Certains groupes de personnes, et notamment les personnes racisées, sont plus durement frappées par la COVID-19. Je joins ma voix aux militants et aux organisateurs communautaires, aux scientifiques et aux universitaires du Canada pour demander au gouvernement de collecter systématiquement des données raciales de toutes les personnes infectées par le coronavirus.

Ces données sont cruciales pour démystifier la propagation inégale du virus parmi les différents sous-groupes de la population. Grâce à ces informations, le gouvernement pourra élaborer un plan d’action ciblé, qui tient compte des inégalités en santé existantes et à venir. Il est dans l’intérêt de tous, surtout au moment du déconfinement et à l’aube d’une éventuelle deuxième vague, de dresser un portrait clair des répercussions de la pandémie.

La situation aux États-Unis

La pandémie n’a pas seulement révélé les disparités sociales et les inégalités en santé déjà ancrées aux États-Unis, elle les a renforcées. Nos voisins du Sud ont fait preuve d’un manque d’intérêt flagrant et de négligence pour la collecte de données basées sur la race, quoique le mécanisme de déclaration de la race des personnes infectées varie d’un État à l’autre. Dans certains États, on a même supprimé des données sur la race en rapportant les décès. L’organisme indépendant APM Research Lab, qui a compilé les certificats de décès selon la race, est arrivé à ce constat alarmant : le taux de mortalité des Afro-Américains est 2,3 fois plus élevé que celui des Blancs et des Asiatiques, et 2,2 fois plus élevé que celui des Latino-Américains. Même dans un contexte où certaines données probantes sur la race sont manquantes, les preuves sont là : la pandémie a été dévastatrice pour les Afro-Américains.

Ce triste bilan nous renvoie à la situation socioéconomique et de santé des Afro-Américains. Les conditions de vie de la population afro-américaine sont particulièrement difficiles ― ressources économiques limitées,  racisme structurel du système de santé, entre autres ―, qui affectent leur santé et leur sécurité. Les Afro-Américains vivent dans des zones urbaines densément peuplées et souvent dans des logements surpeuplés. Dans ces conditions, maintenir la distanciation physique pour prévenir la propagation du coronavirus est presque impossible.

De plus, ils sont employés en majorité dans les secteurs essentiels et doivent continuer à travailler à l’extérieur. Tous les éléments étaient réunis pour un cocktail explosif : une augmentation du risque d’exposition au virus et un taux de mortalité plus élevé. Bien sûr, les déterminants de la santé jouent en défaveur de cette population marginalisée, mais on trouve chez elle aussi une prévalence de problèmes de santé spécifiques ― notamment le diabète, l’hypertension artérielle et l’obésité ―, qui la fragilise davantage.

La situation au Québec

Les informations qui nous parviennent des États-Unis devraient nous convaincre de la nécessité d’inclure l’élément de la race dans notre propre collecte de données. Chez nous aussi, de nombreuses données dressent le portrait d’une iniquité en santé, qui porte préjudice aux populations marginalisées. Le 6 mai dernier, le directeur de la santé publique du Québec, le Dr Horacio Arruda, a annoncé l’intention du Québec de recueillir des données sur l’ethnicité et le milieu socioéconomique des personnes infectées par le coronavirus. À ce jour, rien n’a été fait, et ce volte-face n’a toujours pas été expliqué.

Pour illustrer l’importance de la collecte de ces données ici même, on peut prendre l’exemple de la transmission communautaire à Montréal où les épicentres de la pandémie se situaient dans les quartiers multiculturels de Rivières-des-Prairies–Pointes-aux-Trembles et de Montréal-Nord. Il est bien établi maintenant que les taux élevés d’infection au Québec se trouvaient principalement dans les régions montréalaises multiculturelles à forte présence d’immigrés, de réfugiés et de demandeurs d’asile. De plus,  20 % des personnes infectées dans la grande région de Montréal étaient des travailleurs de la santé. Le président du Syndicat des travailleuses et des travailleurs du CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal  souligne que les préposées aux bénéficiaires travaillant dans ces établissements sont majoritairement des femmes afrodescendantes, africaines ou maghrébines, notamment des femmes nouvellement immigrées ou des demandeurs d’asile. Ces soignantes, élevées au rang d’anges gardiens maintenant, ont longtemps été négligées par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Ce n’est que ces derniers mois qu’on s’est intéressés de plus près à leurs conditions de travail difficiles. Nous connaissons tous maintenant les conséquences de cette situation déplorable.

Le métier de préposée aux bénéficiaires n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de la surreprésentation des communautés ethniques dans les divers emplois essentiels.

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Ne pas recueillir des informations sur la surreprésentation des personnes racisées parmi les cas de COVID-19 ou ne pas les rendre publiques révèle un déni de l’existence de déterminants sociaux.

Mais la surreprésentation des personnes racisées ne reste qu’une anecdote si l’on ne dispose pas de données sur ces communautés. Ne pas recueillir de telles informations ou ne pas les rendre publiques révèle un déni de l’existence de déterminants sociaux. Ils sont pourtant essentiels pour établir un portrait complet de la propagation du coronavirus et du risque d’infection au Québec. On devrait aussi collecter ce type de données relativement à tous les autres problèmes de santé qui touchent les populations racisées vulnérables. Pour l’instant, aucune politique publique ou de santé ne semble en place pour corriger le tir.

La situation ailleurs au Canada

L’Agence de la santé publique du Canada, ainsi que le médecin hygiéniste en chef de l’Ontario ont indiqué qu’il n’y aurait aucune collecte de données sur l’origine ethnique, sauf pour les Autochtones. Cette non-reconnaissance de l’inégalité en santé qui touche certaines populations ethniques durant cette pandémie se reflète dans la politique de santé établie en temps de crise. Ainsi, le plan d’action contre la COVID-19 du gouvernement de l’Ontario pour la protection des populations vulnérables ne fait aucune mention des groupes des diverses ethnies ou de la race, à l’exception des Autochtones.  Dans une étude récente, des chercheurs ontariens se sont intéressés aux liens entre race, facteurs socioéconomiques et taux d’infection et de mortalité dus à la COVID-19. Ne disposant pas de données individuelles précises sur la race, les chercheurs concluent néanmoins que le taux d’infection est plus important dans les régions socio-sanitaires où la proportion de Noirs et d’immigrants est plus forte.

La mauvaise utilisation de données sur l’origine ethnique et les exigences de protection de la vie privée pourraient expliquer la réticence des gouvernements à recueillir des données sur l’ethnicité. Cependant, si cette collecte est bien encadrée par des clauses de confidentialité et de protection des données et qu’elle anonymise les renseignements, il serait possible de prévenir les risques de fuite et d’usage par des personnes mal intentionnées. Pour une collecte de données ethnographiques sécuritaire, il faudrait que celles-ci ne soient utilisées que pour la prévention de la propagation de la COVID-19 et non pour le contrôle de l’immigration ou pour des raisons de sécurité nationale.

Recueillir des données sur l’ethnicité peut produire de la stigmatisation de sous-populations davantage affectées par le coronavirus lorsque les données sont utilisées hors contexte ou si elles se trouvent entre les mains de gens de mauvaise foi. Mais la collecte de données ethniques ne vise nullement à blâmer ou à condamner les communautés concernées pour le nombre de cas d’infection élevé. Elle cherche à trouver des réponses aux tendances relevées et à souligner les vulnérabilités, économiques et sociales par exemple, propres à une population ethnique.

Il y a un besoin criant de donnés sur les déterminants sociaux qui influencent la santé de la population pour établir les effets de la pandémie au Canada et pour permettre aux gouvernements de mieux la gérer. Les données sur la race sont même nécessaires en tout temps. Grâce à elles, les autorités peuvent élaborer une planification stratégique des ressources en santé et des ressources sociales. Une meilleure santé pour tous exige des politiques publiques transformatives, qui prennent en compte les facteurs sociaux et économiques et initient des réformes considérables et durables, et cela non seulement durant la COVID-19. Ces changements ne peuvent se faire sans tenir compte des différentes communautés multiculturelles au pays.

Je tiens à dire à nos gouvernements que l’équité en santé est d’abord de reconnaître la disparité en santé et le fait que le coronavirus affecte tout particulièrement les populations racisées. Il est temps d’agir.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

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