer sur de nouvelles technologies. Or le Canada tire malheureusement de l’arrière par rapport à ses concurrents mondiaux dans le développement de technologies et de processus agricoles de pointe ― malgré le fait que des fonds publics substantiels ont été investis dans la recherche et développement, selon Agriculture et Agroalimentaire Canada. Même en tenant compte de la taille plus petite du Canada, il demeure que l’investissement privé en recherche et développement ne représente qu’une infime fraction des investissements effectués par les entreprises aux États-Unis. En raison de cette situation, les producteurs canadiens nous ont expliqué qu’ils doivent souvent dépendre de technologies de deuxième génération que nos voisins utilisaient déjà il y a une décennie ou plus longtemps encore.

En discutant un peu partout au pays avec des producteurs, des représentants gouvernementaux et des universitaires, nous avons dégagé un certain nombre de recommandations visant à aider les producteurs à tirer profit au maximum d’une révolution agricole.

Un rôle incombe clairement au gouvernement fédéral. Nombre des gens avec qui nous avons parlé désirent voir Ottawa mettre sur pied ― de concert avec les agriculteurs, les entreprises de transformation alimentaire, le milieu de l’enseignement et les groupes sectoriels ― une stratégie nationale en matière d’aptitudes axée sur le secteur agricole afin de planifier les besoins futurs liés à la main-d’œuvre. Un tel exercice comporterait un nouvel examen de nos politiques d’immigration relatives à ce secteur très dépendant de l’apport de travailleurs étrangers. Nous soumettons l’idée suivante : il faudrait envisager un mode de référence particulier pour les travailleurs agricoles en vertu de la Stratégie en matière de compétences mondiales. Cette initiative du gouvernement fédéral vise à réduire les délais de traitement des demandes pour des travailleurs hautement qualifiés dans certaines industries. À l’heure actuelle, il n’existe aucun mode de référence de ce type pour le secteur agricole.

Des fermes le long du canal Amsterdam-Rhin dans les Pays-Bas. Shutterstock / Aerovista Luchtfotografie.

Parallèlement, les groupes sectoriels souhaitent voir se déployer un effort plus coordonné, peut-être même une campagne audacieuse, afin d’attirer et de conserver dans l’agriculture un plus grand nombre de jeunes, de femmes, d’Autochtones et d’immigrants hautement qualifiés.

D’autres recommandations d’« Agriculteur 4.0 » ont pour but de préparer la prochaine génération de producteurs à un secteur agricole davantage marqué par le numérique. Un désir clair ressort des consultations que nous avons menées auprès de producteurs, de représentants du secteur et d’acteurs du milieu universitaire : le désir de voir l’agriculture faire partie de la nouvelle stratégie nationale d’apprentissage intégré au milieu de travail, un programme qui offre à des étudiants de niveau postsecondaire la possibilité d’acquérir une expérience de travail. Ce pourrait être un moyen efficace d’exposer davantage les étudiants d’autres disciplines au domaine agroalimentaire.

Il se dégage aussi un désir de voir toutes les principales initiatives de recherche et développement être liées à l’éducation et au développement des aptitudes. À cet égard, nous observons certains premiers signes prometteurs dans la mise en place de la Supergrappe des industries des protéines, un organisme sectoriel sans but lucratif qui devra permettre au Canada de se positionner en tant que source mondiale de protéines végétales et de coproduits végétaux de grande qualité.

Dans le cadre de cette étude, nous avons entendu une multitude de voix déclarant que l’agriculture doit être traitée comme une priorité stratégique au Canada. Nourrir la population mondiale et miser sur notre secteur agricole : voilà l’orientation à adopter.

Photo : Shutterstock / Andriy Blokhin


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John Stackhouse
John Stackhouse est premier vice-président à RBC. Il conseille les cadres de la haute direction sur les tendances émergentes dans l’économie canadienne et fournit des avis fondés sur ses observations faites au Canada et dans le monde.

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