Le gouvernement fédéral est de nouveau sur le point de transférer des milliards de dollars aux provinces, essentiellement sans conditions. Ce n’est pas la première fois : 40 milliards ont été transférés dans le cadre de l’accord sur la santé conclu par les premiers ministres en 2004, puis 11 milliards suivant l’accord sur la santé de 2017. Tous deux mettaient l’accent sur les soins à domicile, sans preuve de progrès importants.

De plus, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé à la mi-juillet une contribution de 19 milliards de dollars pour la relance sécuritaire de l’économie, mais sans donner de détails, surtout sur ce que le gouvernement fédéral devrait obtenir en retour.

L’une des grandes contreparties pourrait être de remédier au profond manque de données de grande qualité du Canada, particulièrement mis en évidence par la pandémie de COVID-19. Tandis que les analystes américains sont en mesure d’estimer et de prévoir en temps quasi réel les cas de COVID-19, les hospitalisations et les décès dans chaque comté, le Canada est à peine capable de produire des données comparables par province.

Une partie de cette somme de 19 milliards de dollars est destinée aux tests de COVID et au traçage de contacts, ainsi qu’aux améliorations des soins de longue durée.

La dotation en personnel médiocre est l’une des principales causes du taux de mortalité tragique et disproportionné dû à la COVID-19 dans les centres de soins de longue durée, un problème connu depuis des décennies et mentionné dans une foule de rapports et d’études. Comme le recommande fortement le rapport de la Société royale du Canada, il est essentiel de posséder des données de grande qualité sur les niveaux de dotation actuels et de pouvoir les lier au niveau individuel aux résultats pour la santé. Elles seules permettront au gouvernement fédéral d’établir des normes nationales pour les soins de longue durée qui soient fondées sur des données probantes.

Les provinces font généralement valoir que les soins de santé sont de compétence provinciale et que le gouvernement fédéral ne peut donc les obliger à fournir des données qui font cruellement défaut. Cependant, le gouvernement fédéral courtise les provinces depuis presque 20 ans en finançant l’Inforoute Santé du Canada et en payant au moins la moitié du coût de développement et de mise en œuvre de logiciels normalisés et interexploitables pour les dossiers de santé électroniques.

Ce qui est plus pertinent pour la pandémie actuelle, c’est que l’Inforoute a eu expressément comme mandat de produire un système permettant de prévoir les éclosions de maladies infectieuses et d’y faire face. Ce système, s’il avait fonctionné même 15 ans après son financement initial en 2004, aurait probablement permis de réduire considérablement le nombre de cas et de décès liés à COVID-19.

Les ententes sur papier et les tentatives de persuasion des provinces en leur offrant des subventions ont clairement échoué. Le moment est venu d’adopter une position beaucoup plus ferme.

Le gouvernement fédéral possède les pouvoirs constitutionnels nécessaires, notamment la compétence explicite en matière de statistiques, de droit criminel, de pouvoir de dépenser et du pouvoir de paix, ordre et bon gouvernement, pour exiger la collecte et les flux de types de données propres au 21e siècle.

Monique Bégin, à titre de ministre fédérale de la Santé, a réussi à mettre fin à la pratique de surfacturation par les médecins en modifiant la Loi canadienne sur la santé de manière à ce que toute surfacturation soit déduite du transfert fiscal à une province fautive. En matière de protection des renseignements personnels, la Cour suprême vient de confirmer le caractère constitutionnel de la Loi sur la non-discrimination génétique du gouvernement fédéral en dépit des objections du Québec.

Nous avons besoin de savoir pourquoi certains centres de soins ont réussi à éviter tout cas d’infection au coronavirus, tandis que d’autres ont vécu une situation tragique. De telles informations statistiques fourniront au gouvernement fédéral les données probantes nécessaires pour établir des normes nationales.

Dans la situation d’urgence de la pandémie actuelle, il est essentiel de posséder des données de grande qualité, normalisées et en temps réel sur les décès dits excédentaires, les cas de COVID-19 et les hospitalisations, ainsi que des détails sur les activités des milliers de centres de soins de longue durée et de maisons de retraite partout au Canada.

Dans le cas des centres de soins de longue durée, nous avons besoin de ces données pour savoir pourquoi certains ont réussi à éviter tout cas d’infection au coronavirus parmi les résidents et le personnel, tandis que d’autres ont vécu une situation tragique. De telles informations statistiques fourniront au gouvernement fédéral les données probantes nécessaires pour prendre l’initiative d’établir des normes nationales en matière de niveaux de dotation des centres de soins, bien que la prise de mesures et la dotation ne doivent pas attendre des données parfaites.

Une fois que nous disposerons de données normalisées à un niveau individuel sur les cas de COVID-19, incluant des facteurs comme l’âge, le sexe, la présence d’autres maladies, la race, le quartier de résidence et la composition du foyer de la personne infectée, les taux d’hospitalisation, la gravité de la maladie et les décès ― des données dont dispose le Royaume-Uni en temps réel pour ses 17 millions de résidents ―, le Canada pourra alors effectuer des analyses et des prévisions beaucoup plus perfectionnées afin de faire face aux principaux enjeux de la pandémie.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

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Michael Wolfson
Michael Wolfson held the Canada Research Chair in Population Health Modelling at the University of Ottawa from 2010 to 2017. He worked in several federal departments, including the Treasury Board Secretariat, Finance, the Privy Council Office, and Statistics Canada, where he was assistant chief statistician.

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