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La ministre de l’Enseignement supérieur du Québec, Pascale Déry a imposé une nouvelle exigence de francisation aux universités McGill et Concordia.

Dès 2025-2026, 80 % des étudiants non québécois  devront atteindre un niveau intermédiaire de français l’oral au terme de leurs études tel que déterminé par l’Échelle québécoise des niveaux de compétence en français.

Dans un contexte où le financement des universités est limité, l’obligation soudaine, et surtout imprévue, de mettre à l’horaire des centaines de cours supplémentaires de français chaque année, inquiète avec raison les hautes directions de McGill et de Concordia.

Les deux établissements ont exprimé d’importantes réserves sur les cibles décrétées par la ministre, qui sont deux fois plus élevées que leur offre initiale (McGill et Concordia avaient proposé une cible de francisation de 40 %). Un tel scénario aurait des impacts délétères sur l’activité principale de ces établissements, et ce, à plusieurs niveaux.

Des impacts majeurs sur la qualité des programmes

D’une part, les universités visées seraient contraintes de réduire, par centaines et chaque année, le nombre de cours que les étudiants inscrits à leurs programmes devront compléter pour terminer leurs études, pour les remplacer par des cours de français. L’alternative serait de prolonger la durée des études d’environ une session.

On obligerait donc ces institutions à s’autosaborder en sabrant dans la qualité de leurs programmes. Le seul choix qui leur resterait serait de déterminer quelles cohortes d’étudiants seraient davantage pénalisées que les autres en devant prolonger leurs études, avec un choix de cours appauvri de surcroît.

Selon l’Université McGill, l’atteinte du niveau 5 à l’oral exige la réussite de 18 crédits de cours de français, langue seconde. Ceci équivaut à plus d’une session universitaire à temps plein (15 crédits en temps normal), consacrée uniquement à des cours de français. Les universités McGill et Concordia devraient donc, chaque année, mettre à l’horaire une série de six cours de trois crédits de français langue seconde (Français I à VI, en quelque sorte).

Cette imposition de centaines de cours supplémentaires ne peut qu’avoir un impact important, altérant, et délétère sur les opérations d’enseignement des deux universités. En effet, comme toutes les autres universités québécoises et canadiennes, McGill et Concordia disposent de budgets d’opération limités, avec lesquels elles doivent composer lors de la planification de la mise à l’horaire annuel des cours.

Par exemple, puisque le nombre total de cours est restreint par les fonds disponibles, on offre déjà des cours en rotation plutôt que chaque session ou chaque année, et on veille à ce que certains cours soient optionnels pour des étudiants de plus d’un programme

Bref, les universités se livrent chaque année à un jeu d’équilibriste entre un nombre insuffisant ou trop élevé de cours à l’horaire dans chacune des disciplines dans lesquelles elles offrent des programmes. Ce faisant, elles cherchent le nombre optimal de cours à offrir en fonction des coûts, à savoir un équilibre qui permettra de satisfaire les besoins des étudiants avec le plus petit nombre de cours possible (et au plus petit prix possible), et ce afin d’être en mesure de boucler leurs budgets respectifs.

La programmation annuelle des cours est donc un exercice complexe, sur lequel reposent en partie la qualité des études et la réputation d’un établissement universitaire. Chaque année, les étudiants doivent compter sur un éventail de cours obligatoires et optionnels en nombre suffisant pour terminer leurs études en trois ou quatre ans, selon le programme.

Une réorganisation du corps professoral au détriment de la spécialisation

D’autre part, McGill et Concordia devraient nécessairement procéder à une réorganisation partielle de leur corps professoral, dont les premiers à en faire les frais seraient les chargés de cours.

Remplacer des centaines de cours disciplinaires par des cours de français langue seconde nécessiterait de remercier des spécialistes – sur lesquels ces universités comptent pour offrir leurs programmes –, pour ensuite engager des enseignants en français langue seconde.

Par ailleurs, devant l’impossibilité d’offrir chaque année un nombre de cours suffisant dans certaines disciplines et l’amputation des corps professoraux qui en découlerait, McGill et Concordia pourraient être contraintes de resserrer, voire suspendre l’admission à certains programmes. Cela est d’autant plus ironique que ces programmes ont été approuvés aux fins de financement par le gouvernement du Québec.

Ces scénarios auraient un impact réputationnel majeur pour les deux universités, avec pour conséquence une diminution de leur capacité d’attirer des étudiants de partout au Québec, et ailleurs au pays et dans le monde, une répercussion que la ministre Déry n’a certainement pas envisagée.

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Denis Hurtubise
Denis Hurtubise est vice-recteur aux études de l’Université de Sudbury.

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