On peut prétendre, sans risque de se tromper, que le monde entier souhaite que l’on découvre le plus rapidement possible un vaccin contre la COVID-19. Nous avons dû apprendre à vivre avec ce virus et nous devrons continuer à le faire pendant un bon bout de temps encore. Afin de contenir la pandémie, nous subissons les conséquences négatives des mesures préventives imposées par les autorités sanitaires, tout en nourrissant l’espoir que la mise au point d’un vaccin mette fin à ces restrictions et permette un retour à une certaine normalité.

Sur le plan de la découverte, le pipeline de vaccins candidats est plutôt rempli. Aux dernières nouvelles, une centaine de vaccins sont en cours d’évaluation, dont une dizaine sont parvenus aux dernières étapes de test chez l’humain (phase 3). Un effort de calibre mondial sans précédent dont on prévoit qu’il portera ses fruits dès l’automne 2020.

À la recherche d’un vaccin sécuritaire

Considérant qu’une campagne de vaccination contre la COVID-19 pourrait toucher plusieurs millions, voire des milliards de personnes, il est absolument essentiel de démontrer l’excellente innocuité du produit injecté. En effet, les premières évaluations d’un vaccin visent à en établir la sécurité. Pour développer un vaccin, plusieurs approches sont possibles. Dans certains cas, on utilise des virus atténués ; dans d’autres, on cherche à attaquer les pics à la surface du coronavirus qui s’agrippent à nos cellules (protéine S). Certaines approches risquent plus que d’autres de créer des effets secondaires sévères, ou même causer le décès. L’expérience vécue avec le vaccin Dengvaxia contre la dengue, homologué en 2015, en est un triste exemple : après sa mise en marché, des effets secondaires ont montré de façon évidente que le vaccin augmentait la sévérité d’une infection à la dengue chez les personnes séronégatives. Cette découverte créa un scandale aux Philippines et fit en sorte que les parents devinrent réticents à faire vacciner leurs enfants.

Un vaccin peut être sécuritaire pour certains sous-groupes de la population, mais pas pour d’autres. Établir l’innocuité d’un vaccin pour tous les sous-groupes d’une population est une tâche difficile et laborieuse, mais essentielle.

L’innocuité d’un vaccin n’est pas nécessairement binaire, c’est-à-dire il n’est pas soit inoffensif, soit nocif pour tous. Un vaccin peut être sécuritaire pour certains sous-groupes de la population, mais pas pour d’autres. Établir l’innocuité d’un vaccin pour tous les sous-groupes d’une population est une tâche difficile et laborieuse, mais essentielle. Dans notre hâte collective d’approuver un vaccin, nous devons être patients et prendre le temps de bien déterminer son profil d’innocuité. Les premières campagnes de vaccination viseront donc les sous-groupes de personnes chez qui la sécurité du vaccin est démontrée. Les autres devront attendre la fin d’études complémentaires ou la découverte d’un autre vaccin qui possède un meilleur profil d’innocuité.

À la recherche d’un vaccin efficace

Après avoir établi la sécurité d’un vaccin dans les premières phases d’études cliniques, on doit déterminer s’il est efficace. On forme donc deux groupes au hasard (randomisation) : un groupe constitué d’individus vaccinés et un autre groupe d’individus qui reçoivent un placebo. On compare ensuite le nombre d’infections observé dans chacun de ces groupes.

Pour illustrer le protocole utilisé, imaginons que 100 cas d’infection à la COVID-19 soient déclarés dans le groupe d’individus ayant reçu le placebo. Si on n’observe aucune infection dans le groupe d’individus qui a reçu le vaccin actif, c’est que celui-ci a une efficacité de 100 %. Si le vaccin a une efficacité de 50 %, on observera 50 cas d’infection. Et si on observe 100 cas d’infection, soit le même nombre que dans le groupe placebo, c’est que le vaccin est totalement inefficace (0 %). Les vaccins qui ont une efficacité inférieure à 100 % sont partiellement efficaces : ils préviennent les infections, mais pas toutes. Le vaccin contre la grippe saisonnière en constitue un bel exemple : pour certaines saisons, son efficacité a été inférieure à 20 %, tandis que pour d’autres, elle a été supérieure à 50 %.

Paradoxalement, ces études d’efficacité peuvent être réalisées plus rapidement dans des populations où l’épidémie est très forte (ou lors d’une deuxième vague). Dans une région où il n’y a presque pas de transmission, on peut difficilement évaluer l’efficacité d’un vaccin. De plus, une personne ne peut recevoir plus d’un vaccin, si bien qu’il y a une certaine concurrence pour ce qui est de recruter des participants à ces études.

La première génération de vaccins contre la COVID-19 nous apportera sans doute un vaccin partiellement efficace, qui nous aidera tout de même à atteindre beaucoup plus rapidement un seuil d’immunité collective.

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Il est possible d’évaluer l’efficacité d’un vaccin  en injectant le virus à des individus vaccinés : on infecte donc délibérément les individus. Cela permet de réaliser l’étude beaucoup plus rapidement et avec beaucoup moins d’individus. Par exemple, dans un protocole classique où on vaccinerait 10 000 individus, moins d’une cinquantaine seront potentiellement exposés au virus sur une période de plusieurs mois, puisque, actuellement, il y a moins de 500 nouvelles infections par million d’habitants par jour au Canada. Or, pour tester l’efficacité d’un vaccin, les mêmes résultats pourraient être obtenus en quelques semaines seulement en vaccinant 50 individus et en les infectant délibérément avec le virus. Mais une telle pratique pose des enjeux éthiques énormes, et elle semble avoir été écartée pour la COVID-19. L’infection délibérée des individus est utilisée pour l’évaluation de vaccins contre l’influenza, la malaria et la fièvre typhoïde.

La première génération de vaccins contre la COVID-19 nous apportera sans doute un vaccin partiellement efficace, qui nous aidera tout de même à atteindre beaucoup plus rapidement un seuil d’immunité collective. Toutefois, un tel vaccin peut avoir quelques effets sociaux indésirables, notamment des changements de comportement des individus vaccinés. Ceux-ci peuvent en effet se sentir protégés par le vaccin et adopter davantage de comportements à risque. Le gain net d’une campagne de vaccination pourrait alors être bien moindre que prévu et ne présenter même aucun avantage. Prenons l’exemple du casque de vélo : l’obligation du port du casque peut entraîner une forte hausse de la témérité des cyclistes et ainsi mener à une augmentation, et non à une réduction, de la gravité des blessures chez ces derniers. Pourtant, le casque est efficace pour prévenir les blessures graves, même s’il ne l’est pas à 100 %.

Ce phénomène s’appelle la « compensation du risque » ou l’effet Peltzman. Dans le domaine de la prévention du VIH, plusieurs méthodes sont partiellement efficaces pour empêcher l’infection. L’augmentation des comportements à risque est un souci constant dans les campagnes de prévention, qui visent à promouvoir l’utilisation de ces méthodes mais aussi le maintien des autres mesures préventives.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les organismes de réglementation, par exemple la Food and Drug Administration américaine, ont décrété que l’efficacité d’un vaccin contre la COVID-19 doit être de plus de 30 %. Sous cette barre, une campagne de vaccination mondiale offrirait très peu d’avantages et coûterait très cher. Certes, la découverte d’un vaccin avec une efficacité partielle supérieure à 30 % serait une bonne nouvelle, mais les mesures préventives telles que le port du masque, le lavage des mains et la distanciation sociale seront maintenues.

Par contre, les autorités sanitaires auront alors une certaine marge de manœuvre pour relancer des secteurs durement touchés par les mesures préventives ― par exemple les arts et les spectacles. Cette latitude sera établie par les autorités sanitaires en fonction de l’efficacité du vaccin et de ses autres caractéristiques ― sécurité, durée de l’immunité, etc. ―, mais sera très mince si l’efficacité du vaccin se situe entre 30 et 50 %. Le maintien des mesures préventives dans le contexte d’une campagne de vaccination posera un défi gigantesque, car le confinement du printemps dernier a laissé des séquelles profondes dans la population.

Production et distribution d’un vaccin

Compte tenu de l’urgence de la situation, les usines de production de vaccins sont construites avant même que l’on sache si un vaccin est sécuritaire et efficace. Cette stratégie sans précédent permettra de gagner énormément de temps. Comme les mécanismes pour développer des vaccins sont très différents les uns des autres, plusieurs types d’usine sont nécessaires. Par exemple, le vaccin développé par Medicago utilise des feuilles de tabac génétiquement modifiées. Si ce vaccin s’avère efficace, une culture à grande échelle de ces feuilles sera donc nécessaire. Or, si une découverte avait lieu au cours des prochains mois, on estime que ces usines ne pourront répondre à la demande mondiale qu’en 2023, tout en fournissant un nombre limité de doses d’ici là.

En raison d’un nombre limité de doses disponibles, l’accès équitable aux vaccins représente un défi majeur. Le 24 août dernier, l’OMS a annoncé que 172 pays ― dont le Canada ― ont accepté de participer au programme COVAX, qui vise à déterminer un mécanisme qui garantira un accès équitable à des vaccins sécuritaires et efficaces. Cette initiative cherche à éviter tout « nationalisme vaccinal » par lequel certains pays feraient passer leurs besoins avant ceux des autres. Les modalités et les engagements seront finalisés cet automne. Cependant, nous devrons attendre encore quelques mois avant de connaître les pays qui s’engageront officiellement dans ce programme. Récemment, le Canada a signé des ententes avec des compagnies pharmaceutiques pour la production de vaccins. S’il s’engage formellement dans le programme COVAX, une partie de cette production sera distribuée à d’autres pays.

Il est fort probable que la première campagne de vaccination au Canada comportera un nombre restreint de doses qui ne permettra pas de traiter toute la population. La campagne visera donc des sous-groupes pour que ceux-ci reçoivent un vaccin sécuritaire, mais qui ne sera sans doute que partiellement efficace. Selon l’efficacité du vaccin et la couverture vaccinale, les autorités sanitaires auront une certaine marge de manœuvre pour lever les mesures préventives, mais on peut prévoir déjà qu’elle sera assez faible. Convaincre la population canadienne de maintenir ces mesures représentera tout un défi, car, pour beaucoup, la découverte d’un vaccin annonce la fin de la pandémie. Oui, mais nous devrons être patients. En somme, entre la découverte d’un vaccin sécuritaire et efficace et la fin réelle de la pandémie grâce à une immunité collective obtenue par la vaccination, la population devra continuer à se plier à des mesures préventives pendant un certain temps.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

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