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La lutte aux changements climatiques n’est pas seulement le problème d’Ottawa. Les municipalités ont tout autant de responsabilités en la matière que les provinces ou le gouvernement fédéral. Elles pourraient même ouvrir la marche vers l’atteinte des objectifs nationaux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour y parvenir, une solution toute simple s’offre aux villes, mais la plupart choisissent simplement de ne pas l’appliquer.

En plus de réduire considérablement les émissions de GES, l’abaissement de la limite de vitesse à 30 km/h améliore la mobilité dans les villes et réduit le nombre de panneaux d’arrêt dans leurs rues, tout cela en améliorant la sécurité des usagers de la route.

Les Canadiens sont parmi les plus grands émetteurs de GES par habitant au monde. Qui plus est, le commissaire à l’environnement et au développement durable a affirmé en novembre dernier que le pays est sur le point de rater son objectif d’émissions pour 2030.

Le piège du véhicule individuel

Les municipalités peuvent influencer directement et indirectement environ 50 % des émissions totales de GES du Canada. Pourtant, dans la plupart des villes, le secteur des transports  demeure le principal ou le deuxième plus grand émetteur de GES, principalement en raison de la circulation des véhicules personnels.

Les décideurs locaux sont confrontés à un défi de taille. L’ampleur des infrastructures de transport urbain représente ce que les économistes et les politologues appellent la dépendance au chemin emprunté. De l’expansion des routes à l’étalement urbain, les décisions passées limitent les choix contemporains parce qu’elles renforcent les schémas de mobilité qui encouragent l’utilisation de la voiture comme mode de transport par défaut.

De nombreuses municipalités canadiennes ont augmenté leurs investissements dans les transports en commun et les infrastructures complémentaires pour promouvoir le transport actif, comme les pistes cyclables séparées ou les rues complètes qui permettent à tous les usagers de se déplacer en toute sécurité.

Toutefois, cette approche n’est pas suffisante pour sortir du piège de la mobilité à forte intensité de carbone. Ce qu’il faut, c’est un changement de politique paradigmatique qui incite non seulement à la marche et au vélo, mais qui décourage aussi la circulation des véhicules personnels par une forte modération du trafic.

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L’exemple européen

Un coup d’œil de l’autre côté de l’Atlantique montre que les municipalités ont des options. Dès les années 1970, les villes européennes ont commencé à piétonniser progressivement leurs centres-villes. Dans les années 1980 et 1990, elles ont commencé à limiter la vitesse à 30 km/h sur certaines routes résidentielles et à aménager des « rues ludiques » qui permettent aux piétons, aux cyclistes et aux véhicules de se mêler sur un pied d’égalité.

Depuis l’accord de Paris en 2015, ces efforts se sont intensifiés. En 2022, dans un pays centré sur la voiture comme l’Allemagne, une alliance de 263 municipalités a demandé au gouvernement fédéral la pleine autorisation légale d’étendre les zones 30 existantes partout où elles le jugent nécessaire.

Certes, les zones limitées à 30 km/h ne résoudront pas le problème à elles seules. Mais elles constituent un outil important dans le cadre d’une infrastructure de transport local plus équitable et plus durable. L’Agence allemande de l’environnement, l’Association canadienne des professionnels de la sécurité routière et l’Organisation mondiale de la santé invitent toutes les collectivités locales à suivre l’exemple de villes comme Bruxelles, Lille ou Grenoble et à généraliser les limitations à 30 km/h.

L’abondance de preuves empiriques suggère en effet que 30 km/h est un seuil critique qui fait la différence en renforçant l’équité et la durabilité des infrastructures routières. Une limite plus basse améliore considérablement la sécurité routière, réduit les émissions de GES et facilite la circulation.

Dans les zones à 30 km/h, de nombreux arrêts à quatre voies peuvent être supprimés dans les quartiers résidentiels. Ceux-ci sont très mauvais pour la gestion du trafic. Ils entraînent également une augmentation des émissions des véhicules et des coûts de carburant. Les villes qui ont supprimé ces arrêts utilisent en toute sécurité la règle de la « priorité à droite » dans les zones à faible vitesse. L’une des voies a la priorité par défaut et les véhicules qui s’en approchent doivent céder le passage lorsqu’ils s’y engagent.

La vision de Montréal et Banff

Contrairement à leurs homologues européens, la grande majorité des municipalités canadiennes ont évité d’adopter des instruments politiques qui, selon les dirigeants locaux, ajouteraient des restrictions pour les automobilistes.

Montréal et Banff sont des exceptions notables. Par exemple, Montréal a été l’une des premières municipalités canadiennes à expérimenter des limitations de vitesse à 30 km/h en 2014. Banff a pour sa part introduit la limite de 30 km/h par défaut sur ses routes en 2022.

L’incohérence de Kitchener

À l’inverse, dans la région de Waterloo, en Ontario, l’une des zones métropolitaines à la croissance la plus rapide au Canada, nous avons un aperçu de la dynamique qui sous-tend les efforts médiocres déployés pour décarboner les systèmes de transport locaux.

Dans cette région, deux niveaux de gouvernement se partagent la responsabilité des infrastructures de transport : trois conseils municipaux (Cambridge, Kitchener et Waterloo) et le conseil régional réglementent les différentes routes.

En février 2023, le conseil municipal de Waterloo a annulé une décision antérieure visant à introduire la limite de 30 km/h sur la plupart des routes résidentielles, choisissant plutôt d’appliquer la limite de vitesse réduite uniquement au centre-ville.

La Ville de Kitchener n’a même pas envisagé d’appliquer le 30 km/h dans le cadre de sa stratégie « Vision zéro », préférant opter pour un plafond de 40 km/h dans les quartiers résidentiels. D’après le projet pilote de la ville, la réduction moyenne de la vitesse n’a été que de trois kilomètres par heure. Pourtant, pour le maire, cette mesure « fixe un objectif ambitieux ».

Même dans les zones scolaires, les conseillers municipaux et régionaux se sont montrés réticents à établir un cadre harmonisé qui priorise la sécurité des élèves. Une même zone scolaire peut donc être soumise à des limitations de vitesse différentes. Par exemple, si une route adjacente appartient à la région, la vitesse y est limitée à 40 km/h. Si elle appartient à la ville de Waterloo ou de Kitchener, elle est limitée à 30 km/h.

Le 11 décembre 2023, le conseil municipal de Kitchener a ajouté à cette incohérence en adoptant une mesure selon laquelle seules les rues dépourvues de radars automatiques conserveront la limite de 30 km/h.

Le même conseiller qui a présenté une motion reconnaissant l’urgence climatique en 2019 a été le fer de lance de l’opposition à des limites de vitesse robustes en 2023, arguant qu’il est trop difficile de les faire respecter. Lors de la réunion du conseil municipal du 11 décembre, il a expliqué que l’application de la réglementation par les radars était considérée comme punitive.

Mettre l’opinion publique de son côté

Dans la région de Waterloo et ailleurs, les intérêts bien ancrés des automobilistes sont amplifiés dans les débats publics, tandis que ceux des groupes démographiques vulnérables et des générations futures, qui bénéficieraient le plus d’un changement, ne trouvent guère d’écho. Les changements significatifs resteront difficiles à obtenir tant que les décideurs municipaux craindront les réactions négatives provoquées par la perception d’un désagrément pour les conducteurs.

Une politique efficace peut modifier l’opinion publique, comme le démontre un autre exemple européen. Lorsque la ville autrichienne de Graz a adopté une limite de vitesse à 30 km/h sur toutes ses routes résidentielles, le taux d’approbation est passé de 44 % peu avant l’introduction de la limitation à 77 % deux ans plus tard. Berlin a mené à bien un projet de limitation à 30 km/h en 2017 et des expériences similaires ont été couronnées de succès ailleurs en Europe.

Pour diminuer les émissions de GES, les villes peuvent faire la différence grâce à des approches modernes telles que l’abaissement des limites de vitesse. Ces approches n’ont que peu ou pas d’inconvénients et sont bénéfiques pour la sécurité et l’environnement. Il suffit d’avoir la volonté politique de les mettre en place.

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Jörg Broschek
Jörg Broschek est professeur de sciences politiques et titulaire de la chaire de recherche Laurier à l’Université Wilfrid-Laurier.

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