Suite à la hausse récente du prix de l’essence, le premier ministre de l’Alberta Jason Kenney annonçait lundi qu’il suspendra la taxe albertaine sur les carburants à compter du 1er avril. Le lendemain, le chef du Parti conservateur du Québec Éric Duhaime proposait de faire de même au Québec.
Réduire les taxes sur les carburants est-il la meilleure façon de donner un répit aux contribuables ? L’examen de quelques éléments essentiels permet de répondre à cette question.
La part des taxes dans le prix de l’essence
La figure 1 montre comment sont répartis les différents prélèvements gouvernementaux pour un litre d’essence se vendant 1,97 $ à Montréal. Au départ, le Système de plafonnement des émissions et des droits d’échange (la bourse du carbone) ajoute 8,4 ¢ le litre au prix initial pour chaque litre de carburant. Ensuite, Ottawa et Québec prélèvent respectivement une taxe de 10 cents et de 19,2 ¢ le litre. À cela s’ajoute un prélèvement de 3 ¢ pour l’Autorité régionale de transport métropolitain. Enfin, la TPS et la TVQ s’appliquent sur la valeur du prix des carburants, incluant les autres taxes. Ainsi, si le prix à la pompe est de 1,97 $ le litre, le consommateur paie 1,31 $ pour l’essence et un total de 66 ¢ en taxes.
Plusieurs vont trouver qu’au tiers du total, le poids des taxes dans le prix du litre de carburant est trop élevé. La comparaison internationale pour l’année 2020 montre plutôt le contraire. En effet, lorsqu’on compare le poids de l’ensemble des taxes (et écotaxes) appliqué au carburant en pourcentage du prix hors taxe du carburant, on constate que le Québec est l’un des endroits où cette proportion est la plus faible. En effet, le Québec arrive au 31e rang sur 35 lorsqu’on l’insère parmi les pays de l’OCDE. On observe même que, dans 27 pays sur 35, le poids des écotaxes est supérieur au prix du carburant sans les taxes (c’est-à-dire que la proportion des taxes dépasse 100 % du prix de l’essence avant les taxes).
Actuellement, le prix du carburant en irrite plus d’un. S’il a beaucoup augmenté au cours de la dernière année, ce n’est pas à cause des taxes, comme le montre la figure 3. Au contraire, la quasi-totalité de la hausse est due à la variation du prix de l’essence avant les taxes.
Les consommateurs profiteraient-ils d’une baisse des taxes ?
L’histoire nous enseigne qu’une baisse des taxes sur l’essence n’aura peut-être pas l’effet souhaité. En novembre 1983, Jacques Parizeau, alors ministre des Finances, avait réduit la taxe sur les carburants, la faisant passer d’un taux de 40 à 30 %. Cette baisse devait se traduire par une réduction d’environ 4 ¢ le litre, ce qui était significatif par rapport au prix de l’époque. Le gouvernement se privait aussi de près de 350 millions de dollars en revenus.
Six mois plus tard, lors de son budget de mai 1984, M. Parizeau soulignait cependant que si la baisse de taxe avait initialement produit ses effets dans les jours qui ont suivi l’annonce – en entraînant une réduction équivalente du prix des carburants –, les prix avaient ensuite presque retrouvé leur niveau d’avant. En conséquence, une bonne partie de la réduction de la taxe n’a pas été transmise aux consommateurs.
Irrité, le ministre des Finances a mis sur pied un Groupe de travail sur le prix des carburants au Québec, composé de représentants des ministères des Finances, du Revenu, de l’Énergie et des Ressources. Pour mieux comprendre l’« échec » de cette réduction de taxe sur les carburants, j’ai relu ce rapport qui a été déposé à l’Assemblée nationale en avril 1985.
Au bout du compte, le Groupe de travail n’a pu déterminer avec certitude s’il s’agissait d’une récupération pure et simple de la baisse de taxe par l’industrie pétrolière ou d’un phénomène découlant de la conjoncture. Cela dit, compte tenu du marché oligopolistique de l’essence au Québec, on peut au moins retenir qu’il est hasardeux pour un gouvernement de réduire les taxes sur les carburants, puisque le risque qu’une telle baisse ne profite pas pleinement aux contribuables est bien présent.
Trois raisons de rejeter une baisse des taxes sur l’essence
En somme, même si l’idée de réduire les taxes sur les carburants semble séduisante, les gouvernements fédéral et du Québec doivent la rejeter fermement. Il s’agit d’une fausse bonne idée, pour au moins trois raisons.
D’abord, une suspension de la taxe sur les carburants priverait les gouvernements de recettes fiscales en période déficitaire.
Deuxièmement, il faut garder à l’esprit que la taxe sur les carburants au Québec, qui remonte à 1924, sert à financer le développement et l’entretien du réseau routier. Soulignons au passage que le Fonds des réseaux de transports terrestres, dans lequel est versée les recettes de la taxe sur les carburants, est actuellement déficitaire.
Enfin, la dernière raison et non la moindre, c’est qu’une baisse irait à l’encontre des objectifs gouvernementaux de lutte aux changements climatiques et de la cible de 2030. Au Québec, l’inventaire des émissions montre que le transport routier constitue la principale source de gaz à effets de serre (GES). Si, globalement, les GES sont légèrement sous le niveau de 1990, il en va autrement des émissions du secteur des transports, qui émettait davantage en 2019 qu’en 1990 (36,5 contre 27,7 Mt d’éq. CO2), une hausse de plus de 30 %.
L’idée de réduire la taxe sur l’essence changerait le signal envoyé par son prix et favoriserait ainsi le statu quo dans la lutte aux GES, et ce malgré le fait que l’essence hors taxe soit plus chère qu’auparavant. De plus, une réduction de la taxe sur les carburants compenserait davantage les plus gros pollueurs, ce qui est contre-productif sur le plan environnemental.
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Je le répète, la réduction de taxes sur les carburants ne doit pas être utilisée. Si les gouvernements veulent remettre de l’argent dans la poche des contribuables, ils doivent et peuvent procéder autrement.