Le vieillissement de la population représente un défi de taille pour l’ensemble des pays développés. Globalement, les pays de l’OCDE vont connaître des changements démographiques majeurs au cours des prochaines années. Les effets conjugués de la baisse de la natalité et de l’allongement de l’espérance de vie provoquent déjà un renversement de la pyramide des âges, une situation qui aura à terme des conséquences importantes pour le marché du travail, la croissance économique et l’appariement des revenus et des dépenses des gouvernements.

Il reste encore beaucoup à faire pour bien comprendre les conséquences de la transition démographique sur les finances publiques. Au printemps 2007, nous produisions une première projection de l’évolution des finances publiques québécoises dans un contexte de vieillissement démographique. Les résultats de cette projection de long terme étaient assez clairs: si les paramètres de dépenses et de taxation se maintenaient, à compter du milieu de la présente décennie le budget du Québec deviendrait chroniquement déficitaire pour les prochaines décennies. L’impasse budgétaire appréhendée prendrait progressivement de l’ampleur pour atteindre 2,7 p.100 du PIB en 2031 et 4,5 p.100 du PIB en 2051.

Quelques années plus tard, alors que la « Grande Récession » a été traversée et que le gouvernement du Québec vise le retour à l’équilibre budgétaire, la pertinence de refaire un tel exercice est toujours là. Il s’agit d’un exercice essentiel. D’ailleurs, les meilleures pratiques de l’OCDE en matière de transparence budgétaire recommandent de procéder régulièrement à une évaluation des perspectives budgétaires à long terme (sur un horizon de 10 à 40 ans) et de la rendre publique. Pour en justifier la pertinence, l’OCDE évoquait que «la composante démographique des dépenses futures au titre de la santé et des soins aux personnes âgées dépendantes aura un impact considérable sur la situation budgétaire globale dans le long terme». Le gouvernement fédéral fait un tel exercice par l’intermédiaire du Bureau du directeur parlementaire du budget, mais ce mécanisme n’a toujours pas été mis en place au Québec.

Les résultats de notre analyse ne doivent pas être interprétés comme une fatalité voulant que l’apocalypse attende les finances publiques du Québec dans les prochaines décennies. Dans 20 ans, il y a fort à parier que notre projection principale ne se sera pas matérialisée. La raison est simple, les décideurs politiques auront au fil des années pris des décisions, souvent difficiles, afin d’équilibrer le budget de l’État québécois. Pourquoi faire un tel exercice alors? Pareille analyse reste tout à fait pertinente pour illustrer les tendances lourdes de l’évolution des revenus et des dépenses du Québec dans un contexte où la transition démographique créera des pressions sur le financement des services publics, alors qu’elle atténuera parallèlement la croissance économique et les revenus de l’État.

En fait, l’objectif principal de l’analyse consiste à répondre à l’invitation pressante de l’OCDE à procéder à une évaluation des perspectives budgétaires à long terme des gouvernements afin de promouvoir la transparence budgétaire. Comme l’indique l’OCDE, la soutenabilité budgétaire est un concept «qui intègre la solvabilité, la stabilité de la croissance économique, la stabilité de la fiscalité et l’équité intergénérationnelle». Dans cet esprit, la projection développée permet de juger de la soutenabilité budgétaire des finances du gouvernement du Québec aux horizons 2030 et 2050.

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Cirque du soleil

Pour ce faire, notre scénario de base porte une attention particulière aux changements qui vont marquer la transition démographique du Québec, et qui sont conjugués avec des hypothèses apparaissant les plus probables sur l’évolution de la productivité, de l’emploi, ainsi que des revenus et des dépenses du gouvernement. Ce triple jeu d’hypothèses démographiques, économiques et budgétaires conduit à une projection de la croissance économique et du solde budgétaire gouvernemental pour la période allant de 2015 à 2050.

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  • Au plan démographique, notre scénario de base se conforme à la croissance de la population projetée par l’ISQ selon les hypothèses suivantes: 1,65 enfant par femme, allongement de l’espérance de vie des hommes (85,5 ans en 2051) et des femmes (89 ans en 2051) et immigration nette de 30 000 personnes par année.
  • Au plan économique, il suppose une accélération soutenue de la productivité horaire du travail (de 1 p.100 par année en moyenne de 1981 à 2012 à 1,25 p.100 d’ici à 2025) jumelée à une hausse des taux d’emploi, notamment pour les groupes âgés de 55 à 69 ans.
  • Au plan budgétaire, le fardeau fiscal est maintenu à son niveau actuel en accordant une attention particulière aux tendances récemment observées dans les dépenses de programme, en tenant compte de l’objectif de réduction de la dette fixé pour 2025-2026.
  • La croissance du PIB réel qui résulte de notre scénario de base est de 1,4 p.100 par année de 2015 à 2030 et de 1,3 p.100 de 2030 à 2050. Il s’agit d’une décélération marquée par rapport à la tendance de 2 p.100 observée de 1981 à 2012. Le budget du gouvernement, qui atteint l’équilibre au départ de la projection en 2015, devient rapidement négatif. Il affiche un déficit annuel de 2,7 p.100 du PIB en 2030. Ainsi, notre analyse des changements démographiques et de leurs conséquences pour l’économie et les finances publiques traduit une préoccupation fondamentale d’équité intergénérationnelle. Sur la base de la soutenabilité budgétaire, il apparaît injuste que les changements démographiques qui surviendront dans les années à venir empêchent le gouvernement du Québec d’offrir à coëts relativement comparables aux générations futures les services publics dont bénéficient présentement les générations actuelles.
  • Dans l’état actuel des choses, la projection révèle que le gouvernement du Québec n’est pas en mesure de garantir l’application de ce principe d’équité entre les générations. En ce sens, des choix doivent être faits pour remédier à la situation, et le plus tôt possible sera le mieux. En l’absence de tels choix, le Québec connaîtra un ralentissement économique prolongé et des difficultés budgétaires persistantes.

L’analyse présente également un scénario empreint d’optimisme. Cependant, pour qu’il se concrétise, le Québec devra réussir l’exploit colossal de conjuguer un ensemble d’hypothèses optimistes pour que l’économie parvienne à maintenir sa croissance réelle au même rythme que celui observé de 1981 à 2012; et le gouvernement devra équilibrer ses comptes d’une année à l’autre. Pour parvenir à la réalisation de ces hypothèses, il faudra que nos politiques publiques favorisent l’éducation, promeuvent l’innovation des entreprises et offrent des infrastructures publiques en bon état, et ce, pour permettre une accélération marquée de la productivité. Qui plus est, le nombre de travailleurs devra être maximisé par une participation accrue au marché du travail des immigrants en nombre suffisant.

Il demeure assez improbable que le gouvernement parvienne à annuler complètement l’effet financier de la transition démographique attendue. Dans l’éventualité où l’ensemble des hypothèses optimistes ne se concrétiserait pas, le gouvernement se retrouverait devant des choix tous plus difficiles les uns que les autres: soit de sabrer les budgets de certains ministères pour se concentrer sur ses missions essentielles jusqu’à augmenter de manière démesurée le fardeau fiscal des générations futures simplement pour maintenir les services publics actuellement offerts.

Devant une telle situation, l’analyse de sensibilité apporte un éclairage sur les effets respectifs d’une variation de l’une ou l’autre des hypothèses. Il ressort qu’enclencher un processus d’optimisation des dépenses de programme qui permet de continuer d’adapter l’offre à la demande croissante associée à la transition démographique, tout en réduisant d’un demi-point de pourcentage la croissance annuelle, aurait un impact important sur la soutenabilité budgétaire du Québec.


Ce texte reproduit les conclusions de l’étude «La soutenabilité budgétaire des finances publiques du gouvernement du Québec», document de travail, Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, Universite de Sherbrooke, janvier 2014.

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