La crise sanitaire et économique provoquée par la COVID-19 est un test majeur pour la viabilité financière des provinces canadiennes. Alors même que leurs dépenses augmentent (en santé et en éducation au premier chef), leurs revenus budgétaires diminuent. C’est inévitable dans les circonstances : toutes les provinces connaissent une détérioration majeure de leur solde budgétaire, qui s’accompagnera d’un accroissement important de leur endettement public dans les prochaines années.

Le Québec est probablement la province qui dispose de l’appareil législatif le plus élaboré et le plus durable (jusqu’ici) pour encadrer la soutenabilité de ses finances publiques. Il devra accomplir, à n’en pas douter, un difficile numéro d’équilibriste au cours des prochaines années. Quel plan de relance sera compatible avec des finances publiques soutenables à long terme et le cadre législatif en place ?

L’encadrement législatif des finances publiques au Québec

Le 15 mai 2021 marquera le 25e anniversaire de la présentation à l’Assemblée nationale, par le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard, du projet de loi sur l’élimination du déficit et l’équilibre budgétaire. Il est remarquable que, malgré les aléas économiques des 25 dernières années ― dont la récession de 2008-2009 aura constitué le test le plus difficile jusqu’à la crise actuelle ―, la Loi sur l’équilibre budgétaire demeure le roc sur lequel s’appuie toujours la politique budgétaire québécoise.

Une fois l’équilibre budgétaire atteint à la fin des années 1990 après des décennies de déficit budgétaire structurel, un consensus politique s’est progressivement établi autour de la nécessité d’aller plus loin et de s’attaquer aussi à la réduction de la dette du gouvernement. Claude Montmarquette et moi avions participé activement à ce débat en 2004 : en résumé, il fallait passer d’un équilibre structurel à un surplus structurel.

En 2006, pour encadrer la réduction de sa dette, le Québec s’est doté d’un cadre légal unique au Canada. La Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations, toujours en vigueur aujourd’hui, prévoit : 1) des revenus dédiés au remboursement de la dette, en sus de l’équilibre budgétaire ; 2) leur accumulation dans le Fonds des générations en vue de remboursements éventuels de la dette (plutôt que des remboursements immédiats) ; et 3) des cibles formulées en termes de ratios dette-PIB.

Le Québec est probablement la province qui dispose de l’appareil législatif le plus élaboré et le plus durable (jusqu’ici) pour encadrer la soutenabilité de ses finances publiques.

Fort de ce cadre budgétaire sophistiqué, le Québec est entré dans la crise actuelle avec des finances publiques en santé, notamment avec des ratios d’endettement en nette baisse depuis plusieurs années et une réserve de stabilisation bien garnie (les surplus qui s’y sont accumulés au fil du temps ont permis au gouvernement de se mettre en déficit à court terme). Le Fonds des générations avait quant à lui une valeur marchande de 9,2 milliards de dollars au 31 décembre 2019, avec des revenus dédiés au Fonds avoisinant 3 milliards de dollars par année.

Un plan de relance axé sur les infrastructures

Après un printemps marqué au fer rouge par les ravages de la pandémie, tout particulièrement dans les CHSLD, le gouvernement du Québec a présenté en juin un plan de relance économique qui mettait l’accent sur la réalisation accélérée de 202 projets d’infrastructure, contenu dans le projet de loi 61.

Certaines dispositions de ce projet de loi ayant provoqué une vive controverse, une nouvelle mouture, le projet de loi 66, a été déposée à la rentrée parlementaire d’automne. Intitulé Loi concernant l’accélération de certains projets d’infrastructure, il cible maintenant 181 projets (laissant donc de côté une vingtaine pour diverses raisons) qui bénéficient de mesures d’exception destinées à en accélérer la réalisation, dans l’espoir de soutenir l’économie plus rapidement. Voici une analyse par secteur de la liste de projets présentée en annexe du projet de loi :

  • Santé et services sociaux : 81 projets, dont 47 nouvelles « Maisons des aînés » et 16 projets qui figuraient déjà nommément dans le Plan québécois des infrastructures (PQI) publié en mars 2020.
  • Transports : 53 projets, dont 31 figuraient déjà nommément dans le PQI. Si la plupart sont des projets routiers, il y a aussi des projets majeurs de transport collectif.
  • Éducation primaire et secondaire : 35 projets de construction ou d’entretien d’écoles, dont la plupart se trouvaient déjà dans le PQI à l’étape de la planification de projet.
  • Collèges et universités : 5 projets de construction ou de réaménagement de pavillons, tous tirés de la liste des projets à l’étude du PQI.
  • Justice et sécurité publique : 4 projets, dont un apparaissait déjà sous la catégorie « en planification » dans le PQI.
  • Bâtiments publics : 3 projets qui ne figuraient pas nommément dans le PQI.

Concilier accélération des projets et capacité de payer à long terme

Comme en 2008, le Québec fait donc reposer son plan de relance économique sur des investissements dans les infrastructures. Le projet de loi 66 (comme son prédécesseur, le projet de loi 61) met l’accent sur un enjeu de court terme : le calendrier d’exécution des projets. Or, cette préoccupation, aussi valable soit-elle, ne devrait pas occulter l’essentiel : seuls les « bons » investissements publics contribueront à une réelle relance de l’économie à moyen et à long terme. A fortiori, seuls les « bons » investissements devraient justifier le recours à l’endettement public.

Seuls les « bons » investissements publics contribueront à une réelle relance de l’économie à moyen et à long terme. A fortiori, seuls les « bons » investissements devraient justifier le recours à l’endettement public.

Mais qu’est-ce qu’un « bon » investissement public ? La réponse à cette question est plus difficile qu’il n’y paraît. Malheureusement, force est de constater que le gouvernement n’a pas vraiment expliqué selon quels critères il a sélectionné les 181 projets en question, ouvrant forcément la porte à la critique. Seule la volonté gouvernementale de tenir compte de la répartition régionale des projets est mise en évidence sur le site Web de la Coalition avenir Québec.

Énonçons trois critères qui devraient, de manière générale, guider le gouvernement dans le choix des projets et les conditions de leur réalisation.

  1. D’abord, un bon projet d’investissement public est un projet dont les avantages pour l’ensemble de la société dépassent les coûts pour la société. Établir si un projet public devrait ou non aller de l’avant demande une évaluation rigoureuse et détaillée de ses avantages et de ses coûts. Cet exercice prendra en compte les aspects financiers du projet, bien entendu, mais aussi ses conséquences économiques, sociales et environnementales. Comme c’est un calcul de nature sociétale qui doit être fait, on ne saurait en aucun cas surseoir aux évaluations sociales et environnementales nécessaires. En matière économique, on cherchera également à favoriser des projets qui auront des répercussions à long terme sur l’économie d’une ville, d’une région ou encore du Québec dans son ensemble.
  2. Ensuite, un bon projet d’investissement public est un projet qui est réalisé de manière efficiente. Le processus d’octroi des contrats publics est ici d’une importance capitale. On privilégiera, aussi souvent que possible, une mise en concurrence de plusieurs entreprises, afin de permettre à l’État d’obtenir le meilleur prix possible pour des travaux qui devront être de la meilleure qualité possible. Dans un marché public qui fonctionne bien, l’État investit le temps et les ressources nécessaires. L’octroi de contrats dans l’urgence en gré à gré est, malheureusement, rarement compatible avec ce deuxième critère. Le surcoût ou la qualité moindre qui pourraient en découler peuvent facilement annuler les avantages qu’offrent les meilleurs projets sur le plan social.
  3. Enfin, un bon projet d’investissement public est un projet qui est réalisé au bon moment dans le cycle économique. Eu égard à ce troisième critère, les feux sont au vert dans le cas du Québec. Les taux d’intérêt sont au plus bas et l’économie, à n’en pas douter, a besoin d’être stimulée.

L’application de ces trois critères requiert un ensemble de décisions délicates de nature éminemment politique. Toutefois, dans l’élaboration d’un plan de relance, c’est une sélection objective et transparente des meilleurs projets et leur mise en œuvre par des marchés publics qui jouent pleinement leur rôle dans l’obtention du meilleur rapport qualité-prix pour l’ensemble de la société qui doivent primer. Il faudra que l’on puisse dire dans les années à venir que ce plan n’a pas seulement permis de stimuler l’économie du Québec à court terme, mais qu’il a surtout renforcé la croissance économique à moyen et à long terme tout en étant compatible avec la soutenabilité des finances publiques.

Photo : Le chantier des travaux sur l’échangeur Turcot, Montréal. Shutterstock / Pat Lauzon.

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Marcelin Joanis
Marcelin Joanis est économiste spécialisé en finances publiques, professeur titulaire à Polytechnique Montréal et chercheur invité au Département de sciences économiques de l’Université de Montréal. Ses recherches portent notamment sur l’endettement, les règles budgétaires, les infrastructures et le fédéralisme fiscal.

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