La nature crée des différences, la société en fait des inégalités.

— Tahar Ben Jelloun

De manière générale, la lutte contre les inégalités raciales en milieu scolaire soulève un questionnement de nature sociale et institutionnelle qui requiert d’unifier et de mieux coordonner les actions éducatives pour favoriser la réussite du plus grand nombre d’élèves. Le vécu socioscolaire des élèves issus des minorités racisées nous amène à voir l’école comme un endroit où l’on forge et applique des normes sociales inégalitaires. Il faut donc lutter contre les pratiques discriminantes qui perpétuent la hiérarchie entre groupes désignés et dont la dissymétrie est érigée en système.

Quel est l’impact des préjugés et des stéréotypes à caractère raciste (conscients ou non) sur la réussite en milieu scolaire des élèves racisés qui en sont victimes ? Est-il possible d’aplanir les inégalités raciales dans les établissements d’enseignement ? Quelles sont les solutions pour offrir une éducation équitable ?

La discrimination des élèves issus de minorités racisées

Les travaux menés au Québec, notamment par Fasal Kanouté, Gina Lafortune et Marie Mc Andrew, montrent que les élèves racisés sont exposés à de la discrimination subtile ou inconsciente en classe ou dans leur école. Cette discrimination leur est infligée par le personnel scolaire et par des camarades de classe, et se manifeste sous diverses formes : préférences discriminatoires des enseignants, préjugés associés au groupe d’appartenance des élèves, difficulté des élèves à se faire des amis, rejets lors de la constitution des équipes de travail, insultes racistes, blagues déplacées, questions humiliantes… Les jeunes ainsi stigmatisés vivent des situations de rejet et d’exclusion, et doivent surmonter des obstacles et relever des défis particuliers pour réussir à l’école. En effet, depuis des décennies, des recherches québécoises montrent des écarts de réussite entre les groupes d’élèves racisés et les autres. Ces études ont mis en évidence des inégalités et des formes de ségrégation scolaire qui peuvent avoir des conséquences dommageables sur le parcours des élèves, notamment le décrochage, hypothéquant leur avenir.

Dans son Plan stratégique 2017-2022, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur présente les seuils de réduction des écarts de réussite entre certains groupes d’élèves. Il constate, en 2017, un écart de 4,1 points de pourcentage entre les élèves issus de l’immigration (première génération) et les autres. Son objectif est de réduire cet écart à 3 points en 2022 et à 1,8 en 2030.

Il est ahurissant de constater que les élèves issus des minorités racisées et qui sont nés au Québec sont toujours et d’abord perçus comme des immigrés.

Il est ahurissant de constater que les élèves issus des minorités racisées et qui sont nés au Québec sont toujours et d’abord perçus comme des immigrés. Ces jeunes connaissent des expériences de racisation à l’école qui créent des tensions identitaires aliénantes, puisque la couleur de la peau sert à justifier la hiérarchie sociale prédominante. Il est bien difficile de garantir le principe de l’égalité des chances en pareilles circonstances.

Toutefois, les élèves racisés qui ont la capacité de surmonter l’exclusion et la marginalisation pour s’adapter au milieu ont des parcours scolaires marqués par des réussites exceptionnelles. Issus d’une culture familiale plus conforme aux attentes de l’école, ces élèves sont souvent mieux dotés socialement et économiquement que ceux qui vivent en contexte de vulnérabilité. Les élèves performants issus de groupes racisés savent décoder les règles implicites s’appliquant à leurs études qui prévalent dans leur école et leur classe.

Pour prévenir les inégalités raciales à l’école, il faut d’abord croire à la réussite des élèves issus de groupes racisés et tenir compte avant tout de ce qui se passe dans leur quotidien à l’école. Il faut leur permettre de s’épanouir à l’école en les faisant participer pleinement à la vie scolaire et en les aidant à développer un sentiment d’appartenance.

La prévention des inégalités ethnoraciales en milieu scolaire

Dans son énoncé de politique de 1998 intitulé Une école d’avenir : politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle, le ministère de l’Éducation voulait saluer le travail effectué dans le milieu scolaire pour assurer le succès de tous les élèves ainsi que réaffirmer son engagement à bâtir une société inclusive sur des valeurs communes qui doivent s’exprimer à l’école. Dans la foulée de l’adoption de sa politique, il avait élaboré un plan d’action pour préciser les responsabilités du milieu scolaire à ce chapitre, afin de mettre en place des mesures qui permettraient d’atteindre ses objectifs.

Cette politique n’a pas produit tous les résultats escomptés. Les cinq orientations de la politique allaient certainement dans le bon sens, mais ce sont plutôt des conditions sociologiques particulières qui entravent la lutte contre les inégalités raciales. De fait, il n’existe pas de solution unique pour éliminer les injustices ethnoraciales auxquelles sont confrontés les élèves racisés. Pour prévenir et lutter contre ces injustices, il faut tout d’abord accepter et reconnaître l’existence de pratiques racistes et discriminatoires à l’école.

Dans ce contexte, le rôle de la direction d’école est central : elle doit instaurer un climat qui met à profit la diversité des élèves, leur développement affectif et identitaire, leur socialisation et leur capacité à entrer en relation avec les autres. Elle doit aussi prendre des mesures qui promeuvent le vivre-ensemble et qui visent l’élimination de la marginalisation et du rejet.

Le rôle de la direction d’école est central : elle doit instaurer un climat qui met à profit la diversité des élèves, leur développement affectif et identitaire, et leur capacité à entrer en relation avec les autres.

La Politique de la réussite éducative de 2017 du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur reconnaît l’effet positif du leadership de la direction des établissements d’enseignement. Le type de leadership employé a une influence sur l’ensemble des activités quotidiennes de l’établissement, notamment sur l’inclusion de tous les élèves. L’importance d’adopter des pratiques d’inclusion pour assurer la réussite éducative de tous les élèves est un enjeu soulevé aussi dans le dernier avis du Conseil supérieur de l’éducation, intitulé Pour une école riche de tous ses élèves : s’adapter à la diversité des élèves, de la maternelle à la 5e année du secondaire.

Pour améliorer le climat scolaire, le personnel peut s’inspirer des travaux de Michel Janosz et ses collaborateurs, qui en ont défini cinq facettes :

  1. un climat relationnel caractérisé par des contacts interculturels chaleureux, le respect mutuel et le relativisme culturel ;
  2. un climat éducatif fondé sur le dévouement de l’école à la réussite des élèves, et sur la valeur et le sens accordés aux apprentissages ;
  3. un climat sécuritaire ;
  4. un climat de justice où les droits de chacun sont reconnus, et où les règles sont justes et équitables ;
  5. un climat d’appartenance où l’école est considérée comme un milieu de vie et où les élèves adhèrent à ses normes et à ses valeurs.

Les mesures favorisant l’intégration sont essentielles : elles renvoient à la nécessité, pour l’école, de modifier certaines de ses pratiques institutionnelles, afin de mieux tenir compte des besoins et des intérêts particuliers des groupes d’élèves qui diffèrent de la majorité. Les écoles doivent mettre en place un code de vie où aucune forme de ségrégation scolaire n’est tolérée et punir les comportements racistes. Elles doivent lutter contre les préjugés raciaux contenus dans le projet éducatif et s’assurer que les activités d’enseignement et d’apprentissage sont exemptes de tout contenu raciste.

Une des clés du succès de la lutte contre le racisme à l’école réside dans la formation du personnel enseignant, afin qu’il prenne conscience des inégalités ethnoraciales dans l’éducation et qu’il comprenne les questions relatives aux droits de la personne.

Une des clés du succès de la lutte contre le racisme à l’école réside dans la formation du personnel enseignant, afin qu’il prenne conscience des inégalités ethnoraciales dans l’éducation et qu’il comprenne les questions relatives aux droits de la personne. Le personnel enseignant doit sortir de ses cadres de référence en travaillant à la fois sur ses perceptions et sur ses pratiques, et en adaptant ces dernières aux besoins de tous les élèves. Il doit être mieux formé pour accueillir, instruire, socialiser et qualifier les jeunes de toutes les origines. Pour pallier les situations quotidiennes de racisme en classe ou dans l’école, il faut qu’il réagisse rapidement et efficacement en cas de problème. Rappelons que les comportements racistes se manifestent aujourd’hui de manière assez sournoise et subtile. La façon dont le personnel scolaire s’engage à lutter contre la discrimination raciale à l’école est donc déterminante. Même dans les écoles qui se disent « inclusives », le fléau social du racisme perdure, en dépit des cadres légaux et des politiques éducatives.

Les milieux scolaires sont soumis à une obligation de résultats et à une reddition de comptes en matière de lutte contre les comportements racistes. Les moyens pour y parvenir existent, mais le courage et la volonté du personnel scolaire ne sont malheureusement pas toujours au rendez-vous.

Les directions d’école doivent par ailleurs compiler des statistiques sur les élèves issus des groupes racisés. Attestant de la fréquentation scolaire des élèves racisés, de leurs résultats et de leur taux de réussite ou d’abandon, de telles données sont importantes pour lutter plus efficacement contre le racisme à l’école.

La diversité ethnoraciale fait partie intégrante de la réalité de l’école québécoise et constitue en soi une richesse. Cependant, les défis éducatifs pour une école québécoise plus juste et plus inclusive sont encore élevés.  La qualité de vie à l’école et le climat scolaire, lorsqu’ils sont positifs, favorisent le bien-être des élèves et leur donnent envie d’apprendre. L’école est un lieu privilégié pour promouvoir les valeurs communes et assurer la sécurité et le bien-être de tous.

Pour favoriser l’égalité des chances et optimiser les conditions de réussite scolaire, tous les acteurs de la communauté éducative doivent se mobiliser. À cet égard, chaque établissement joue un rôle clé et doit mettre en place des projets-écoles inclusifs et attrayants pour tous ― élèves, parents et personnel ― qui valorisent l’apport des groupes minoritaires. Il faut former le personnel scolaire pour qu’il soit apte à prendre en compte les réalités, les expériences et les besoins scolaires des élèves racisés. Une pédagogie de sensibilisation et de conscientisation est nécessaire pour combattre le racisme et travailler à la transformation des pratiques, de manière à éliminer l’exclusion scolaire et sociale à l’école.

Cet article fait partie du dossier Identifier les obstacles à l’égalité raciale au Canada.

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Anastasie Amboulé Abath
Anastasie Amboulé Abath est professeure en administration scolaire au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Chicoutimi. Elle est chercheuse régulière au Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES) et au Réseau PÉRISCOPE.

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