La lecture de l’article de Desmond Morton dans le dernier numéro d’Options politiques (« History-teaching in Canada : the past does not change but its interpretation can alter radically ») m’a fait réaliser que j’étais passablement plus critique que l’auteur a l’égard des tentatives en cours de réécriture de l’histoire canadienne. Et a présent que la poussiére est retombée, on peut se demander quelles lecons tirer de la controverse au Québec sur la série télévisée Le Canada : une histoire populaire, que M. Morton tient manifestement en grande estime.

Il me semble que la premiére chose a retenir est que cette controverse était nécessaire. Elle s’imposait parce qu’une superproduction ayant couté  plus de 30 millions de dollars en fonds publics et bénéficiant de toute la force institutionnelle et médiatique de Radio-Canada se présentait comme un document journalistique objectif se situant au-dessus de la mélée, ce qu’il n’était pas. L’instigateur du projet, Mark Starowicz, avait lui méme admis, dans l’édition du 7 octobre 2000 de Saturday Night, que l’affaire était directement issue de la mé‚me peur postréférendaire qui avait amené la Fondation CRB a lancer ses fameuses Minutes du Patrimoine. Par la suite, des commentateurs comme Claude Sylvestre et Louis Cornellier, tout en reconnaissant des qualités a la série, récusérent également ses prétentions a l’objectivité.

Il est troublant par contre de constater que, a toutes fins utiles, les historiens québécois se sont complétement abstenus de participer a ce débat. Dans une petite société comme la notre, ou tout le monde se connait, les universitaires sont-ils muselés par la nécessité de ménager des gens dont on aura besoin pour obtenir des subventions, des emplois, des prix, des honneurs? Ou nos historiens sont-ils devenus si spécialisés dans leur domaine d’expertise spécifique qu’ils ne sont plus capables d’intervenir dans des débats plus larges? Il est vrai que la difficulté d’en débattre sur les ondes de Radio Canada, a la fois juge et partie dans l’affaire, n’a pas facilité les choses. On peut mé‚me s’étonner de ce que la controverse ait pu simplement prendre son envol en l’absence des historiens et en dehors du principal média d’information au Québec.

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La seconde lecon est que la réécriture de l’histoire ne méne pas loin quand elle est motivée par des considérations politiques. L’omission de la Proclamation royale dans le quatriéme épisode sur la Conqué‚te, ou se noue la relation entre anglophones et francophones, était en particulier troublante. Immédiatement aprés la chute de Québec, le téléspectateur se voyait raconter que « pour les Francais et les Anglais, le désarroi est le mé‚me », que « trés vite les Britanniques sont aussi affamés que la population », que « conquérants et conquis sont otages les uns des autres », que « Canadiens et Anglais font maintenant face a un ennemi commun : l’hiver ». Parce que, pour des motifs politiques, on tenait a présenter une seule histoire du Canada, on oubliait le bon sens le plus élémentaire : le fait qu’on ne peut voir la Conqué‚te de la mé‚me facon si on est francophone que si on est anglophone.

La plus grande faille de cette série était de faire oublier une réalité canadienne fondamentale : sur le plan de la construction de l’identité, les Québécois francophones sont les premiers Canadiens. Leurs ancé‚tres sont les seuls a s’appeler et a se considérer Canadiens depuis un siécle lorsqu’arrivent les Britanniques, en 1763. Ils cohabitent alors avec les premiers occupants du territoire, les Amérindiens, a qui il ne viendrait jamais l’idée de s’appeler Canadiens. Les Britanniques mettront, eux, un peu plus d’un siècle  se sentir Canadiens, a la fin du XIXe siécle. Il y a tout la, sauf de vieilles histoires dépassées. Si l’on oublie ce facteur, il est impossible de comprendre l’énorme difficulté des francophones québécois a décrocher du Canada. Le prendre en compte nous permet de mieux comprendre pourquoi les Québécois réagissent mal a la propagande fédérale en faveur du Canada la douce comme la dure, l’insidieuse comme la franche, car cette réécriture de l’histoire leur enléve du pouvoir au sein de leur pays.

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