Le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord où les nouveaux pères ont droit, sous réserve de quelques conditions, à un congé de paternité payé leur étant exclusivement réservé. Si les prestations de paternité sont fort populaires, les plus récentes données du Conseil de gestion de l’assurance parentale (CGAP) montrent qu’une proportion croissante de pères utilisent aussi les prestations parentales partageables au terme de leur congé exclusif.

Ce changement dans les comportements des nouveaux pères pourrait avoir des effets bénéfiques sur les inégalités de genre.

L’arrivée d’un enfant est un moment charnière dans l’édification de ces inégalités. Alors que la transition à la paternité est souvent accompagnée d’un renforcement de la position des hommes sur le marché du travail, celle des femmes est parallèlement fragilisée en raison des nouvelles responsabilités de soins, dont elles assument disproportionnellement la charge. Une meilleure implication des pères dans les congés parentaux aiderait à changer cette réalité.

Avantage aux pères québécois

Il existe en vertu du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) trois principaux types de prestations pour une naissance : des prestations de maternité exclusives à la mère biologique, des prestations parentales partageables entre les parents, et des prestations exclusives pour le père ou le second parent. D’autres prestations exclusives peuvent également s’ajouter dans certaines situations particulières, par exemple lors de naissances multiples où dans le cas où un parent est le seul mentionné à l’acte de naissance.

La durée et la hauteur de ces prestations varient selon le type de régime choisi par les parents. Le régime de base offre une durée plus longue, tandis que le régime particulier est un peu plus généreux quant au montant versé pour les parents qui planifient un congé plus court, comme le montre le tableau 1.

Ailleurs au pays, les nouveaux parents ont également accès à des prestations exclusives pour la mère biologique et des prestations partageables. Depuis 2019, les familles qui choisissent le régime court bénéficient de 40 semaines de prestations pouvant être partagées. Toutefois, chaque parent ne peut prendre plus de 35 semaines. Ainsi, on comprend que des prestations d’une durée de cinq semaines sont également offertes au deuxième parent.

Les prestations québécoises réservées aux pères sont également mieux payées, couvrant de 70 à 75 % du salaire jusqu’à un maximum assurable de 94 000 $ (voir le tableau 1, ci-dessus). En comparaison, ailleurs au pays, les prestations partageables entre les parents remboursent un maximum de 55 % du salaire dans le régime court, et de 33 % dans le régime long. Le revenu maximal assurable est aussi sensiblement moins élevé, à un peu plus de 63 000 $ par an.

Les pères québécois utilisent massivement les prestations de paternité. Au Québec, plus des trois quarts (76,6 %) des pères ont demandé des prestations en 2021, comparativement à seulement trois pères sur 10 (29,9 %) ailleurs au pays.

Plus d’argent pour plus de nouveaux parents

Les changements apportés au Régime québécois d’assurance parentale

Myopie et limites de la politique familiale québécoise

Un incitatif efficace : le « bonus au partage »

Un des objectifs clés de la refonte de 2020 de la Loi sur l’assurance parentale était de favoriser une plus grande utilisation des prestations par les pères, au-delà de leur congé exclusif. À cette fin, le RQAP propose désormais un nouvel incitatif au partage en « récompensant » les couples dont les deux parents prennent des prestations parentales par l’ajout de semaines additionnelles de prestations.

En vertu du régime long, pour les couples où chacun des parents utilise huit semaines de prestations partageables, quatre semaines sont ajoutées à la durée totale des prestations du RQAP. Les nouveaux parents qui prennent chacun six semaines de prestations partageables en vertu du régime plus court se voient ajouter trois semaines à leur congé payé.

L’initiative portée par le CGAP, qui gère et oriente le RQAP, porte ses fruits.

Parmi les couples où les deux parents étaient admissibles aux prestations du RQAP, le deuxième parent prenait au moins une semaine de prestation dans plus du tiers (35 %) des cas en 2021, alors que ce n’était le cas que pour 20 % des couples en 2006, et 27 % en 2020.

De façon plus ciblée, la proportion de couples utilisant au moins 6 semaines de prestations – le minimum requis pour obtenir des semaines additionnelles de congé – a presque triplé à la suite de l’ajout de semaines de « récompense », passant à 22 % en 2021, après avoir oscillé entre 6 et 8 % pendant les quinze années précédentes.

En d’autres mots, dans 22 % des couples où les deux parents reçoivent des prestations, le deuxième conjoint utilise au moins 6 semaines de prestations parentales partageables, en plus du congé de paternité

L’exceptionnalisme québécois

Un partage des prestations chez une proportion croissante de couples est évidemment une excellente nouvelle. L’enthousiasme avec lequel les couples se prévalent de cette mesure suscite l’intérêt.

L’utilisation des prestations parentales chez les hommes est déterminée par des facteurs organisationnels, politiques et culturels. Des recherches comparatives ont néanmoins montré qu’offrir aux pères des prestations bien rémunérées non transférables à la mère encourage leur utilisation.

Cependant, la recherche a aussi montré que l’égalité des genres est favorisée par l’octroi de prestations sur une base individuelle, avec une portion partageable limitée, comme c’est par exemple le cas en Islande et en Suède. Au Québec, l’accès aux prestations « bonus » est conditionnel à la qualification des deux conjoints.

C’est bien là ce qui est étonnant dans le succès de l’initiative. En vertu du régime plus long, choisi par huit familles sur dix bénéficiaires du RQAP, les semaines de prestations additionnelles ne sont payées qu’à 55 % du salaire… Or, la recherche montre qu’un taux de remplacement du salaire d’au moins 80 % est nécessaire pour promouvoir l’égalité des genres dans la prise de congés. De plus, l’accès au bonus est tributaire de l’utilisation par les deux parents des prestations parentales, contrairement aux autres types de prestations.

Il est aussi possible que la pénurie de places en services de garde – plus de 30 000 enfants sont en attente d’une place – incite au partage des prestations. Les couples ne trouvant pas de place pour leur enfant décideraient alors de maximiser leur congé. C’est ce qui expliquerait entre autres l’adhésion des pères, en dépit du taux de remplacement du revenu plutôt faible dans le régime long.

Un effet durable ?

La mise en place d’une nouvelle mesure est souvent accompagnée d’un effet d’entrée, directement lié au changement dans l’architecture de la politique. Les effets à long terme de l’incitatif au bonus restent à être documentés. La hausse de la participation des pères au RQAP à la suite de l’instauration des prestations de paternité a ralenti après une dizaine d’années. On ne verra sans doute la pleine mesure de l’incitatif au partage que dans plusieurs années.

D’ici là, on ne peut exclure que les effets positifs de l’incitatif au partage soient aussi liés à d’autres modifications apportées au RQAP, comme la possibilité accrue de gagner des revenus de travail sur une base individuelle tout en étant prestataire, ou encore celle d’étaler sur 18 mois la prise de congés.

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Sophie Mathieu
Sophie Mathieu est docteure en sociologie; ses recherches sont axées sur la politique familiale québécoise. Elle occupe le poste de spécialiste principale des programmes à l'Institut Vanier de la famille et siège sur le Conseil consultatif national sur l'apprentissage et la garde des jeunes enfants.
Safa Ragued
Safa Ragued est chargée de recherche et d’évaluation de programme au Conseil de gestion de l’assurance parentale. Elle détient un doctorat en économie de l’Université Laval. Ses travaux portent sur l’efficacité des politiques publiques, le décrochage scolaire et l’égalité des genres. Ses recherches actuelles sont axées sur la politique familiale au Québec, particulièrement les congés parentaux.
Marie-Josée Dutil
Marie-Josée Dutil est détentrice d’un baccalauréat en actuariat de l’Université Laval. Elle a débuté sa carrière en 2008 à la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances. Elle a joint le Conseil de gestion de l’assurance parentale en 2014 à titre de responsable des indicateurs de gestion et des statistiques, en plus d’assister l’actuaire en chef dans l’élaboration des évaluations actuarielles annuelles.

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