Jeudi 12 mars 2020, 13 h, Assemblée nationale du Québec, salle Evelyn-Dumas : drapeaux officiels du Québec en arrière-plan, le premier ministre François Legault prend place aux côtés de la ministre de la Santé et des Services sociaux Danielle McCann et du directeur national de la Santé publique Dr Horacio Arruda. Il s’agit de la première d’une série de conférences de presse quotidiennes sur l’évolution de la propagation de la COVID-19, qui feront sans aucun doute école dans les cours de communication de crise.

Ces conférences de presse constituent l’élément central d’une stratégie de gestion de crise exemplaire du gouvernement québécois qui tient à deux principaux facteurs : 1) la rapidité et la justesse de la réaction initiale ; 2) l’image de leader de François Legault qui s’est construite lors de ces rencontres avec la presse. Mais revenons d’abord sur les défis et opportunités pour les politiciens en période de gestion de crise.

Les défis et opportunités dans la communication de crise 

La propagation rapide du virus au-delà des frontières, son taux de mortalité élevé, l’absence de vaccin, la saturation probable des services de santé en cas de contamination massive font de la pandémie actuelle une crise mondiale majeure. Plus que sanitaire, il s’agit d’une crise financière, économique, sociale, politique et communicationnelle. Si cette dernière dimension peut paraître secondaire, il reste que la communication, en donnant sens aux événements, a un effet considérable sur le niveau d’(in)sécurité d’une société. C’est là le premier des grands paradoxes des crises sanitaires : le succès des efforts des systèmes de santé pour traiter la maladie est dépendant en partie d’impératifs communicationnels, complètement étrangers à la sphère médicale. Sans la communication efficace des mesures en place, sans la confiance des populations envers les autorités ― construite essentiellement par le discours ―, le meilleur système de santé de la planète risque d’échouer.

L’un des grands paradoxes des crises sanitaires : le succès des efforts des systèmes de santé pour traiter la maladie dépend en partie d’impératifs communicationnels, complètement étrangers à la sphère médicale.

Un second paradoxe tient à l’imprévisibilité de la crise, dont l’évolution rapide est toute sauf linéaire, alors même que cette confiance des populations envers leurs autorités est liée à la capacité de ces dernières à se montrer en contrôle de la situation. De fait, en dépit des enseignements tirés de l’expérience de la Chine et de l’Europe, l’ampleur et la dynamique de sa propagation au Québec restent largement inconnues. À ce deuxième paradoxe s’en ajoute un troisième, qui renvoie à la temporalité courte des événements et de l’information médiatique ― les données sur l’évolution du virus changent d’heure en heure ― se heurtant à la temporalité longue du processus décisionnel et des changements comportementaux. Étant donné ces impératifs d’une communication d’urgence, les politiciens font face à un dilemme : comment concilier l’exigence de décisions rapides et l’absence d’informations fiables sur l’évolution de la situation ? Comment concilier le devoir de transparence et l’incapacité de tout dire au nom de la sécurité nationale ?

Cela étant dit, les crises constituent également des opportunités pour le communicateur habile qui peut se révéler dans de telles situations, montrant son leadership, son sens de l’État, son humanité. Jusqu’ici, le gouvernement Legault semble avoir tiré profit de ces opportunités, offrant une performance sans faute dont l’effet positif sur son image est indéniable.

Des réactions initiales efficaces à la crise

Conformément aux guides sur les bonnes pratiques de communication de crise, le gouvernement a reconnu rapidement l’urgence de la situation et pris des mesures pour contrôler la propagation du virus. Deux jours après avoir évalué la menace comme faible, François Legault a révisé sa position, prenant acte de la gravité de la pandémie et annonçant les premières mesures de confinement et de distanciation sociale. Sa réaction s’évalue d’autant plus favorablement lorsqu’on la compare à celle du premier ministre canadien (attentiste) ou celle du président américain (niant, dans un premier temps, les répercussions de la pandémie).

La réactivité du gouvernement, ajoutée à la clarté et la précision des mesures annoncées, a rapidement permis au premier ministre de se définir comme un leader crédible pour faire face à la crise. Les interventions du docteur Arruda et de la ministre McCann, coordonnées et complémentaires à celles de François Legault, ont accru le pouvoir de conviction du message tout en lui donnant une fiabilité scientifique. Les porte-parole parlent ainsi d’une même voix, établissant un canal unique de communication, garant de la cohérence du message. Cette centralisation des communications gouvernementales constitue sans conteste l’une des clés du succès de la stratégie déployée.

L’image d’un leader empathique

C’est connu, l’image médiatique est une construction complexe. Elle est influencée non seulement par le discours produit, mais aussi par l’activité réalisée. Ici, la conférence de presse, par son caractère formel, renforce l’impression que la pandémie est prise au sérieux, et elle contribue à légitimer les propos de Legault, le chef d’État. Par ailleurs, le caractère solennel ― susceptible de créer une distance avec les citoyens ― est atténué par la périodicité des rencontres avec la presse. Chaque jour à la même heure, le premier ministre entre dans l’intimité du foyer de centaines de milliers de Québécois pour les informer de la situation. Cette ritualisation crée un véritable rendez-vous qui est non seulement attendu (voir ci-dessous le tweet de la reporter Marie-Ève Tremblay), mais instaure une familiarité qui rassure par son aspect routinier. D’ailleurs, le buzz autour du sympathique Dr Arruda, devenu une vedette médiatique, n’est pas sans lien avec ce rapport de proximité établi avec les citoyens à cette occasion.

Ajoutons que, contrairement aux discours écrits ou oraux préenregistrés, les prestations en direct, comme celles du premier ministre, donnent une authenticité et une vérité à la communication. De fait, une telle mise en scène permet aux téléspectateurs d’apprécier la façon dont François Legault incarne vocalement et corporellement son message, s’investit cognitivement et émotivement dans celui-ci. En ce sens, ce qui est perdu sur le plan du contrôle du message (le direct laissant peu de place à l’erreur) risque d’être gagné sur le plan de la sincérité. Lorsque les politiciens dépassent la simple récitation d’un texte écrit par d’autres ― reproche souvent adressé à Justin Trudeau ― et parviennent à véritablement incarner leur discours, simulant une parole spontanée, à faire comme s’ils s’adressaient personnellement à chacun des citoyens, ils créent une relation de connivence favorable à la mobilisation. C’est exactement ce qu’a réussi François Legault jusqu’à présent. « Il s’adresse à moi et m’explique dans ses mots la situation », pourrait-on dire. Loin du discours technocratique empreint de langue de bois, le premier ministre utilise un vocabulaire commun et clair que tout le monde comprend.

Sur le plan de l’image, ses interventions où s’entremêlent informations sur la crise, directives sanitaires, encouragements, remerciements adressés à certains de ses « anges gardiens » de première ligne et, à l’occasion, suggestions de lectures et d’activités reprennent les ingrédients qui ont fait les succès du duo Lucien Bouchard, premier ministre du Québec, et André Caillé, président d’Hydro-Québec lors de la crise du verglas en 1998. Elles mêlent autorité tranquille et empathie, compétence dans la gestion rigoureuse de la crise et mise en scène de soi, notamment comme père de famille. En fin de compte, cette image de leader de Legault ajoutée à la transformation des citoyens et des artistes et influenceurs du Web en des agents actifs de la lutte contre la COVID-19, ayant un rôle déterminant à jouer et des tâches précises à accomplir ― respecter les directives, diffuser des informations fiables, inciter autrui à suivre les mesures, donner du sang, etc. ― constituent des facteurs puissants d’adhésion au message gouvernemental.

Si la gestion de la crise actuelle est loin d’être terminée, les réactions initiales à la propagation du virus, marquées par leur rapidité et leur proactivité, jumelées à un dispositif de communication permettant à François Legault de montrer un leadership humain, sensible et engagé témoignent d’une stratégie de communication particulièrement réussie, qui n’apparaît pas étrangère à la solidarité, à la résilience et au sens civique observés chez les Québécois. Une stratégie à suivre…

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

Photo : Le premier ministre François Legault, le directeur de la santé publique Horacio Arruda (à gauche) et la ministre de la Santé et des Services sociaux Danielle McCann (à droite) lors de leur conférence de presse quotidienne sur l’évolution de la pandémie de COVID-19 au Québec, le 21 mars 2020. La Presse canadienne / Jacques Boissinot.

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Olivier Turbide
Olivier Turbide est professeur de communication à l’Université du Québec à Montréal, directeur du Laboratoire d’analyse de presse et membre du Groupe de recherche en communication politique.

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