Alors que de plus en plus de personnes provoquent leur décès en recourant à l’aide médicale à mourir, peu d’entre elles ont le contrôle sur la définition même de la mort. Or, comme le soulève l’article « La mort cérébrale est-elle une vraie mort ? », des médecins cherchent à clarifier si la mort survient au moment de la mort cérébrale ou de la mort cardiaque. Qui possède l’autorité de trancher cette question? Pourriez-vous décider pour vous-même de la définition de votre mort ?
Cette question s’est imposée dans l’actualité des dernières années. Au Québec, la loi n’offre pas de définition précise de la mort. Le Code civil laisse plutôt à la profession médicale le soin de stipuler le moment exact où survient la mort d’une personne. Jusqu’ici, les médecins ont privilégié la « mort cérébrale », c’est-à-dire lorsque l’activité cérébrale cesse de manière irréversible.
Pourtant, la perte de la conscience et l’arrêt des activités du tronc cérébral n’empêchent pas certains organes de continuer à fonctionner seuls, comme le cœur. Ainsi, d’autres définitions de la mort existent. La plus répandue est celle de la « mort cardiaque », qui considère que la mort survient lorsque l’activité cardiaque cesse de manière irréversible.
Définir la mort a une incidence directe sur une panoplie de situations régies par le droit civil. Sur le plan de la santé, on veut éviter de dépouiller une personne de ses organes vitaux si elle est toujours en vie. Ainsi, privilégier l’option de la mort cérébrale favorise la transplantation d’organes généralement maintenus dans certaines conditions.
Ce choix délicat a aussi un effet important sur le patrimoine des gens, puisque la succession d’une personne s’ouvre au moment de son décès. Ainsi, si l’on considérait que la personne en mort cérébrale n’est pas juridiquement morte, plusieurs années sous respirateur artificiel viendraient significativement retarder la liquidation de la succession.
Plus généralement, la définition de la mort qu’une société adopte est révélatrice de sa culture. Considérer qu’une personne cesse d’exister au moment de sa mort cérébrale sous-entend que nous percevons le cerveau, la pensée, la conscience comme étant le réceptacle de la personne elle-même. En revanche, en droit québécois, on constate que la personne commence à exister au moment de sa naissance – et non dès les premières activités cérébrales du fœtus.
À une époque où le respect de la diversité prend une valeur cardinale, on peut se demander pourquoi on ne laisserait pas la personne choisir les critères biologiques selon lesquels elle voudrait être considérée comme morte. Dans un dossier, en Ontario, la famille de Taquisha McKitty avait soutenu que leur croyance religieuse statuait que la mort ne survient qu’au moment de l’arrêt irréversible du cœur. Ainsi, alors que les médecins avaient déclaré la mort cérébrale de McKitty et souhaitaient la débrancher de son respirateur artificiel, elle demeurait toujours en vie du point de vue de sa famille. Son père y voyait donc un meurtre. Quel avis doit prévaloir entre celui des médecins et celui de la famille, lorsque plusieurs définitions de la mort se font concurrence ?
Du côté des juristes québécois, plusieurs sont ouverts au débat de société. Certains, comme le professeur Dominique Goubau, recommandent de laisser le choix à la discrétion de la profession médicale. D’autres, comme le professeur Robert P. Kouri, préconisent que les élus définissent la mort dans une loi, comme on l’a vu au Manitoba.
Ne pourrait-on pas imaginer un système avec option de retrait (opt out), où le droit adopte une définition de la mort par défaut tout en laissant à chaque personne la liberté de choisir une autre définition pour elle-même ?
Alors que la mort peut être définie de plusieurs manières, on voit bien que trancher ce débat constitue un choix de société avec des conséquences névralgiques sur le sort des individus. Le devenir du droit privé est tributaire d’un tel débat.