C’est difficile de susciter beaucoup d’excitation en parlant d’investissement privé. Pourtant, cet investissement, en créant de la richesse à long terme, permet à l’État de nous offrir de bons services publics, notamment en santé, en éducation et pour la petite enfance. Au Canada, l’investissement privé est décevant, et ce depuis plusieurs années.

L’année 2024 n’annonce pas de jours meilleurs, du moins du point de vue économique. Le climat d’incertitude (guerre en Ukraine, élections aux États-Unis, possibilité de récession), combiné aux taux d’intérêt qui resteront élevés, au moins jusqu’à la mi-année, n’encouragera pas les entreprises à investir en technologies et nouvelles machineries.

Les gouvernements, qui ont souvent misé sur les incitatifs fiscaux pour stimuler l’investissement privé, sont dans le rouge et n’ont plus la marge de manœuvre financière qu’ils avaient pour soutenir les entreprises.

Québec et Ottawa doivent viser l’équilibre budgétaire

La conjoncture actuelle ne devrait pourtant pas être vue comme une fatalité. Si la capacité financière des entreprises est un élément central aux décisions d’investissements, une étude que nous avons récemment menée sur le secteur manufacturier québécois révèle qu’elle n’est pas le seul déterminant de l’investissement. Des facteurs liés aux ressources humaines entrent également en jeu : un dirigeant avec une vision, des gestionnaires formés et aux faits des nouvelles technologies, du personnel mobilisé, etc.

Ainsi, la formation des employés et des gestionnaires pourrait s’avérer une véritable bougie d’allumage pour accélérer l’investissement en machineries et technologies. Cela pourrait même avoir davantage d’impact que de nouvelles mesures fiscales.

Quand l’investissement facilite le recrutement

Les enjeux technologiques sont en eux-mêmes liés aux défis de main-d’œuvre et de formation. Par exemple, alors que certaines entreprises adoptent des technologies avancées pour pallier le manque d’employés, d’autres ne parviennent même pas à recruter le personnel nécessaire pour intégrer ces technologies de pointe.

Notre étude montre ainsi que les entreprises manufacturières qui ont le moins investi en machineries et technologies sont également celles qui ont le plus de difficultés de recrutement. Et en devant recourir à une main-d’œuvre plus nombreuse, peu qualifiée et plus faiblement rémunérée, ces entreprises sont par conséquent plus affectées par les pénuries de travailleurs.

Certains manufacturiers s’enlisent donc dans un cercle vicieux où leur faible productivité les empêche de dégager les marges nécessaires pour investir en automatisation et former leur personnel – et donc, de leur offrir de meilleures conditions de travail –, ce qui perpétue leurs difficultés de recrutement. Rehausser les compétences technologiques des travailleurs devient donc primordial pour briser ce cercle vicieux.

Garder les gestionnaires à jour

Par ailleurs, l’étude met de l’avant un élément crucial : l’importance pour les directions d’entreprises d’identifier les opportunités d’investissement, de choisir et d’implanter les technologies et de rallier leurs employés.

Les technologies de pointe ne sont pas, à elles seules, un moteur de performance. Elles requièrent une gestion du changement, ce qui suppose du leadership et de l’accompagnement. Or, dans de nombreuses manufactures, les postes de gestion sont souvent attribués à des travailleurs qui ont gravi les échelons au sein même de l’entreprise ou dans le secteur dans lequel ils évoluent, plutôt qu’à de jeunes diplômés formés aux dernières pratiques. Pour ces gestionnaires, la formation continue devient donc essentielle si l’on veut mettre leurs connaissances à jour. Des mesures d’aide à la formation, mais aussi à l’accompagnement des gestionnaires dans leur transformation, pourraient donc s’avérer porteuses en période de ralentissement économique.

Une mission pour les gouvernements, mais surtout pour les entreprises

Il n’y a pas de solution magique ou unique pour accélérer l’investissement privé au Canada. En revanche, les politiques publiques, tant au niveau fédéral que provincial, peuvent inciter les entreprises à adopter des comportements souhaitables, comme s’automatiser ou encore devenir plus vertes.

Chose certaine, les gouvernements ne pourront pas tout régler. Les enjeux financiers des entreprises étant très diversifiés, ils n’appellent pas tous aux mêmes mesures d’aide. Par exemple, bien que des allègements fiscaux pourraient atténuer les difficultés de trésorerie, ils ne permettront pas à une entreprise qui peine à accéder au financement d’investir.

En revanche, les grandes entreprises – qui ont davantage de ressources et de moyens – peuvent jouer un rôle de premier plan dans la transition technologique, notamment en incitant leurs partenaires et fournisseurs, avec qui elles tissent des liens étroits, à adopter certaines technologies.

Si l’on veut rendre le secteur manufacturier plus vert et plus productif, la formation et le rehaussement des compétences constitueront des leviers clés, tant pour les politiques publiques que pour les entreprises elles-mêmes.

Ces constats sont tirés de l’étude Former pour mieux performer : Analyse sur les enjeux du secteur manufacturier.

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Emna Braham
Emna Braham est directrice générale de l’Institut du Québec. Elle a intégré l’IDQ en 2020 après avoir été économiste principale du Conseil d’information sur le marché du travail.
Anthony Migneault
Anthony Migneault est économiste à l’Institut du Québec depuis 2023. Il était auparavant adjoint aux recherches aux analyses économiques internationales de la Banque du Canada.

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