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La présente crise de l’abordabilité a mis en lumière le besoin d’équité et de justice en ce qui concerne les transformations économiques et sociales qui seront nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques.

Il serait injuste de demander aux Canadiens à faibles revenus de supporter le poids de la transition vers une consommation nette zéro. Des millions de gens peinent à payer l’épicerie et le loyer. On ne peut pas leur demander de payer plus pour des produits de première nécessité, comme l’énergie et les transports.

Les gouvernements doivent plutôt moderniser leur approche de la politique climatique, ce qui demandera un changement fondamental de mentalité. Les politiques publiques ne peuvent plus se limiter à réduire les émissions au plus bas coût pour l’économie; elles doivent viser à améliorer l’équité.

Réduire la réglementation sur le carbone coûterait encore plus cher

Certains pays avancent plus vite que d’autres vers la neutralité carbone. Mais il ne fait aucun doute que l’économie mondiale va subir des changements profonds au cours des prochaines décennies.

Les prix du pétrole et du gaz deviendront probablement plus volatils à mesure que le monde se tournera vers le transport électrique et des sources d’énergie plus propres. Ceux qui conduisent une voiture électrique, utilisent les transports en commun, vivent près de leur travail ou chauffent leur maison à l’aide d’une thermopompe seront moins vulnérables aux fluctuations de prix.

Si les mesures de transition sont atténuées en raison des coûts qu’elles imposent, notre dépendance au pétrole et au gaz pourrait être maintenue, et davantage de Canadiens seraient exposés aux inévitables montagnes russes des prix des hydrocarbures.

L’économie canadienne pourrait en souffrir. Si nous voulons nous établir dans le marché croissant de la fabrication de véhicules électriques ou attirer de grands investisseurs à la recherche d’énergie propre, nous avons besoin d’une forte demande intérieure. Cela suppose de nouveaux investissements dans l’électricité propre, l’hydrogène et la bioénergie. Mais une telle transition ne se fera pas en l’absence de politiques telles qu’une taxe sur le carbone, de la réglementation sur les carburants propres et une norme sur l’électricité propre.

Changer de cap maintenant quant à la transition énergétique serait également nuisible aux entreprises : cela créerait de l’incertitude pour l’investissement et risquerait de nuire à la croissance économique du Canada.

Le fait d’attendre pour parvenir à la neutralité carbone pourrait également rendre les choses plus coûteuses dans l’avenir. Rénover une maison dans plusieurs dizaines d’années coûtera plus cher que construire de nouvelles maisons carboneutres dès aujourd’hui. De la même façon, une centrale électrique construite pour être alimentée par des carburants fossiles nécessitera éventuellement des coûts supplémentaires pour réduire les émissions ou la remplacer par une option moins polluante.

Nos enfants et petits-enfants sont déjà confrontés à un avenir généralement plus coûteux : un climat changeant causera davantage d’inondations et d’incendies de forêt, et des primes d’assurance plus élevées; l’augmentation de la dette publique et du coût des soins de santé et de longue durée va entraîner une hausse du fardeau fiscal. Serait-il juste de leur imposer en plus le coût de réduire la pollution?

Prioriser les ménages à faibles revenus

Lorsque de nouvelles technologies font leur apparition, elles ont tendance à être coûteuses et à n’être accessibles qu’aux les ménages les plus riches. Sans intervention des pouvoirs publics, les moins fortunés seront les derniers à en disposer, et demeureront vulnérables aux fluctuations de prix des carburants fossiles.

Les gouvernements peuvent faire en sorte que les ménages à faibles revenus soient les premiers à pouvoir se procurer des vélos, des scooters et des voitures électriques, des thermopompes, des fenêtres à haut rendement énergétique et d’autres technologies abordables et qui émettent peu de carbone.

Ils peuvent lier les rabais et autres incitations financières aux revenus, afin que les moins riches profitent d’un financement plus généreux. Ils peuvent également élargir la portée des programmes existants, par exemple en rendant les voitures et vélos électriques d’occasion admissibles aux subventions.

Les gouvernements peuvent également améliorer l’accessibilité et l’abordabilité du transport en commun, et multiplier les rénovations énergétiques pour les logements locatifs dont le loyer est inférieur au marché. Les nouvelles maisons peuvent être construites en se préoccupant à la fois d’abordabilité et d’économie d’énergie, par exemple en incitant à construire des logements abordables près des transports en commun et qui soient chauffés sans avoir recours au pétrole ou au gaz.

L’analyse coût-avantages peut être plus équitable

Les subventions ne sont qu’un aspect des politiques climatiques. La réglementation et la tarification du carbone susciteront une plus grande partie des efforts nécessaires pour atteindre les objectifs de réduction des émissions. Leur impact sur les finances des ménages dépendra des politiques choisies et de la façon dont elles auront été conçues.

Cela nécessite une approche actualisée de l’analyse des politiques publiques.

Un récent livre publié par l’IRPP évalue l’idée d’un revenu universel et soutient qu’un biais d’efficacité (mettre l’accent sur le moindre coût) peut conduire à de mauvais choix dans la conception des politiques. L’ouvrage propose plutôt un cadre de justice inclusif pour évaluer une politique de revenu de base. Un cadre pleinement inclusif impliquerait une révision beaucoup plus large.

Une façon simple et rapide de mieux intégrer l’équité dans l’élaboration des politiques consisterait à changer la façon dont les gouvernements effectuent l’analyse coûts-avantages, en faisant de l’équité un objectif central.

En principe, une analyse coûts-avantages se concentre principalement sur l’efficacité : elle examine les coûts pour les entreprises et les consommateurs par rapport aux avantages environnementaux apportés par la réglementation.

Une telle approche traite tous les individus de la même manière, ce qui revient essentiellement à accorder plus d’importance à l’impact pour les Canadiens les plus riches. Ce n’est pas équitable, puisqu’un dollar de coût (ou d’avantage) supplémentaire a un impact beaucoup plus important sur une personne gagnant 20 000 $ par an que sur une autre gagnant 150 000 $.

En d’autres termes, une politique peut sembler attrayante si son coût total est relativement faible, même si ces coûts sont principalement supportés par les ménages à faibles revenus, et donc plus néfastes d’un point de vue social.

Une meilleure approche consisterait à pondérer la répartition en tenant compte de l’impact plus important des coûts et des bénéfices pour les ménages à faible revenu. Certains endroits, comme le Royaume-Uni, ont déjà commencé à intégrer de telles pondérations dans leur analyse coûts-avantages des propositions de réglementation. Dans une méthodologie décrite dans un récent document de l’OCDE, les impacts sont ajustés en fonction de l’écart entre le revenu d’un individu et la moyenne nationale.

Par exemple, un impact de 1 $ pour une personne gagnant 20 000 $ par an au Canada équivaut à un impact de 3,42 $, puisque le revenu moyen national est de 68 400 $ (en 2021) soit 3,42 fois plus que son propre revenu. À l’inverse, une personne gagnant 150 000 $ par an verrait son impact réduit, un coût ou un avantage de 1 $ étant évalué à 46 cents.

Une telle pondération pourrait être considérée comme « équitable », puisqu’elle tient compte de la capacité financière des ménages à faibles revenus.

Voir la politique climatique autrement

Les préoccupations des entreprises ont dominé les discussions sur la politique climatique au cours des trois dernières décennies. Cela a conduit à mettre l’accent sur l’efficacité, c’est-à-dire sur l’obtention de réductions d’émissions au plus bas coût pour l’économie.

Bien entendu, l’efficacité doit faire partie de l’équation. Mais si les politiques de réduction des émissions ne sont pas justes et équitables, elles n’obtiendront pas l’appui du public, nécessaire à leur réussite.

La crise actuelle de l’abordabilité est un signal d’alarme, mais le choc devait survenir tôt ou tard. Les gouvernements ne peuvent développer les politiques climatiques et sociales en silos. Le temps est venu pour une approche intégrée et modernisée, qui vise autant l’équité que l’efficacité.

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Rachel Samson
Rachel Samson est vice-présidente de la recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques. Elle était auparavant directrice de la recherche sur la croissance propre à l’Institut climatique du Canada. Rachel a également œuvré pendant 15 ans en tant qu’économiste et cadre au sein du gouvernement fédéral, et cinq ans en tant que consultante indépendante. Twitter @rachel_e_samson

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