Le budget du Québec présenté le 25 mars dernier fait état d’un déficit « record » de 15 milliards de dollars pour l’exercice se terminant le 31 mars 2021.
Afin d’évaluer le défi qui attend le gouvernement du Québec pour rétablir l’équilibre budgétaire et de le situer dans un contexte plus large, commençons par une comparaison avec notre voisin ontarien.
En 2020, les économies québécoise et ontarienne ont toutes deux connu la plus forte contraction de leur PIB réel en plus de 40 ans, soit une baisse de 5,3 et de 5,7 % respectivement. Toutefois, le déficit budgétaire québécois est moins élevé, celui de l’Ontario se chiffrant à 38,5 milliards de dollars pour l’année 2020-2021. Mesurés en proportion de la taille de leur économie respective, les déficits représentent 2,7 % du PIB au Québec, comparativement à 4,5 % en Ontario.
Si le poids du déficit ontarien figure comme le plus important jamais observé depuis 1981, celui du Québec demeure plus faible que les déficits qu’il avait enregistrés en 1984 et en 1994.
Dans un tel contexte, l’Ontario, qui n’a pas connu de budget équilibré depuis 2007-2008, prévoit un retour à l’équilibre budgétaire en 2029-2030. Au Québec, cet équilibre serait atteint en 2027-2028 si l’on continue de verser les revenus consacrés au Fonds des générations. Sans cette politique de remboursement de la dette, le retour à l’équilibre budgétaire se ferait dès 2025-2026.
Qui plus est, cette politique a aussi permis au Québec de se retrouver dans une position avantageuse par rapport à l’Ontario quant à son endettement. En 2020-2021, le ratio de la dette nette en proportion du PIB au Québec est de 2,1 points de pourcentage inférieur à celui de l’Ontario (45 % au Québec et 47,1 % en Ontario) et le sera de 7 points en 2025-2026 (43,5 % au Québec et 50,5 % en Ontario).
A priori, vue sous l’angle de la comparaison avec l’Ontario, la situation québécoise semble presque enviable. Pourtant, des vents contraires soufflent sur le Québec et donneront beaucoup de fil à retordre au ministre des Finances du Québec lorsqu’il faudra rééquilibrer les finances publiques.
Équilibre budgétaire et déficit structurel
À l’heure actuelle, le ministre des Finances Eric Girard propose de suspendre l’application de la Loi sur l’équilibre budgétaire pendant deux ans. Lorsque le gouvernement fait face à un déficit supérieur à un milliard de dollars, cette loi l’oblige à présenter un plan de résorption des déficits s’échelonnant sur une période maximale de cinq ans. Même si une révision de la loi apparaît préférable à sa suspension, cette dernière permet au gouvernement de retarder la présentation dudit plan. Ce n’est pas la première fois que la loi est suspendue : elle l’a aussi été après la crise financière de 2008-2009.
Le ministère des Finances vise un retour à l’équilibre budgétaire en 2027-2028, mais pour y arriver, il devra combler d’importants écarts. Ces écarts correspondent à une évaluation de l’impact d’initiatives ou de changements non encore identifiés, mais que le gouvernement a bon espoir de voir se concrétiser au cours des prochaines années. Le déficit (en jaune dans la figure 1) est la partie restante après la résorption des écarts. Ainsi, un premier écart à résorber de 1,3 milliard de dollars apparaît en 2023-2024 ; il augmentera ensuite chaque année et totalisera 6,5 milliards de dollars en 2027-2028. Il importe de noter que le Plan budgétaire n’explique pas les causes de ces écarts ni les moyens envisagés pour les faire disparaître. À titre comparatif, le plan de redressement de l’Ontario, qui s’étend jusqu’au retour à l’équilibre budgétaire en 2029-2030, ne comporte aucun écart à résorber. On y constate, en revanche, que la croissance des dépenses est limitée, ce qui est un moyen tout indiqué pour atteindre l’équilibre budgétaire.
Le choc pandémique a eu sur l’économie des effets négatifs qui dureront un certain temps (pertes d’emplois, secteurs au ralenti, dont l’hébergement et la restauration, fermeture permanente de certaines entreprises, etc.). Dans ce contexte, même s’il ne détermine pas le PIB potentiel du Québec, le ministère des Finances estime que l’économie québécoise se situera sous la tendance de long terme présentée dans le plan budgétaire précédent. Il s’attend, sur la base du PIB réel, à un écart de production de 1,3 % en 2025, ce qui serait une des causes de l’écart budgétaire qu’il faut résorber.
Les dépenses en santé
Après leur forte augmentation en 2020-2021 en raison de la pandémie, les dépenses en santé et services sociaux diminueront en 2021-2022, puis augmenteront légèrement en 2022-2023. Cependant, le budget total du portefeuille Santé et Services sociaux comporte des mesures de soutien et de relance COVID-19 qui ont totalisé 6,5 milliards de dollars en 2020-2021. Elles représenteront 2,4 milliards de dollars en 2021-2022 et seront limitées à 550 millions en 2022-2023. Le ministère des Finances estime que les répercussions de la pandémie sur le budget du ministère de la Santé et des Services sociaux ne dureront pas au-delà de 2022-2023, même si une partie des annonces gouvernementales faites en 2020 auront des effets récurrents, notamment l’embauche de personnel pour les soins de longue durée, par exemple.
Marché du travail
Sans surprise, le nombre d’emplois a reculé de 208 500 en moyenne en 2020. Malgré tout, le Québec devrait retrouver le niveau d’emploi d’avant la pandémie et le dépasser vers la fin de 2022. Par la suite, la création annuelle d’emplois sera fortement ralentie par la transition démographique. Même si cela ne constitue pas une véritable surprise, l’une des données les plus frappantes du budget se trouve dans le tableau des perspectives économiques, qui montre le faible taux de création d’emplois. Les projections à cet égard n’ont jamais été aussi basses au cours de la dernière décennie. Après la récupération des emplois en 2021 et 2022, la création d’emplois projetée ne sera que de 28 400 en 2023, de 17 200 en 2024 et de 16 800 en 2025. Pendant ce temps, l’Ontario prévoit créer 292 000 emplois au total en 2023 et 2024, ce qui représentera près de 4 % du niveau d’emploi de 2019. Au Québec, au cours des mêmes années, le nombre d’emplois créés dépassera d’à peine 1 % celui de 2019.
Bien sûr, l’impact de l’évolution démographique, un des vecteurs de la croissance économique, se fait déjà sentir au Québec et soulèvera beaucoup de questions dans la prochaine décennie. La pandémie a aussi eu des répercussions importantes sur le nombre de nouveaux immigrants, ce qui risque d’exacerber ce phénomène. En effet, l’Institut de la statistique du Québec souligne que le nombre d’immigrants internationaux a été de 25 000 en 2020, comparativement à une moyenne de près de 50 000 de 2010 à 2019.
Au cours des 10 prochaines années, le bassin des travailleurs potentiels âgés de 15 à 64 ans au Québec se contractera de 40 000 à 56 000 personnes (-0,8 à -1,0 %). Pendant la même période, la population des 15-64 ans augmentera de près de 525 000 personnes (5,3 %) en Ontario.
Au lieu d’être un vecteur de la croissance économique du Québec comme par le passé ou comme le sont les taux d’emploi et de productivité, l’évolution du bassin de main-d’œuvre potentielle nuira à la croissance économique. Au cours de la prochaine décennie, il reculera de 0,1 point de pourcentage en moyenne par année. Stimuler davantage l’immigration pourrait certainement contribuer à atténuer cet effet.
En fin de compte, même si la situation budgétaire du Québec était enviable avant la pandémie et même si les indicateurs, un an après le début de la pandémie, semblent moins négatifs qu’en Ontario, le chemin du retour à l’équilibre budgétaire que le ministre des Finances du Québec doit emprunter est parsemé d’embûches.