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Depuis la conférence des Nations unies sur le climat qui s’est tenue à Paris en 2015, le premier ministre Justin Trudeau s’en est fermement tenu à ses politiques climatiques.

L’été dernier, le système fédéral de tarification du carbone était en place dans toutes les provinces et tous les territoires, à l’exception de la Colombie-Britannique, du Québec et des Territoires du Nord-Ouest, qui disposent de leur propre système de tarification du carbone approuvé par Ottawa. La taxe carbone – le prix fédéral du carburant – s’appliquait à toutes les sources d’énergie à forte intensité de carbone, telles que l’essence, le gaz naturel et le mazout de chauffage.

Le système de tarification fédéral a changé à la fin du mois d’octobre 2023, lorsque le premier ministre a annoncé que la taxe carbone sur le mazout de chauffage résidentiel serait suspendue  pour les trois prochaines années.

Cette mesure devrait profiter principalement aux quelque 20 % de ménages du Canada atlantique qui paient la taxe carbone sur le mazout de chauffage (figure 1).

Cette annonce a suscité des objections rapides de la part des Canadiens d’autres provinces, notamment l’Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan et l’Alberta, où le gaz naturel est utilisé pour chauffer la plupart des habitations. La taxe carbone s’appliquant au gaz naturel, les Canadiens de ces provinces soutiennent qu’ils devraient bénéficier du même avantage.

C’est compréhensible, mais ce n’est pas aussi simple que cela.

La taxe carbone est déjà structurellement injuste. En raison de son mode de calcul, les ménages qui utilisent des sources d’énergie à forte intensité d’émissions paient beaucoup plus cher. Il existe des moyens de corriger cette injustice. Mais tout d’abord, en quoi la taxe n’est-elle pas équitable ? Une comparaison entre les ménages utilisant du mazout et du gaz naturel montre le problème.

Les gouvernements doivent rendre les politiques climatiques abordables

A new deal for energy affordability and net-zero emissions

Canada’s carbon pricing systems already need a redesign

Home decarbonization requires tailored policies

Mazout de chauffage. Gaz naturel. Quelle est la différence?

Le mazout de chauffage et le gaz naturel sont des combustibles à base de carbone. Lorsqu’ils brûlent, ils dégagent de la chaleur et des gaz à effet de serre.

Un litre de mazout et un mètre cube de gaz naturel contiennent tous deux environ 0,037 gigajoule d’énergie.

Cependant, il existe une différence significative dans l’intensité de leurs émissions, c’est-à-dire les gaz à effet de serre émis lors de la consommation d’un combustible.

Un litre de mazout émet entre 40 et 43 % plus de gaz à effet de serre qu’un mètre cube de gaz naturel.

L’intensité des émissions du mazout de chauffage (mazout léger) est d’environ 2,75 kilogrammes de CO2e (équivalent en dioxyde de carbone, un mélange de gaz à effet de serre) par litre.

L’intensité des émissions d’un mètre cube de gaz naturel varie d’environ 1,92 kilogramme de CO2e en Ontario, au Manitoba et en Saskatchewan et d’environ 1,96 kilogrammes de CO2e en Alberta.

La différence d’intensité des émissions signifie qu’un résident ou un propriétaire d’un bâtiment chauffé au mazout paie une taxe carbone plus élevée qu’un résident ou un propriétaire d’un bâtiment chauffé au gaz naturel pour les mêmes besoins en chauffage.

Le chauffage intérieur

L’énergie nécessaire pour chauffer une maison au Canada varie également beaucoup en fonction des conditions climatiques, comme le montre la figure 2.

Par exemple, il faut moins d’énergie pour chauffer une maison en Nouvelle-Écosse qu’une maison de taille similaire en Alberta : en moyenne 0,410 gigajoule/m2 en Nouvelle-Écosse contre 0,585 gigajoule/m2 en Alberta. Les émissions totales dépendent de la taille de la maison, de l’efficacité de l’appareil de chauffage et du type d’énergie utilisé.

(L’efficacité des chaudières dépasse le cadre de cette analyse, mais il suffit de dire que les chaudières au gaz naturel dont l’efficacité est de 80 à 90 % sont meilleures que les chaudières au mazout dont l’efficacité est de 78 % et qui sont utilisées dans la plupart des provinces de l’Atlantique).

Par exemple, une maison de 2000 pieds carrés en Nouvelle-Écosse nécessiterait 76,2 gigajoules pour le chauffage. L’utilisation de mazout entraînerait la production de 5,7 tonnes de CO2. La même maison en Alberta nécessiterait beaucoup plus d’énergie pour le chauffage, soit 108,7 gigajoules. Cependant, en utilisant le gaz naturel, elle produirait les mêmes 5,7 tonnes de CO2.

Étant donné que le prix de la tonne de CO2 au Canada est de 65 dollars cette année, les deux maisons paieraient environ 370 dollars de taxe carbone pour le chauffage des locaux.

Chauffage à l’eau chaude

Le chauffage à l’eau chaude est le deuxième poste de consommation d’énergie dans le secteur résidentiel. Cette consommation varie aussi selon les provinces, comme le montre la figure 3.

La différence d’intensité des émissions du mazout et du gaz naturel est évidente lorsqu’on compare la taxe sur le carbone payée par les ménages pour le chauffage de l’eau.

Par exemple, un ménage du Nouveau-Brunswick utilisant du mazout et ayant besoin de 11,2 gigajoules d’énergie produirait environ 840 kilogrammes de CO2e, ce qui est légèrement supérieur aux 834 kilogrammes produits par un ménage de l’Ontario utilisant du gaz naturel et ayant besoin de 16,2 gigajoules d’énergie, soit près de 50 % de plus.

Bien que le ménage ontarien consomme plus d’énergie, l’intensité moindre des émissions du gaz naturel signifie qu’il paierait à peu près la même taxe sur le carbone que le ménage néo-brunswickois, soit un peu plus de 54 $.

Le système de tarification du carbone

Le système de tarification des carburants du gouvernement fédéral se compose de deux parties : la taxe carbone et les remises fédérales.

La taxe carbone – une taxe sur les carburants – s’applique à toutes les sources d’énergie à forte intensité de carbone. Elle s’élève à 65 dollars par tonne jusqu’au 1er avril prochain, date à laquelle elle passera à 80 dollars par tonne.

Le Paiement de l’incitatif à agir pour le climat (PIAC) est destiné à égaler ou à dépasser le total des taxes sur le carbone qu’un ménage paierait sur les émissions provenant du chauffage intérieur et à l’eau, de l’électricité et des transports personnels. Il est versé trimestriellement et vise à couvrir les taxes sur le carbone pour les trois mois à venir.

Le paiement incitatif, tout comme les exigences énergétiques résidentielles, varie en fonction de la province, de la taille de la famille et du lieu de résidence. Un ménage rural reçoit actuellement 10 % de plus qu’un ménage urbain.

La figure 4 montre le montant annuel de la prime urbaine pour une famille vivant dans les huit provinces qui paient la taxe fédérale sur les carburants.

Une famille de quatre personnes vivant en Alberta reçoit près de 600 dollars de plus qu’une famille de quatre personnes vivant à l’Île-du-Prince-Édouard et 800 dollars de plus qu’une famille vivant au Nouveau-Brunswick.

Le paiement incitatif est destiné à couvrir les dépenses d’un ménage liées à la taxe sur le carbone. Le pourcentage du PIAC nécessaire pour couvrir la taxe sur le carbone d’une famille de quatre personnes pour le chauffage intérieur et à l’eau varie selon la province et la taille de la maison, comme le montre la figure 5.

Si la famille vit dans l’une des provinces de l’Atlantique et utilise du mazout pour le chauffage intérieur et à l’eau, un pourcentage plus important de son PIAC sera utilisé pour compenser sa taxe carbone sur le chauffage qu’une famille vivant dans les autres provinces et utilisant du gaz naturel.

Par conséquent, une plus petite partie du paiement incitatif sera disponible pour couvrir le coût de la taxe carbone du ménage sur le transport et l’électricité. Il est donc possible que les ménages soient appauvris à cause de la taxe.

Corriger le système de tarification du carbone

Comme l’a démontré la décision du premier ministre de supprimer la taxe carbone sur le mazout, le système fédéral de tarification du carbone ne tient pas compte des différents types de systèmes de chauffage intérieur et à l’eau chaude des ménages, du type d’énergie utilisée et de leur niveau de consommation d’énergie.

Cette lacune pourrait être comblée en faisant dépendre le paiement incitatif de ces différences ou en développant un système de paiement pour compenser les coûts supplémentaires de la taxe carbone pour un ménage. Un tel programme pourrait compléter les programmes provinciaux d’aide à l’énergie existants.

Une autre approche pourrait être basée sur les revenus, les ménages à revenus faibles et moyens recevant un paiement incitatif plus élevé que les ménages à revenus élevés. C’est l’approche adoptée en Colombie-Britannique.

Cela protégerait les ménages à revenus faibles et modérés de la taxe carbone et encouragerait les ménages à revenus élevés à réduire leurs émissions en achetant, par exemple, un véhicule électrique ou une pompe à chaleur.

Une telle approche serait dans l’esprit de l’objectif du programme de tarification du carbone du gouvernement fédéral, notamment « la reconnaissance du coût de la pollution et la prise en compte de ces coûts dans les décisions quotidiennes ».

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Larry Hughes
Larry Hugues est professeur au département d’ingénierie électrique et informatique de l’Université Dalhousie. Ses recherches portent sur les questions de sécurité énergétique en Nouvelle-Écosse et dans les autres provinces atlantiques.

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