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La plupart des Canadiens n’interagissent avec l’agriculture qu’à l’épicerie, où ils s’inquiètent souvent de la hausse des prix des denrées. Compte tenu de leurs autres préoccupations quotidiennes et de la distance qui sépare leur lieu de résidence, leur milieu de travail et leur supermarché de la plupart des fermes, il n’est guère étonnant que de nombreuses personnes ne soient pas conscientes de l’importance du rôle du secteur agricole.

Pourtant, l’agriculture est un actif stratégique de plus en plus important pour le Canada et le temps est venu de la placer au cœur de ses projets futurs.

Le budget fédéral d’avril est l’occasion d’adopter une vision plus stratégique et ambitieuse de l’agriculture et de l’alimentation, avec des investissements axés sur la croissance et la prospérité durable du secteur, en plus d’une série d’autres mesures.

Cependant, l’agriculture et l’alimentation ont une dynamique unique qui en fait un secteur plus riche en défis que beaucoup d’autres. En fait, il est souvent inapproprié de les considérer comme un « secteur ». Il s’agit plutôt d’un ensemble de chaînes produisant des biens de consommation très différents, destinés à des marchés nationaux et internationaux très variés.

Par exemple, les vaches et les cochons représentent tous deux des sources de protéines animales, mais la production de bœuf et de porc nécessite des approches très différentes. Ces produits se retrouvent également sur des marchés différents. En 2022, 43 % de la viande bovine canadienne a été exportée, contre près de 70 % pour la viande de porc.

Aussi, un agriculteur de l’ouest du pays peut cultiver du canola, du blé et des légumineuses en rotation, mais le canola peut finir comme carburant diesel renouvelable, le blé moulu en farine au Canada et dans le monde entier, et les légumineuses sont exportées vers l’Inde, où les cultures de la Saskatchewan s’inscrivent dans une relation géopolitique difficile.

Les secteurs soumis à la gestion de l’offre se concentrent sur le marché intérieur, cherchant à tirer parti de la croissance rapide de la population canadienne. Il y a ensuite les différences avec les cultures plus petites, mais importantes, telles que les pommes de terre, les légumes de serre, etc.

Les exploitations agricoles sont toutes différentes et nécessitent des politiques adaptées

Plutôt que d’être dirigée par un petit groupe de grandes entreprises, comme c’est le cas pour les industries automobile, minière et forestière, l’agriculture repose entre les mains de 200 000 agriculteurs canadiens tous différents les uns des autres.

Cette diversité au sein de l’industrie agroalimentaire complique l’élaboration de stratégies sectorielles, comme on en voit pour les minéraux critiques, les véhicules électriques et les énergies renouvelables.

La complexité de ce défi ne signifie toutefois pas qu’il ne faut pas s’y attaquer.

Le gouvernement fédéral travaille sur une stratégie en matière d’agriculture durable. Toutefois, il peine à lier sa vision aux intérêts économiques, géopolitiques et stratégiques plus larges du Canada.

Or, ce lien est pourtant au cœur de la Stratégie canadienne sur les minéraux critiques, qui considère ces derniers comme « l’occasion d’une génération » pour les travailleurs, l’économie et l’avenir carboneutre du Canada.

L’augmentation de la demande mondiale, la crise alimentaire provoquée par « les conflits, les chocs économiques, les extrêmes climatiques et la flambée des prix des engrais », de même que la position du Canada en tant que fournisseur de cultures et de produits animaux à faible teneur en carbone ne sont que quelques-unes des raisons pour lesquelles l’agriculture et l’alimentation peuvent et doivent alimenter les opportunités pour les générations futures au Canada.

Le budget fédéral de 2022 a consolidé l’engagement du Canada à l’égard de l’exploitation, sur plusieurs générations, des minéraux critiques avec un investissement de 3,8 milliards $ dans les infrastructures, la recherche et les données, ainsi qu’un crédit d’impôt pour encourager l’exploration minière.

Le budget de mardi pourrait inclure des avancées similaires pour l’agroalimentaire.

Celles-ci pourraient s’appuyer sur des propositions telles que l’initiative sur les chaînes de valeur de l’agriculture durable, le développement d’innovations en matière d’agrotechnologie ou la poursuite de l’augmentation des exportations agroalimentaires vers l’Indo-Pacifique.

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Occasions ratées

Ottawa a déjà fait quelques pas dans cette direction, mais continue de rater l’occasion d’adopter une approche stratégique plus ambitieuse. Le budget de cette année peut corriger cette situation en associant la durabilité à la croissance et à la prospérité tout en positionnant le secteur comme un atout géopolitique.

Le budget de cette année pourrait garnir la boîte à outils politique de l’industrie, comme celui de 2023 a adopté des crédits d’impôt pour stimuler la croissance de l’économie propre. Le budget de cette année pourrait faire de même pour encourager les investissements dans l’agriculture et l’alimentation.

Le budget 2023 a présenté le plan du Canada pour une économie propre sous la forme d’un triangle simple dont la base est la tarification de la pollution, progressant vers des programmes ciblés au sommet.

Une stratégie agricole dans le budget d’avril pourrait établir des priorités, notamment en matière de protéines animales et végétales, de croissance durable, de productivité, de R&D, d’infrastructures et de commerce.

Plutôt qu’une base de tarification de la pollution, le triangle pourrait se baser sur un meilleur accès aux marchés nationaux et internationaux en mettant en œuvre un code de conduite pour les épiciers et en investissant dans les infrastructures ; un cadre réglementaire qui favorise l’innovation et la croissance ; des crédits d’impôt pour encourager l’investissement et la durabilité ; un financement stratégique pour combler le déficit de capitaux ; et une pointe au sommet de programmes ciblés pour stimuler la R&D et développer les chaînes de valeur.

L’un des plus grands avantages d’une stratégie axée sur l’agriculture et la croissance alimentaire est peut-être le moins tangible.

La fracture rurale-urbaine

Le fossé entre le Canada rural et le Canada urbain « se creuse », écrit l’auteur Donald Savoie dans le Globe and Mail.

De plus en plus de voix réclament une politique élaborée avec une lunette rurale. La décision d’exempter les combustibles de chauffage domestique de la taxe carbone est un exemple de « la façon dont les petites communautés et leurs habitants sont souvent négligés dans la conversation nationale », selon Derek Nighbor, président et directeur général de l’Association des produits forestiers du Canada.

La décision d’exonérer de la taxe carbone l’huile de chauffage dans le Canada atlantique, mais pas le propane et le gaz naturel utilisés pour le séchage des céréales et le chauffage des granges, a perpétué la perception d’un fossé entre les zones rurales et les zones urbaines.

Le budget fédéral de ce mois d’avril est l’occasion de combler ce fossé et de donner au Canada rural la place qui lui revient dans l’élaboration de politiques nationales. Il s’agirait du même coup d’un bienfait pour l’économie, pour la durabilité et pour l’avenir du pays.

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Tyler McCann
Tyler McCann est directeur général de l'ICPA. Au cours de sa carrière, il a travaillé pour des ministres fédéraux, des groupes agricoles, des associations industrielles et des entreprises agroalimentaires. Tyler est agriculteur avec sa famille dans l'ouest du Québec.

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