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Ceci est le deuxième de deux articles sur l’avenir de l’énergie et la transition de la main-d’œuvre au Canada. Le premier article est ici.

Il existe essentiellement deux écoles de pensée sur la meilleure stratégie économique à adopter pour le Canada en ce qui a trait à la transition énergétique mondiale.

La première est fondée sur la préservation à tout prix du secteur pétrolier et gazier canadien, même si la réduction de ses émissions de GES doit être subventionnée à coups de milliards. La seconde consiste à saisir les opportunités qui se présenteront un peu partout sur la planète dans les secteurs de l’énergie propre, des technologies propres et des minéraux critiques (ou minéraux essentiels).

Mettre tous nos œufs dans l’un ou l’autre panier risque d’être une erreur pour l’économie et les travailleurs canadiens, et ce, pour trois raisons : (1) les marchés en déclin offrent des gains à court terme, mais finissent pas laisser un trou béant qui doit être comblé ; (2) les subventions pour la réduction des émissions pétrolières et gazières pourraient faire sauter la banque ; (3) les opportunités économiques mondiales vont bien au-delà de l’énergie et des minéraux.

À quoi ressemblerait donc une stratégie économique efficiente ? Elle se concentrerait sur la création de valeur à long terme, dans l’intérêt de tous les Canadiens. Cela suppose de mettre l’accent sur la diversification des exportations, d’attirer les investissements, de développer les activités à valeur ajoutée et d’obtenir de meilleurs résultats pour l’environnement, les travailleurs et les peuples autochtones.

Retarder l’inévitable

Bien que l’échéance soit incertaine, la demande mondiale de pétrole devrait diminuer au cours de ce siècle. Les projets de sables bitumineux existants vont survivre pendant un certain temps, une étude ayant montré qu’ils pourraient continuer à fonctionner lorsque le prix du pétrole sera aussi bas que 40 $ CA (à condition que les gouvernements prennent en charge les réductions d’émissions). Cela équivaut à environ 30 $ US le baril. Pour donner une idée, début mars 2023, le prix du Western Canada Select était d’environ 56 $ US. Les entreprises et les gouvernements – qui en tirent des redevances – voudront naturellement maximiser leurs revenus pendant le déclin.

Toutefois, une stratégie fondée sur le maintien des parts d’un marché qui rétrécit n’est pas dans l’intérêt supérieur à long terme de l’économie ou des travailleurs canadiens. Cela reviendrait un peu, dans les années 2000, à miser sur le fait d’avoir le dernier club vidéo, alors que les services de diffusion en continu commençaient à supplanter les DVD. L’aide gouvernementale aurait pu préserver les emplois du club vidéo pendant un certain temps, mais cela n’aurait que retardé l’inévitable. Et les injections de fonds publics pour maintenir le magasin en activité n’auraient généré aucune valeur à long terme.

Un marché mondial en déclin ne veut pas dire que les gouvernements doivent renoncer au pétrole ou au gaz naturel à court terme. Mais cela signifie qu’ils doivent penser en fonction d’un avenir où leur apport économique sera moindre.

Éviter le gouffre financier

Le gouvernement fédéral a annoncé plusieurs initiatives en réponse aux défis économiques et de main-d’œuvre associés à la transition, notamment le Fonds de croissance du Canada – d’une valeur de 15 milliards $, un crédit d’impôt pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, et un Plan pour des emplois durables. D’autres mesures sont attendues dans le prochain budget fédéral.

Les projets pétroliers et gaziers pourraient absorber une partie importante des investissements gouvernementaux au cours des prochaines décennies. Des entreprises qui exploitent les sables bitumineux ont demandé une contribution gouvernementale de 50 milliards $ pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, et on propose de construire un grand centre de stockage du carbone au coût de 16,5 milliards $. En Colombie-Britannique, un projet de terminal pour l’exportation du gaz naturel liquéfié (GNL) a besoin de lignes de transmission pour l’électricité, afin de réduire ses émissions, et il est question que le gouvernement en défraie le coût.

Avant de consacrer des ressources importantes à la réduction des émissions de nos industries pétrolière et gazière, nos gouvernements devraient réfléchir aux coûts d’opportunité de cette démarche. Compte tenu du risque financier croissant que représentent les carburants fossiles, il serait peut-être plus judicieux de consacrer une partie de ces fonds à stimuler l’investissement privé, afin de l’aider à s’implanter solidement dans les secteurs appelés à se développer pendant la transition énergétique.

Voir plus grand

Alors que les gouvernements réfléchissent à l’économie du futur et aux moyens de saisir les opportunités dans les marchés émergents, ils peuvent être tentés de se laisser séduire par l’engouement autour de certains produits ou technologies.

La réalité est qu’il n’existe pas de produit unique qui remplacera le pétrole ou le gaz naturel. L’hydrogène ne sera pas le sauveur, pas plus que les petits réacteurs nucléaires modulaires. Tous deux ont un rôle à jouer, mais aucun n’atteindra l’ampleur du pétrole ou du gaz.

S’il veut maintenir son niveau de vie (et éviter d’être en queue de peloton des pays développés), le Canada devra plutôt saisir une myriade d’occasions dans un large éventail de secteurs. Ces opportunités ne se limitent pas à l’énergie ou aux minéraux. Elles sont également présentes dans l’agriculture et l’alimentation, la fabrication, la biotechnologie, l’intelligence artificielle, les services, etc.

Heureusement, le Canada peut compter sur de nombreuses entreprises et de nombreux entrepreneurs présents dans ces domaines. Ce dont beaucoup d’entre eux ont besoin pour être compétitifs, c’est d’un financement privé qui leur permette de se développer ici.

Établir des priorités

Le gouvernement fédéral bénéficierait d’un cadre cohérent pour faire des choix difficiles. Un tel cadre devrait être fondé sur l’élimination des risques et l’encouragement des ambitions du secteur privé, plutôt que sur une vision prédéterminée des technologies et des projets qui devraient aller de l’avant.

La première priorité devrait être la diversification et la croissance des exportations. Plus de 60 % des exportations de biens du Canada sont vulnérables à la transition vers un monde à faibles émissions, et le niveau de vie des Canadiens dépend du succès des échanges commerciaux. Les entreprises qui investissent pour être compétitives sur les marchés mondiaux en croissance et celles qui sont prêtes à adapter leurs produits pour rester compétitives devraient être les premières à bénéficier de fonds publics.

La deuxième priorité devrait être d’attirer l’investissement privé. La concurrence mondiale pour l’investissement s’intensifie, et notre pays doit trouver un moyen de se démarquer. Les incitations financières jouent un rôle, mais il existe de nombreux autres attributs que le Canada pourrait mettre de l’avant, comme sa tarification du carbone et sa réglementation favorable, ses travailleurs qualifiés, son approvisionnement en électricité à faible teneur en carbone et ses ressources naturelles. Les projets plus risqués, tels que les premiers déploiements de technologies à l’échelle commerciale, pourront justifier un rôle plus important du gouvernement. En réduisant le risque d’investissement pour des projets similaires dans le futur, leurs bénéfices pour l’ensemble de la société seront plus grands.

La troisième priorité devrait être la recherche de la valeur ajoutée, qui est plus susceptible d’améliorer la piètre performance du Canada en matière de productivité et de générer de la richesse à long terme. Au lieu de se contenter d’exporter des minéraux bruts essentiels, nous devrions développer notre capacité de traitement des minéraux. Au lieu de se contenter d’exporter des pois et des lentilles, nous devrions développer notre capacité de transformation des protéines végétales et de production alimentaire. Et au lieu de se contenter d’exporter des granules de bois, nous devrions plutôt développer de solides projets de bioénergie et de bioproduits qui obtiendront un avantage concurrentiel grâce à un accès fiable aux matières premières.

L’effort présentement consenti à l’hydrogène pourrait également s’étendre à la fabrication de piles à combustible ou à l’assemblage de camions ou de bateaux à pile à combustible. L’électrification des transports touche bien plus que les voitures, les autobus et les véhicules récréatifs présentant un potentiel énorme.

Une priorité incidente devrait être d’améliorer les résultats sur les plans environnemental et social. Les projets devront répondre à des critères minimaux pour respecter les droits des autochtones et faire en sorte que leurs communautés bénéficient financièrement de l’activité économique sur leur territoire traditionnel, ainsi que pour minimiser l’impact sur la nature et les écosystèmes. Les communautés qui connaissent un taux de chômage élevé ou qui sont exposées à des risques pendant la transition devraient être favorisées lors de l’octroi de fonds publics.

De nombreuses entreprises canadiennes possèdent des technologies qui peuvent contribuer à réduire les impacts environnementaux, comme le recyclage des batteries des véhicules électriques ou l’amélioration de l’efficacité des exploitations minières. Ces technologies sont souvent laissées de côté dans les stratégies sectorielles ou technologiques axées sur la réduction des émissions.

Parallèlement, on devra redoubler d’efforts pour préparer la main-d’œuvre canadienne aux bouleversements. Même si le nombre de nouveaux emplois créés dépassera celui des emplois perdus, la transition va entraîner de vastes changements et ajustements. Les mesures actuelles de soutien à la formation et à l’éducation des adultes sont inadéquates, et trop de travailleurs passent entre les mailles du filet de l’assurance-emploi.

Une stratégie économique canadienne efficace face à la transition énergétique mondiale ne demande pas de révolution, mais elle exige un état d’esprit rigoureux et un cadre cohérent pour la prise de décisions.

Ceci est le deuxième de deux articles sur l’avenir de l’énergie et la transition de la main-d’œuvre au Canada. Le premier article est ici.

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Rachel Samson
Rachel Samson est vice-présidente de la recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques. Elle était auparavant directrice de la recherche sur la croissance propre à l’Institut climatique du Canada. Rachel a également œuvré pendant 15 ans en tant qu’économiste et cadre au sein du gouvernement fédéral, et cinq ans en tant que consultante indépendante. Twitter @rachel_e_samson

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