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Ceci est le premier de deux articles sur l’avenir de l’énergie et la transition de la main-d’œuvre au Canada. Le second article est ici.

Il semble que plus personne au Canada n’aime l’expression « transition équitable ». Largement utilisée à l’échelle internationale, l’Organisation internationale du travail définit une transition équitable – ou juste – comme « rendre l’économie plus verte d’une manière qui soit aussi équitable et inclusive que possible pour toutes les personnes concernées, en créant des opportunités de travail décent et en ne laissant personne de côté ».

Il est difficile de ne pas être d’accord avec cette définition. Le problème avec cette terminologie au Canada semble toutefois porter moins sur le concept de soutien aux travailleurs que sur la nature même de la transition.

Au cœur du débat se trouvent des visions opposées de l’avenir de l’économie mondiale, notamment en ce qui concerne le pétrole et le gaz. Dans l’une de ces visions, le monde aura encore besoin de pétrole en 2050 et le Canada verra des possibilités croissantes pour l’exportation du gaz naturel. Dans l’autre, la planète réussira à attendre les cibles mondiales de réduction des émissions de GES, ce qui entraînera une baisse importante de la demande pour les combustibles fossiles.

Les optimistes quant à l’avenir du pétrole et du gaz citent souvent le Scénario des politiques déclarées (STEPS) que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) inclut dans ses Perspectives énergétiques mondiales 2022. Ces prévisions tiennent compte des politiques en matière de changements climatiques qui sont déjà en place ou en cours d’élaboration. Elles sont cohérentes avec une hausse moyenne de la température mondiale d’environ 2,5 degrés par rapport aux niveaux préindustriels, dépassant l’objectif de « bien en dessous de 2 degrés » énoncé dans l’accord de Paris.

De leur côté, ceux qui croient que le pétrole et le gaz prendront moins de place se réfèrent au scénario « net zéro » de l’AIE, dans lequel une démarche globale offrirait une chance sur deux d’atteindre la cible de 1,5 degré établie par les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Cette hypothèse suppose l’arrêt des investissements dans les combustibles fossiles et une baisse substantielle de la production vers 2050.

Pour élaborer la bonne stratégie pour les travailleurs et l’économie canadienne, nous devons savoir laquelle de ces visions est juste. Cela signifie qu’il faut s’éloigner des scénarios contradictoires, et mieux prédire et façonner l’avenir.

Entre deux extrêmes, la réalité

Si on écoute ceux qui envisagent un avenir radieux pour les carburants fossiles, le secteur canadien des hydrocarbures (qui exporte 80 % du pétrole et 48 % du gaz qu’il produit) continuera de bénéficier d’un marché stable pendant des décennies. Si c’est le cas, alors le seul défi – si nous voulons atteindre nos objectifs pour 2030 et 2050 – sera de réduire les émissions grâce à des technologies telles que la capture et le stockage du carbone.

Cependant, si on s’en remet à ceux qui croient à un déclin abrupt, le Canada devra trouver de nouvelles sources de croissance économique, d’exportations, d’emplois et de revenus gouvernementaux pour combler un trou grandissant. En 2021, le pétrole et le gaz représentaient environ 20 % de la valeur des exportations de biens du Canada, 6 % de son PIB, 1 % de ses emplois (directs), et environ 20 % du budget de l’Alberta.

En réalité, il y a des indices assez clairs à l’effet que ces deux visions sont erronées et que le parcours le plus plausible se dessinera entre ces extrêmes.

Prenons le scénario des politiques déclarées de l’AIE, préféré par ceux qui envisagent peu de perturbations pour les secteurs pétrolier et gazier. Croire qu’il s’agit de la trajectoire mondiale la plus probable revient à croire aussi que les gouvernements ne mettront en œuvre aucune nouvelle politique climatique au cours des prochaines décennies, au-delà de celles déjà en place ou en cours d’élaboration. Alors que les impacts des changements climatiques deviennent plus flagrants et qu’une nouvelle génération accède à des postes de direction, est-il raisonnable de s’attendre à ce que la politique climatique reste au neutre?

Un certain retour en arrière est plausible, en particulier aux États-Unis, s’il devait y avoir un changement de gouvernement. Cependant, les constructeurs automobiles se sont déjà engagés à passer aux véhicules électriques, et les énergies renouvelables sont de plus en plus souvent l’option la moins couteuse pour produire de l’électricité. La pierre a déjà commencé à rouler vers le bas de la colline, et il sera de plus en plus difficile pour un gouvernement de stopper son élan (voir les figures 1 et 2).

En fait, si l’on examine les précédentes perspectives énergétiques de l’AIE, on constate que leurs scénarios où le statu quo se maintenait ont été continuellement révisés à mesure que les politiques climatiques des gouvernements se développaient, que les coûts des technologies diminuaient et que les investissements privés augmentaient. Ainsi, entre 2012 et 2022, les projections de l’AIE basées sur les politiques déclarées sont passées d’une trajectoire de 3,5 degrés à une de 2,5 degrés.

Le scénario net zéro de l’AIE semble lui aussi de plus en plus irréaliste. Par exemple, un nouveau sommet d’électricité produite à partir du charbon a été atteint en 2022. Cela ne signifie pas pour autant que l’objectif mondial de 1,5 degré doit être abandonné. Il est possible de dépasser cette cible dans un premier temps, puis de ramener les émissions sur la bonne voie. Cette dernière trajectoire est donc toujours d’actualité. Nous savons également que chaque fraction de degré qui nous rapproche de la limitation du réchauffement à 1,5 degré contribue à réduire les dégâts climatiques, qui s’accompagnent de coûts financiers et humains élevés.

Alors, où en sont les gouvernements canadiens en ce qui a trait à la planification ?

Espérer le meilleur et se préparer au pire

Pour l’économie et les travailleurs canadiens, le meilleur scénario est celui où il existe une trajectoire longue et prévisible pour la demande de pétrole et de gaz. Le temps et la prévisibilité sont essentiels pour permettre aux entreprises de s’adapter, aux travailleurs de se perfectionner ou de se recycler, et aux communautés de se préparer à saisir les opportunités offertes par les nouveaux marchés.

Une trajectoire prévisible est également importante pour les consommateurs. Si l’offre de pétrole et de gaz devait diminuer avant que nous ayons traité de manière adéquate la demande, nous pourrions assister à des flambées de prix et à des difficultés pour les individus qui dépendent encore de ces produits pour leur entreprise, leur maison et leur véhicule. Mais l’inverse est aussi vrai. Si nous n’insistons que sur la demande sans planifier l’offre – par exemple en interdisant le raccordement au gaz naturel des nouvelles habitations –, nous risquons l’abandon d’actifs et des pertes d’emplois.

S’il est possible d’offrir plus de certitude à l’intérieur du Canada, ce sera plus compliqué pour ceux qui doivent s’en remettre aux marchés mondiaux.

À l’échelle nationale, le Canada pourrait mieux coordonner les mesures relatives à l’offre et à la demande au sein des gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux, municipaux et autochtones, et entre eux. La prévisibilité des politiques sur le long terme, incluant la tarification du carbone, les règlements et les incitatifs financiers, peut favoriser une meilleure planification tant de la part des gouvernements que du secteur privé. Idéalement, cela devrait inclure un accord entre les partis politiques, afin d’éviter tout changement de politique lors d’un changement de gouvernement. Les contrats d’écarts compensatoires (ou différentiels), par lesquels les gouvernements acceptent d’indemniser les entreprises si les politiques ou les trajectoires des prix du carbone changent, pourraient contribuer à réduire le risque d’investissement – et à dissuader des futurs gouvernements de renverser des politiques.

Sur les marchés internationaux, le Canada pourrait faire davantage pour encourager la coordination des politiques en Amérique du Nord, ainsi qu’avec l’Union européenne et d’autres partenaires commerciaux. Les clubs climatiques, au sein desquels des pays aux vues similaires coordonnent leurs politiques et utilisent des mesures commerciales pour encourager une plus grande participation, seraient une façon d’améliorer la prévisibilité.

En jouant un rôle plus actif dans l’établissement de certitudes quant aux voies d’avenir, le Canada pourrait contribuer à façonner la transition énergétique dans le meilleur intérêt de l’économie et de la main-d’œuvre canadiennes.

Ceci est le premier de deux articles sur l’avenir de l’énergie et la transition de la main-d’œuvre au Canada. Le second article est ici.

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Rachel Samson
Rachel Samson est vice-présidente de la recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques. Elle était auparavant directrice de la recherche sur la croissance propre à l’Institut climatique du Canada. Rachel a également œuvré pendant 15 ans en tant qu’économiste et cadre au sein du gouvernement fédéral, et cinq ans en tant que consultante indépendante. Twitter @rachel_e_samson

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