Avant même que ne débute la pandémie de COVID‑19,  la santé mentale des étudiants universitaires était un sujet de préoccupation grandissant. On parlait surtout de dépression et d’anxiété chez les étudiants. Mais quelques chercheurs, universitaires et syndicats ont commencé à souligner l’impact qu’a la lourde charge de travail et la concurrence sur la santé mentale des membres du corps professoral. La pandémie a aggravé bon nombre de ces problèmes.

En tant que chercheuse au sein du Healthy Professional Worker Partnership, une initiative de recherche qui s’intéresse aux liens entre santé mentale, congés de maladie et retour au travail chez des professionnels, j’ai eu l’occasion de me pencher sur la santé mentale des universitaires.

Nous avons constaté un taux d’épuisement professionnel plus élevé parmi les universitaires que dans la population en général, et ce, en raison des exigences sans cesse plus nombreuses qu’on leur impose. Ces exigences n’ont pas seulement trait à l’enseignement, mais aussi à la recherche et aux services à l’université et à la collectivité, comme siéger à des comités et organiser des congrès.

La nécessité pour les professeurs d’adapter rapidement leurs cours pour l’enseignement à distance et de satisfaire aux obligations de recherche et d’administration tout en « travaillant » à domicile a pesé lourd sur leurs conditions de travail. Les plus durement touchées sont les femmes. La pandémie a renforcé les iniquités entre les sexes ainsi que d’autres inégalités au sein du corps professoral.

L’obligation de s’occuper des enfants durant les heures de travail a eu une incidence disproportionnée sur le rendement des femmes universitaires. Les rédacteurs en chef de revues scientifiques ont constaté, peu de temps après le début de la pandémie, que les femmes soumettaient en effet moins de manuscrits que leurs collègues masculins. Or publier est une activité incontournable pour l’avancement de la carrière et l’obtention de subventions de recherche, un volet qui ne disparaîtra pas après la pandémie.

Par ailleurs, les professeures ont davantage tendance à offrir du soutien émotionnel aux étudiants, qui sont nombreux eux aussi à éprouver des difficultés. Ce fardeau ajoute à leur propre niveau de stress, d’anxiété et d’épuisement professionnel.

Le public ignore qu’une grande part de l’enseignement universitaire au premier cycle est assurée par des chargés de cours à statut précaire, dont le salaire est relativement peu élevé et la sécurité d’emploi limitée. Leur précarité est aggravée par leur statut inférieur et leur faible pouvoir au sein du corps professoral. Et parmi eux, les femmes et les minorités racialisées sont surreprésentées.

Le public ignore qu’une grande part de l’enseignement universitaire au premier cycle est assurée par des chargés de cours à statut précaire. Et parmi eux, les femmes et les minorités racialisées sont surreprésentées.

En négligeant de tenir compte du genre, de la race, du handicap et de la situation d’emploi dans les politiques qu’elles adoptent, certaines universités créent des conditions propices à la reproduction des inégalités entre membres du personnel enseignant.

À l’Université de Toronto, une pétition circule qui dénonce le plan de réouverture de l’établissement à l’automne selon un modèle hybride alliant enseignement en personne et à distance. Selon les instigateurs de la pétition, ce plan expose les employés à statut précaire à un risque démesurément élevé.

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Où réside la solution ? Même s’il est essentiel de donner accès à des services de santé mentale adéquats, les universités devraient en faire davantage pour améliorer les conditions de travail qui nuisent au bien-être de leur personnel enseignant, particulièrement en temps de pandémie.

Dans une lettre ouverte, plusieurs membres du corps professoral de la Dalla Lana School of Public Health invitent l’administration à améliorer la sécurité d’emploi des employés à statut précaire et à prendre des mesures qui tiennent compte de l’incidence qu’a le rôle prédominant des femmes en matière de soins ― notamment de soins aux enfants et aux aînés ― sur leur productivité et leur santé mentale.

Les directions universitaires doivent prendre des mesures concrètes telles qu’offrir des services de garde gratuits et ajuster les obligations en matière d’enseignement, de recherche et de services. Ce serait un moyen de reconnaître la répartition inégale des responsabilités liées aux tâches domestiques et de soins.

Toujours dans le même esprit, les universités devraient aussi modifier les critères d’évaluation touchant la titularisation et la promotion, car la pandémie n’a pas les mêmes répercussions pour tous. Elles devraient accorder aux professeurs à statut occasionnel une plus grande stabilité d’emploi, ainsi qu’un revenu supplémentaire qui reconnaît le stress financier engendré par la pandémie et les tâches alourdies en raison de l’enseignement hybride et à distance.

La pandémie a aggravé les inégalités entre les membres du corps professoral et mis en lumière le lien entre travail universitaire et problèmes de santé mentale. Plutôt que de prôner des solutions à court terme, nous avons aujourd’hui l’occasion de faire une réflexion plus approfondie et de proposer des solutions à long terme face à l’épuisement professionnel, inégalement réparti selon le sexe, la race et la situation de handicap.

La Memorial University Faculty Association (MUNFA) va plus loin encore. Elle considère que le temps est venu pour le corps professoral d’entreprendre, avec l’aide des syndicats au sein de l’université et à l’extérieur, une action collective pour réclamer des services de garde universels et une augmentation du financement accordé aux universités.

La qualité de l’enseignement et de la recherche universitaires dépend du soutien accordé aux professeurs à temps plein et à statut occasionnel durant la pandémie et par la suite. Il n’y a pas de meilleur moment pour agir.

Cet article fait partie du dossier Combattre les inégalités pendant la reprise post-pandémie.

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Christina Young
Christina Young est stagiaire au Healthy Professional Worker Partnership, une initiative de recherche dirigée par Ivy Bourgeault de l’Université d’Ottawa. Elle a obtenu récemment son doctorat en sciences de la santé sociale et comportementale de la Dalla Lana School of Public Health de l’Université de Toronto.

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