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La valeur géopolitique du Groenland prend de l’importance et sa vision internationale inclut le Canada. Il est temps pour le pays de réagir et de ne pas se laisser doubler par ses alliés.

En février, le Groenland a publié une stratégie pour l’Arctique, suivie en mars d’une campagne de promotion de son secteur minier lors de la convention de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs, l’un des plus grands symposiums industriels au monde.

Le Groenland fait partie du Royaume du Danemark. Dans la langue groenlandaise du Kalaallisut, il est appelé Kalaallit Nunaat. Il exerce déjà la plupart des responsabilités en matière de gouvernance nationale. Copenhague lui a également donné le leadership dans l’Arctique et une présence au sein de l’OTAN

Le Groenland souhaite obtenir son indépendance totale à long terme. Bien que leurs relations ne soient pas exemptes de tensions, le Groenland et le Danemark disposent d’un cadre politique qui les guide dans cette voie. Si le Groenland réalise son indépendance, il s’agira d’un micro-État doté d’un macro-territoire. Peuplé d’environ 56 500 personnes, son territoire est plus grand que l’ensemble de la côte est des États-Unis.

Les États-Unis, l’Union européenne (UE) et l’Islande renforcent tous leurs liens avec le Groenland en cette période critique. Le Canada devrait faire de même, voire plus, notamment en renforçant ses relations diplomatiques, en encourageant une plus grande collaboration multinationale avec les Inuits, en contribuant à la sécurité et en augmentant son commerce bilatéral avec le Groenland.

La stratégie arctique du Groenland a des objectifs clés pour ses relations avec le Canada. Le Groenland souhaite accroître sa mobilité humaine, son commerce et ses communications. Il souhaite s’engager davantage dans le nord du Canada, en particulier avec l’Inuit Nunangat, la patrie des Inuits qui s’étend sur le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut, le nord du Québec et le Labrador. L’exploitation minière et l’éducation sont deux de ses priorités.

Malheureusement, les États-Unis et l’UE font preuve de plus d’initiative que le Canada pour resserrer les liens avec le Groenland.

En 2023, le Groenland a signé un partenariat stratégique avec l’UE, centré sur le lien entre ses gisements de minéraux et l’ambition de l’UE d’accroître son autosuffisance énergétique et de diversifier ses fournisseurs.

Les États-Unis considèrent le Groenland avec un sérieux renouvelé. Lors de la convention des prospecteurs, les hauts fonctionnaires ont qualifié le Groenland de partenaire clé dans la mise en place de chaînes d’approvisionnement résilientes, et les entreprises américaines soutiennent cette démarche en investissant des fonds.

Les États-Unis et l’UE envisagent cette question sous l’angle de leur concurrence stratégique avec la Chine, qui domine l’extraction et le traitement des minéraux et des terres rares, essentiels à la fabrication de matériel électronique et de technologies de transition énergétique.

La géoéconomie pourrait donc être la voie de l’indépendance du Groenland. Son secteur minier est aujourd’hui restreint, mais son formidable terrain recèle un ensemble de gisements de minéraux essentiels et de terres rares. Le Groenland recherche des partenaires et des investisseurs pour les exploiter de manière durable sur le plan social et environnemental.

Trois intérêts pour le Canada

Le Canada a au moins trois intérêts distincts à renforcer ses liens avec le Canada.

Le premier est la sécurité économique. Le Canada souhaite également être moins dépendant des chaînes d’approvisionnement chinoises. En tant que source majeure d’expertise minière, le Canada peut participer pleinement au développement économique du Groenland et possède le savoir-faire nécessaire pour relever les défis de l’extraction des ressources dans les régions éloignées.

Le second est la sécurité nord-américaine, dont le Groenland pourrait devenir un joueur important. La sécurisation de l’espace aérien et des voies maritimes du Canada sera davantage axée sur le Groenland à mesure que la glace de mer arctique se retirera et que de plus en plus de navires navigueront dans les eaux septentrionales. Les États-Unis sont à la tête de cette relation depuis la Seconde Guerre mondiale, mais des avions de chasse canadiens décollent régulièrement de la base spatiale américaine de Pituffik, dans le nord du Groenland.

Le troisième est la compétitivité économique stratégique du Canada, alors que la coopération avec le Groenland favoriserait la réconciliation avec les peuples autochtones. Les arguments géoéconomiques en faveur de la réconciliation sont solides. Les présentations faites lors de la conférence des prospecteurs ont décrit un monde dans lequel le succès du secteur minier dépendra des relations avec les communautés autochtones en tant que copropriétaires et codécideurs.

Le Canada et le Groenland abritent la majorité des Inuits du monde et, ensemble, ils pourraient créer un puits de partage des connaissances et des pratiques durables pour faire avancer les projets à long terme.

La ville de Nuuk. Alt text: Un village enneigé de bungalows dans les tons rouge, bordeaux, bleu, vert et orange, avec en toile de fond des collines enneigées au-delà d’un lac non gelé. Shutterstock.com

Quelle est la prochaine étape ?

Le Groenland a fait valoir ses arguments et demande au Canada d’en faire plus. Comment pouvons-nous y répondre ?

Tout d’abord, le gouvernement fédéral devrait immédiatement ouvrir un consulat à Nuuk, la capitale. Les États-Unis et l’Islande l’ont déjà fait et l’UE est sur le point de les rejoindre.

Il devrait être doté d’une équipe parlant le kalaallisut et le danois et prévoir un espace pour l’Inuit Nunangat, les provinces, les territoires et les autres Premières Nations. À l’instar des États-Unis, ce consulat devrait disposer d’un budget d’aide à l’étranger afin d’assurer la présence canadienne dans la société groenlandaise.

Ensuite, le Canada devrait s’appuyer sur les travaux réalisés par les Inuits pour favoriser les interconnexions sociales transfrontalières entre l’Inuit Nunangat et le Kalaallit Nunaat.

Puis, le Canada devrait plaider en faveur d’une participation pleine et entière à la sécurité du Groenland. L’objectif principal serait d’adhérer à l’accord de défense entre les États-Unis, le Danemark et le Groenland, en mettant l’accent sur le renforcement de la contribution canadienne dans les domaines maritime, aérospatial et des ressources globales en matière de sécurité.

En outre, les Rangers canadiens et la Garde côtière auxiliaire canadienne possèdent une expérience et une expertise qui pourraient aider le gouvernement groenlandais à mettre en place ses propres structures de sécurité civile. Le Canada pourrait également réunir des acteurs nationaux et infranationaux pour une discussion entre les États-Unis, le Groenland et l’Islande sur l’évolution des besoins en matière de sécurité dans la région élargie.

Enfin, Ottawa devrait immédiatement prendre la tête d’un effort bilatéral visant à supprimer les barrières commerciales entre les deux pays. D’un point de vue plus stratégique, le Canada pourrait mener une action quadrilatérale avec les États-Unis et le Mexique afin d’ouvrir la voie, si le Groenland le souhaite, à l’adhésion à l’accord Canada-États-Unis-Mexique.

Le Groenland est une partie négligée de la géographie de l’Amérique du Nord, avec un riche héritage autochtone et nordique. Son importance géopolitique est grandissante pour le Canada. Même pas besoin de frapper : le Groenland a déjà ouvert la porte, et le Canada devrait la franchir.

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Alexander Dalziel
Alexander Dalziel est chercheur principal à l’Institut Macdonald-Laurier à Ottawa. Il a travaillé pendant plus de 20 ans dans le domaine de la sécurité nationale au Canada, notamment au Bureau du Conseil privé, au ministère de la Défense nationale et à l’Agence des services frontaliers du Canada.

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