En décembre 2018, le magazine Maclean’s faisait sa une avec une photo de cinq hommes en complet cravate, sombres et en apparence fâchés. C’était, titrait la revue sans craindre le ridicule, « la résistance », la coalition des élus conservateurs qui se préparaient à monter au front contre la taxe sur le carbone imposée par le gouvernement de Justin Trudeau. Andrew Scheer, au centre, était entouré des premiers ministres Doug Ford (Ontario), Brian Pallister (Manitoba) et Scott Moe (Saskatchewan), ainsi que de Jason Kenney, qui allait devenir premier ministre de l’Alberta quelques mois plus tard.

Comme le soulignait Paul Wells dans un article sur cette nouvelle alliance, les conservateurs n’avaient pas toujours répugné à toute taxe sur le carbone. En 2008, Stephen Harper s’était même engagé à créer une bourse du carbone, une façon indirecte de taxer les émissions de gaz à effet de serre. Brian Pallister, premier ministre d’une province dotée d’importantes ressources hydroélectriques, avait annoncé son propre plan de taxation du carbone en octobre 2017.

Mais peu à peu, les conservateurs se sont convaincus qu’ils pourraient gagner toutes leurs élections en s’opposant à une taxe qui indisposait les électeurs des régions rurales et des banlieues, eux qui faisaient plus souvent de longs déplacements. Même le crédit d’impôt conçu par le gouvernement Trudeau pour retourner les revenus de la taxe aux citoyens leur apparaissait trop complexe à expliquer et à faire comprendre. Il s’agissait de protéger le privilège de disposer d’essence à bas prix à la pompe.

Les conservateurs n’avaient pas entièrement tort. Le 21 octobre dernier, ils ont fait le plein de votes dans les Prairies et, plus généralement, dans les régions rurales. Mais même avec ces appuis solides dans leur électorat traditionnel, ils ont plafonné à 34,4 % des voix, faisant à peine mieux qu’en 2015 (31,9 %). Il est vrai qu’Andrew Scheer a surtout mené une campagne négative et n’a guère impressionné, mais, somme toute, « la résistance » n’a pas donné les résultats escomptés. Au pays, deux électeurs sur trois ont plutôt voté pour des partis qui s’engageaient à faire davantage pour contrer les changements climatiques.

Au pays, deux électeurs sur trois ont voté pour des partis qui s’engageaient à faire davantage pour contrer les changements climatiques.

Enfoncé dans le déni, Scott Moe a écrit au premier ministre le lendemain des élections pour arguer, de façon presque absurde, que les solides résultats des conservateurs dans sa province et en Alberta rendaient nécessaire l’abolition de la taxe sur le carbone et la construction de nouveaux pipelines. Jason Kenney en rajoutait en dénonçant une fois de plus la « gauche verte » qui veut empêcher l’Alberta d’exporter ses ressources.

Mais la « gauche verte », ça fait beaucoup de gens, beaucoup plus que ceux qui nient l’importance d’agir face aux changements climatiques et qui exigent, au contraire, l’appui des gouvernements pour accroître la production et la consommation de pétrole.

À cet égard, le gouvernement Trudeau a un double problème. Ou bien il en fait trop ― ce que pensent les conservateurs ―, ou alors il n’en fait pas assez ― pour tous ceux qui s’inquiètent de l’avenir de la planète et se demandent encore comment on peut s’attaquer aux changements climatiques en achetant et en agrandissant un pipeline. La solution, en définitive, est assez simple, et elle dicte d’aller du côté des seconds.

Les conservateurs, en effet, ne proposent rien pour répondre aux enjeux climatiques. Et, de toute façon, ils refuseront la moindre avancée en ce sens. Mais ils n’auront guère de prise sur le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau, puisque, pour le faire tomber, ils auraient besoin de l’appui conjugué du NPD et du Bloc québécois, un scénario hautement improbable. Les libéraux, en revanche, doivent permettre au NPD ou, à tout prendre, au Bloc québécois, de les appuyer ponctuellement lors de votes de confiance. Pour obtenir ce soutien, ils devront probablement faire montre d’efforts plus convaincants sur le plan environnemental. On peut espérer également que la présence de Steven Guilbeault dans l’équipe libérale contribuera à améliorer l’approche du gouvernement.

Pour Justin Trudeau et son parti, l’élection du 21 octobre offre une victoire mitigée, mais c’est tout de même une victoire, que l’on doit interpréter à la lumière du fait qu’une majorité de Canadiens a voté pour des partis qui soutiennent des orientations plus, et non pas moins, progressistes.

François Legault et son gouvernement s’en tirent également bien, avec un gouvernement fédéral affaibli et une forte représentation nationaliste à Ottawa.

Les vrais perdants, ce sont les chevaliers de « la résistance », qui n’ont récolté que 34 % des suffrages pour leur politique irresponsable de hausse des émissions de gaz à effet de serre.

Andrew Scheer et ses alliés provinciaux peuvent bien multiplier les ultimatums et entonner en cœur le refrain de l’aliénation de l’Ouest, mais ils méritent pleinement d’être là où ils sont. Pour gouverner aujourd’hui, il faut avoir des propositions à faire, aussi minces soient-elles, pour lutter contre les changements climatiques. La barre n’est pas encore très haute, comme le montrent les choix des gouvernements Trudeau et Legault, mais ces priorités doivent au moins être reconnues et acceptées. Et dans quatre ans, cette exigence ne sera devenue que plus impérieuse.

Faute d’enthousiasme pour le projet libéral, qui n’était guère défini et consistait surtout à « aller de l’avant », les électeurs se sont dispersés entre les différents partis. Mais une solide majorité a appuyé, d’une façon ou d’une autre, l’idée de faire davantage pour protéger l’environnement.

Tant que les conservateurs refuseront de faire face à cette réalité, ils méritent de demeurer dans l’opposition. La « résistance » a peut-être des attraits, mais elle ne constitue pas une politique crédible.

Cet article fait partie du dossier Élections 2019.

Photo : Plusieurs conservateurs, dont le chef du Parti conservateur Andrew Scheer, le premier ministre de la Saskatchewan Scott Moe et le premier ministre du Nouveau-Brunswick Blaine Higgs, à un rassemblement pro-pipeline à IJACK Technologies Inc., près de Moosomin (Saskatchewan), le 15 février 2019. La Presse canadienne / Michael Bell.


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Alain Noël
Alain Noël is a professor of political science at the Université de Montréal. He is the author of Utopies provisoires: essais de politiques sociales (Québec Amérique, 2019).

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