La filière porcine québécoise vit des moments difficiles après les annonces de fermeture d’usines par Olymel, le plus gros transformateur au Québec. La pandémie a été dure pour les transformateurs. Lorsque la COVID-19 a frappé, les usines étaient vues comme des vecteurs de propagation du virus. Les réductions de capacité d’abattage et les fermetures temporaires d’usines avaient suscité des craintes de pénurie de viande.

À leur crédit, les transformateurs se sont ajustés rapidement et à grands frais pour protéger leurs travailleurs et les citoyens, et maintenir l’intégrité des chaînes d’approvisionnement. Toutefois, les fermetures temporaires et les ralentissements de production ont engendré des retards d’abattage, le volume d’animaux à abattre dépassant de beaucoup la capacité des abattoirs.

Les usines d’abattage sont profitables lorsque les livraisons d’animaux et le nombre de travailleurs permettent à l’équipement dans l’usine d’être utilisé à pleine capacité. Une baisse dans le nombre de travailleurs ou dans les livraisons d’animaux fait en sorte que l’usine ne peut pas atteindre son potentiel de production, ce que les économistes appellent sa frontière d’efficience.

Quand le facteur limitant était les livraisons d’animaux, Olymel avait négocié des livraisons de porcs engraissés en Ontario pour compléter les livraisons de fermes québécoises. La main-d’œuvre étant devenue le facteur limitant, Olymel fut contraint d’annoncer récemment une diminution de ses achats futurs de porcs. En plus des défis opérationnels majeurs causés par la pandémie, Olymel et Exceldor – qui abat des volailles – ont dû gérer de longs conflits de travail, ce qui a allongé les retards dans l’abattage. En somme, Olymel ne peut plus satisfaire à la demande d’abattage parce qu’il y a trop de porcs et pas assez de travailleurs.

Le Canada, un exportateur récent

Le Canada est un gros exportateur de porcelets, de porcs et de viande de porc. Au Québec, environ 70 % de la production de viande de porc est exportée. Cela n’a pas toujours été le cas.  Le Canada n’a pas toujours été un gros exportateur. Dans les années 1990, la production canadienne a pris un essor important suite à la création de l’Organisation Mondiale du Commerce, la mise en œuvre d’accord commerciaux régionaux avec les États-Unis, un dollar canadien faible et des efforts importants de consolidation dans l’industrie porcine.

Le taux de change Canada-États-Unis est crucial parce que la plupart des exportations sont facturées en dollars américains, même lorsque l’acheteur n’est pas américain . La consolidation des activités d’abattage observée au Canada dans les années 1990 et 2000 s’imposait en raison des économies d’échelle et de la concurrence d’usines américaines qui abattaient plus en une seule journée que les usines canadiennes en une semaine.

Au Québec, la production porcine a augmenté rapidement dans les années 1980 en raison des perspectives limitées de croissance dans la production laitière, du programme d’assurance des revenus agricoles (ASRA) et d’un changement dans le rapport de force entre producteurs et transformateurs, découlant de la mise en place d’un office de commercialisation. Les années 1990 furent des années d’expérimentation dans la mise en marché du porc au Québec, avec différents mécanismes combinant enchères et contrats. Les enchères furent abandonnées quand la part des porcs abattus par Olymel est devenu trop grande.

Les filières québécoise, ontarienne et manitobaine ont évolué différemment. Tous les porcelets nés au Québec sont engraissés au Québec et tous les porcs engraissés au Québec sont abattus au Québec. Le Québec n’exporte que de la viande, contrairement au Manitoba et l’Ontario, qui exportent beaucoup de porcelets et de porcs sur pattes, profitant ainsi des plus faibles distances les séparant des grandes usines d’abattage du Midwest américain.

Des problèmes de productivité

La période 2000-2010 fut difficile à cause de la forte appréciation du dollar canadien, qui a mis au grand jour les problèmes de productivité et de coûts de main d’œuvre des transformateurs canadiens. À Yamachiche, en 2006, les travailleurs de l’abattoir Atrahan ont amorcé une grève qui a duré plus de six mois. En 2007, Olymel a chargé l’ancien premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, de négocier des réductions salariales avoisinant 30 % pour les employés de ses usines! La décennie suivante ne fut pas plus facile pour Olymel, en raison des sanctions liées à l’invasion russe de la Crimée en 2014. La Russie était alors un des principaux acheteurs de viande de porc congelée exportée à partir du Québec. En ce qui a trait à la production d’animaux, le début des années 2010 fut pénible en raison des coûts d’alimentation élevés, de la force du dollar canadien et du nombre élevé de porcs en engraissement.

Un programme fédéral fut mis en œuvre entre 2009 et 2014 pour encourager la sortie de producteurs de porcs de l’industrie. Plusieurs producteurs manitobains et ontariens ont cessé leurs activités, mais les producteurs québécois ont ignoré le programme, vraisemblablement à cause du soutien de l’ASRA, qui rend la production de porcs au Québec peu sensible aux conditions du marché, même lorsque celles-ci sont défavorables. Cette stabilité dans la production, avantageuse quand le facteur limitant l’abattage était les livraisons d’animaux, est devenu coûteuse pour Olymel et les contribuables québécois quand le travail est devenu le facteur limitant.

Les problèmes de recrutement de main d’œuvre dans l’abattage ne datent pas d’hier, mais leur sévérité n’a fait qu’empirer avec le temps, au Québec comme ailleurs. Historiquement, les usines d’abattage étaient localisées en milieu urbain, mais elles ont été contraintes avec le temps à se localiser en périphérie et à devoir composer avec une main-d’œuvre rurale vieillissante et composée d’un nombre grandissant de travailleurs étrangers. Les exigences physiques des emplois et les risques de blessures rendent laborieux le recrutement et la rétention de travailleurs d’usine, et plus particulièrement lorsque le taux de chômage est bas, comme c’est le cas présentement. Une solution aurait été de permettre aux abattoirs de recruter plus de travailleurs étrangers, mais les assouplissements à ce niveau furent timides pour des raisons plus politiques qu’économiques.

Un autre qu’Olymel aurait-il fait mieux ?

Il va se produire et se transformer moins de porc au Québec dans les prochaines années. Sans vouloir minimiser les pertes et tracas des travailleurs déplacés et des producteurs contraints à la sortie, les sols saturés en phosphore vont mieux se porter, et les coûts de l’ASRA devraient diminuer.

Olymel a été confronté à beaucoup d’adversité, mais est-ce qu’un autre transformateur pourrait faire mieux ? Si c’est le cas, un transformateur manifestera son intention d’acquérir les usines d’Olymel. Suite au plus gros rappel de viande au Canada en 2013, JBS, une multinationale brésilienne, avait acheté XL Foods, un abattoir albertain de bovins.

Une crise ou des pertes ne sont pas nécessaires pour provoquer une acquisition. Quand Shanghui, un géant chinois, a acheté Smithfield en 2013, le géant américain faisait des profits. Dans l’éventualité où un acheteur étranger se manifestait dans les prochaines années, est-ce que la vente devrait être bloquée ? La réponse est non. Si une entreprise était suffisamment confiante dans ses habiletés pour faire une offre d’achat attrayante à la coopérative Sollio, la pérennité de la filière porcine serait solidifiée par la transaction, de la même façon que la vente de Canada Bread et (des gâteaux) Vachon à la mexicaine Grupo Bimbo a préservé de nombreux emplois chez nous.

Toutefois, si personne ne se manifeste, nous saurons qu’Olymel est un bon gestionnaire et qu’il n’est pas à blâmer.  Et que c’est peut-être le modèle de notre industrie porcine qui est à revoir.

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Bruno Larue
Bruno Larue enseigne l’économie agroalimentaire à L’Université Laval. Il a notamment été directeur fondateur du Centre de recherche en économie de l’environnement, de l’agroalimentaire, des transports et de l’énergie (CREATE) de l’Université Laval et publié plus de 100 articles avec comité de lecture dans des revues d’agroéconomie et d’économie, principalement sur le commerce international, la politique agricole et l’économie de la production et de la consommation.

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