Dans le dernier droit avant les élections québécoises d’octobre, Jean-François Lisée a clairement positionné le Parti québécois au centre gauche de l’échiquier politique, comme parti avant tout social-démocrate, qui remettra l’État au gym, ne songera pas à réduire les impôts, investira dans les services publics et gardera la distribution des revenus à l’œil. En s’entourant de Véronique Hivon, Jean-Martin Aussant et Camil Bouchard, tous associés à l’aile gauche du parti, Lisée consolidait et confirmait ce positionnement.

Cet alignement au centre gauche est une bonne idée, pour plusieurs raisons. D’abord, le Québec n’a pas vraiment besoin d’un troisième parti de centre droit, qui viendrait labourer les mêmes sillons que le Parti libéral ou la Coalition avenir Québec. Ensuite, ce positionnement social-démocrate amène le Parti québécois à renouer avec son identité et son histoire ; il lui redonne de la cohérence et lui permet de rappeler aux électeurs comment il a contribué, dans le passé, à faire avancer le Québec. Enfin, faut-il le rappeler, un positionnement un peu semblable a été extrêmement bénéfique pour le Parti libéral du Canada, qui a gagné l’élection de 2015 en doublant le Nouveau Parti démocratique sur sa gauche.

Il faut toutefois reconnaître que les temps sont durs pour les partis de centre gauche. À chaque échéance électorale, la liste des éclopés s’allonge. En Italie, le 4 mars 2018, la coalition de centre gauche de Matteo Renzi a perdu le pouvoir contre des populistes de droite et de gauche, obtenant moins du quart des votes. Le 24 septembre 2017, ce sont les sociaux-démocrates allemands qui avaient sombré, recueillant à peine plus de 20 % des voix. Le 15 mars 2017, les travaillistes néerlandais, jusque-là dans la coalition au pouvoir, s’étaient aussi effondrés, passant d’un coup de 24,8 % à 5,7 % des votes. Et, bien sûr, en avril 2017, le Parti socialiste français s’était arrêté net au premier tour de la présidentielle, avec un maigre 6,4 %. Même dans les pays nordiques, la social-démocratie en arrache. Le Danemark, la Norvège et la Finlande sont gouvernés par la droite ; seules la Suède et l’Islande ont des gouvernements de centre gauche, et pas depuis très longtemps.

Dans presque tous les cas, le recul du centre gauche résultait d’un vote sanction contre des partis qui étaient jusque-là au pouvoir, seuls ou en coalition. Les électeurs exprimaient notamment leur désaccord avec des politiques marquées par l’austérité budgétaire, leurs inquiétudes devant l’immigration et leur rejet des dirigeants sortants. Le Parti québécois, qui n’a gouverné que 19 mois depuis 2003, est peut-être à l’abri de ce ressac.

Mais la tendance est plus profonde : le recul de la social-démocratie se manifeste depuis presque 20 ans. La dernière bonne période pour le centre gauche européen — comme pour le Parti québécois — remonte à la fin des années 1990 et au début des années 2000, à l’époque des Tony Blair, Lionel Jospin et Gerhard Schröder. Depuis, les appuis déclinent, souvent au profit de partis populistes, de droite ou de gauche.

Comment expliquer, s’interroge René Cuperus, un chercheur néerlandais proche du Parti travailliste, que la social-démocratie perde du terrain dans les pays mêmes où elle a tant contribué au progrès, aussi bien en termes de croissance économique que de justice sociale ? Qu’est-ce qui se passe au « paradis » ?

Comment expliquer que la social-démocratie perde du terrain dans les pays mêmes où elle a tant contribué au progrès économique et social ?

Les politologues proposent plusieurs explications. D’abord, l’alliance tacite entre les ouvriers et la classe moyenne, qui était le fondement de la social-démocratie, s’est effritée à mesure que le poids démographique de la classe ouvrière traditionnelle reculait. De plus en plus, les partis de centre gauche sont devenus des partis de la classe moyenne éduquée, reflétant davantage ses valeurs et ses priorités que celles des travailleurs moins qualifiés. Les partis sociaux-démocrates au pouvoir dans les années récentes, par exemple, ont souvent privilégié de nouveaux programmes, comme les services de garde, au détriment de mesures de transfert plus traditionnelles. Peu à peu, les travailleurs moins qualifiés se sont donc tournés vers d’autres partis. Ensuite, un nouveau clivage se dessine entre ceux qui sont ouverts à la mondialisation et à ses conséquences et ceux qui s’en méfient, clivage qui divise autant la gauche que la droite. Enfin, nous sommes à une époque de communication rapide et de réseaux sociaux, où il est sans doute plus difficile de faire converger de grands nombres d’électeurs vers des références et des causes communes.

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Prenons la télévision, par exemple. Quand j’étais enfant, il suffisait de choisir entre le 2 (Radio-Canada) et le 10 (Télé-Métropole, ancêtre de TVA). À tout prendre, nous pouvions ajouter deux postes en anglais, le 6 (CBC) et le 12 (CTV), mais on le faisait rarement, sauf pour Bugs Bunny ! Aujourd’hui, c’est un peu plus compliqué.

En politique aussi, l’offre est devenue plus diversifiée. Au Québec, on a maintenant un parti qui propose la création d’une banque d’État, la nationalisation d’une bonne partie des industries forestières et minières, la renégociation et l’abandon éventuel des grands accords commerciaux, l’abolition de toute taxe ou Bourse du carbone et un revenu minimum garanti, entre autres.

Un autre parti propose une approche nataliste, mais voit dans les services de garde de qualité inférieure offerts par le secteur privé un bon « modèle d’affaires ».

Historiquement, au Québec comme ailleurs, la social-démocratie a aussi bénéficié de son association avec l’affirmation d’une identité nationale. Les sociaux-démocrates suédois, par exemple, évoquaient une maison du peuple pour parler du pays à construire. Aujourd’hui, ce ressort collectif apparaît également plus difficile à activer.

Que faire alors pour contrer l’éclatement des forces de gauche et la montée de la droite ? Si j’avais la recette, je recevrais beaucoup d’invitations. Mais je pense, comme le politologue suédois Bo Rothstein, qu’il faut surtout refaire de la place aux principes et aux arguments de base. Considérons les faits et les chiffres, explique Rothstein : la social-démocratie demeure bien sûr imparfaite, mais quelle orientation politique dans le monde actuel a plus accompli pour concilier la prospérité et la justice sociale ?

Photo : Shutterstock / BARBAROGA


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Alain Noël
Alain Noël is a professor of political science at the Université de Montréal. He is the author of Utopies provisoires: essais de politiques sociales (Québec Amérique, 2019).

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