L’actuelle crise du logement, qui concerne tout autant les locataires que les ménages voulant accéder à la propriété, met en lumière la nécessité impérieuse de se doter d’une politique nationale en habitation visant à bien loger l’ensemble de la population québécoise.

Le marché immobilier étant incapable de loger dignement tous les segments de la population, il est devenu urgent d’intervenir dans un marché perverti par la logique spéculative qui conduit à une hausse généralisée des loyers, une grande difficulté d’accès à la propriété, et des pratiques condamnables comme les «rénovictions» ou les reprises des logements dans le but d’augmenter les loyers et, par conséquent, les profits.

Depuis un peu moins de trente ans, nos gouvernements, qu’ils soient à Ottawa ou à Québec, ont renoncé pour l’essentiel à intervenir dans la régulation du marché de l’habitation, se limitant à maintenir certains engagements historiques envers différentes formes du logement social.

Depuis le retrait du gouvernement fédéral du financement de nouveaux logements sociaux en 1994 dans la foulée des politiques fédérales d’austérité, le Québec a certes tenté tant bien que mal de financer la construction de logements sociaux via le programme AccèsLogis. Quelques 33 000 logements ont ainsi été livrés depuis un peu plus de 20 ans, mais ce nombre n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de besoins. De plus, depuis une dizaine d’années, le financement de ce programme, déjà restreint, ne suit plus les hausses marquées des coûts de construction et on lui a rajouté à travers le temps des couches et des couches d’exigences techniques qui résultent dans un très faible rendement en termes de production de logements sociaux.

Au cours de l’année 2020-2021 et au plus fort de la crise du logement, seulement 739 logements ont été livrés dans le cadre du programme AccèsLogis alors que plus de 10 000 unités de logement sont approuvées et en chantier. Faute d’indexation chronique des budgets de réalisation, ces projets demeurent dans les limbes.

Financiarisation du logement

Le marché privé, quant à lui, s’est plutôt concentré dans le développement de formules d’habitation générant un fort profit, les condominiums ou, depuis quelques années, dans la construction d’immeubles locatifs haut de gamme exigeant des loyers loin d’être accessible à toutes les bourses. D’autre part, la hausse généralisée des prix des terrains et de l’immobilier a suscité des pratiques délétères dans le marché locatif où des spéculateurs peu scrupuleux utilisent des pratiques condamnables pour évincer des locataires qui paient des loyers inférieurs au prix du marché actuel, et ce, dans le but ultime d’augmenter les loyers. Il s’agit des « rénovictions » et des reprises de logements frauduleuses, bien documentées par les médias. Le Tribunal administratif du logement (TAL) est pour sa part incapable de contenir la flambée des loyers et d’enrayer les pratiques abusives de certains propriétaires spéculateurs dans le marché privé, faute d’un cadre législatif strict.

La crise du logement se produit dans un contexte de taux d’intérêt historiquement bas, incitant les ménages disposant d’épargnes ou d’un accès au crédit à investir dans l’immobilier. D’autre part, de grands investisseurs, notamment institutionnels, voient dans l’habitation un secteur avec des rendements potentiels très intéressants, ce qui les incite eux aussi à injecter des capitaux considérables dans cette activité, alimentant à leur tour la bulle spéculative.

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On assiste donc à une « financiarisation » poussée de l’habitation, processus par lequel l’habitation se découple de sa fonction sociale – un lieu physique de reproduction sociale des ménages – pour devenir uniquement une marchandise visant l’enrichissement de certains.

L’ensemble de ces facteurs produit les effets que l’on connaît : hausse des loyers ; évictions de plus en plus nombreuses des populations moins nanties des secteurs centraux des villes ; rareté d’unités locatives à un prix accessible (particulièrement pour les grands logements) ; augmentation en flèche des prix de propriétés neuves ou dans le marché de la revente. Tous ces facteurs contribuent à l’inabordabilité accrue de la propriété. Pour les ménages à faible revenu affectés par la crise du logement, cela implique un appauvrissement net vu la part grandissante du revenu accaparée par le paiement du loyer. Pour de plus en plus d’habitants dans nos grandes villes, cela signifie perdre son logement sans espoir d’en trouver un autre et, ultimement, l’itinérance.

Des outils à notre portée

La situation actuelle demande la réinvention des outils traditionnels destinés à loger dignement tous et toutes. En premier lieu, il y a un choix politique à faire, celui d’abandonner la croyance que l’État ne doit pas intervenir dans le marché immobilier pour l’encadrer et même le diriger. Devant cette crise, il est temps de retrouver le réflexe d’utiliser la puissance publique pour orienter un marché immobilier incapable d’assurer un toit pour toutes et tous. Conséquemment, l’État doit investir de façon substantielle dans différentes formules de logement social, ou bien utiliser davantage certains pouvoirs comme le droit de préemption, qui permet à la ville de Montréal d’avoir la priorité d’achat sur des terrains ou des immeubles afin d’y réaliser des projets au service de la communauté. Il est devenu nécessaire d’agrandir considérablement le parc locatif socialisé afin que celui-ci réponde aux besoins en habitation des segments les plus vulnérables de notre société. Ce secteur socialisé peut aussi, s’il atteint une masse critique, devenir un puissant outil de pression à la baisse des prix dans l’immobilier privé.

D’autres formules peuvent aussi être considérées, comme les fiducies foncières qui permettent l’accès à la propriété pour les classes moyennes et à moindre prix, par une mutualisation des terrains sur lesquels sont construites les habitations. On peut aussi penser à la mise en place de sociétés acheteuses de terrains ou d’immeubles afin de les socialiser. Si l’immobilier constitue un actif d’une grande valeur pouvant servir de levier financier pour les capitalistes du secteur privé, cette possibilité existe aussi pour le secteur de l’habitation socialisée. Dans ce sens, la puissance publique dispose des leviers législatifs nécessaires pour forcer la mobilisation de capitaux situés à l’extérieur du périmètre comptable de l’État dans le but de l’investir dans l’immobilier, et ce, avec une perspective de rendement intéressante.

Enfin, il y a lieu d’améliorer grandement la législation qui régit les relations entre locataires et locateurs. L’actuel TAL, mettant tout le poids des responsabilités sur les acteurs individuels en litige, est largement dépassé par les phénomènes actuels. Par exemple, le TAL est en ce moment incapable de faire respecter les indices de hausses de loyers publiés annuellement, d’empêcher les évictions abusives ou de limiter de façon générale les hausses fulgurantes des loyers. La législation actuelle en cette matière est dépassée par les pratiques réelles dans la société. Il faut donc procéder à une réflexion sérieuse sur les lacunes du TAL et les pistes d’améliorations possibles et aller au-delà de la réforme cosmétique qui a transformé la Régie du logement en tribunal administratif.

Il faut le marteler : la crise du logement n’est pas une fatalité. Celle-ci pourrait être réglée ou grandement atténuée si seulement nos gouvernements sortaient des ornières idéologiques qui les empêchent de penser en fonction des seuls intérêts du marché privé. Il s’agit ici non pas d’écarter le secteur immobilier privé, mais de l’encadrer afin de faire en sorte qu’il vise aussi des objectifs sociaux, celui de loger dignement et à un prix accessible l’ensemble de la population.

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Andrés Fontecilla
Andrés Fontecilla est député de Laurier-Dorion et responsable en matière d'immigration, d'interculturalisme et de logement chez Québec Solidaire. Originaire du Chili, il arrive au Québec en 1981 avec sa famille qui fuit la dictature du général Pinochet. Enfant de la loi 101, diplômé en anthropologie de l'Université de Montréal, son parcours académique est marqué d'implications diverses et d'un engagement constant en faveur d'une plus grande justice sociale.

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