À l’aube d’une campagne électorale, attendons-nous à ce qu’une maison de sondage teste bientôt son échantillon avec une question comme « Avec lequel des chefs iriez-vous prendre une bière ? ». Évaluer la proximité des chefs de parti avec l’électorat est maintenant un exercice obligé pour les sondeurs. Mais bien d’autres éléments peuvent caractériser le leadership : l’énergie contagieuse, l’authenticité, la capacité de rassembler, la compétence, le sens des responsabilités, le talent de communiquer, la vision et le pragmatisme. Personne ne possède toutes ces qualités, chaque chef ayant sa combinaison propre dont il espère qu’elle convaincra de larges franges de l’électorat.

L’image des chefs en campagne électorale suscite un grand intérêt de la part des médias, souvent enclins à personnaliser la politique. Mais qu’entend-on par « image » ? Les femmes politiques sont-elles désavantagées à cet égard ? Quelle part du succès électoral est attribuable à l’image ? Enfin, quels phénomènes ont encouragé une telle personnalisation de la politique ?

L’image des leaders est une combinaison de traits de personnalité et d’éléments idéologiques, le tout synthétisé et condensé. Elle est une sorte de raccourci cognitif permettant aux franges de l’électorat moins intéressées par la vie politique de prendre une décision. Il semble par ailleurs que les individus au fort capital culturel, qui suivent de près les programmes et les enjeux, se servent aussi de l’image comme complément d’information avant d’effectuer leur choix. L’image est une coconstruction, émanant à la fois du candidat, de ses adversaires et des médias, ce qui explique qu’elle ne soit pas toujours fixe et qu’on ne la contrôle pas aisément.

À cause de leur image, les femmes politiques souffrent-elles d’un déficit de légitimité ? Pendant longtemps, les médias ont eu tendance à présenter comme plus normale l’autorité des hommes que celle des femmes, envers lesquelles ils se montraient plus circonspects. On s’interrogeait sur leurs compétences, leur expérience et leur leadership. L’intérêt pour leur apparence physique ― vêtements, cheveux, bijoux, style, hexis ― était fréquent. Une attitude semblable de forte affirmation politique se voyait connotée positivement pour un homme et négativement pour une femme. Aujourd’hui, tant le nombre de femmes ayant occupé des fonctions importantes ¾ six femmes premières ministres provinciales et territoriale en 2013 ¾ que leur diversité et l’évolution des mentalités ont permis de dégonfler certaines des idées reçues et l’intérêt pour l’apparence physique. La misogynie n’a certes pas totalement disparu, mais elle s’exprime peu dans les grands médias et est réduite aux marges de la société canadienne.

La bonne image d’une figure politique ne garantit en rien son succès électoral, car d’autres facteurs que cette image influencent l’électorat. Les rares travaux empiriques sur l’image des leaders ne permettent pas d’établir quel est son impact dans l’urne, puisqu’ils sont uniquement descriptifs. On trouve par ailleurs des recherches sur la personnalité des chefs de parti, ce qui est différent de l’image, cette dernière comprenant une dimension idéologique.

Pour savoir quelle part du succès électoral est attribuable à l’image des leaders, il faut d’abord s’interroger sur les facteurs qui influencent les choix de l’électorat, un domaine de recherche très fertile depuis plusieurs décennies. Certains privilégient la piste des « facteurs fondamentaux » pour expliquer le vote, comme l’affiliation partisane ou les caractéristiques démographiques propres aux électeurs. D’autres préfèrent utiliser des données sur la performance économique du pays pour évaluer les chances de succès du gouvernement sortant, faisant écho à la célèbre phrase d’un des stratèges de la campagne présidentielle de Bill Clinton : « It’s the economy, stupid! » Ces diverses perspectives accordent peu d’importance à la personnalité des leaders et même aux programmes. Un courant de recherche minoritaire, mais en expansion, vise cependant à combler les lacunes à ce sujet. Par exemple, les travaux d’Amanda Bittner sur la personnalité des leaders cherchent à cerner l’impact des perceptions des leaders sur l’opinion publique en campagne électorale.

Aujourd’hui, on peut apporter de nombreux arguments qui montrent que la personnalité des leaders doit bien avoir un certain rôle à jouer pour persuader, convaincre et obtenir plus de voix aux élections : la concentration de l’intérêt médiatique sur la personne, les stratégies de mise en valeur des leaders par les partis et la volatilité de l’électorat, moins attaché aux partis qu’auparavant, donc plus enclin à se fier aux personnalités. L’intérêt pour la personnalisation s’expliquerait aussi, selon le politologue français Bernard Manin, par le fait que gouverner étant devenu imprévisible, l’électorat accorderait une bonne marge de discrétion aux chefs. De ce fait, la confiance envers le leader serait primordiale ; elle constituerait un principe de choix plus adéquat que les promesses électorales.

Dans le monde occidental, tout au long du 20e siècle, une série de phénomènes ont contribué à personnaliser la politique, ce qui a nécessairement incité l’électorat à tenir compte de l’image des leaders dans ses choix électoraux. Parmi ces phénomènes, deux retiennent notre attention. D’abord, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le passage des partis de masse, qui visaient certaines grandes catégories de la population, aux partis attrape-tout, moins axés sur une idéologie, a fait porter l’attention sur les candidats davantage que sur les programmes des partis. Plus les différences idéologiques se sont amenuisées, plus la volonté de se différencier grâce aux personnalités s’est renforcée. Les conventions des partis politiques pour choisir leur chef participent de la même tendance : puisque l’éventail des positions idéologiques dans un même parti est limité, les traits de personnalité et la compétence des candidats deviennent les éléments les plus attrayants pour se différencier.

Le deuxième phénomène qui a contribué à personnaliser la politique est la généralisation des médias de masse, en particulier la télévision durant les années 1950 et 1960, et, plus encore, les médias sociaux. Le contact direct des chefs de parti avec l’électorat a servi à canaliser le rapport au politique pour de larges franges de l’électorat, déclassant les partis, autrefois des canaux de communication directs entre la base et la direction. Les « assemblées de cuisine » et petites réunions en tout genre qui permettaient aux militants locaux de se faire entendre et aux membres de la direction de transmettre des messages, ont laissé la place aux sondages et aux enquêtes de consultants. Comme les messages des partis devaient être bien ficelés et transmis tels quels, et non soumis à de multiples interprétations des militants, la tendance à tout centraliser et à condenser la communication autour de la personne du chef a été irrésistible. À l’heure des médias sociaux, il est encore plus facile de concentrer l’attention du public sur les chefs, qui peuvent communiquer avec leurs « contacts » en tout temps.

Quel rôle ont joué les images des chefs lors des précédentes campagnes électorales ? En 2011, Jack Layton a-t-il convaincu de larges fractions de l’électorat par sa ténacité et son énergie pour permettre à son parti de devenir l’opposition officielle ? En 2015, est-ce l’image de renouveau et de progressisme portée par Justin Trudeau qui a propulsé son parti de la troisième à la première place lors de la plus longue campagne de l’histoire ? Le leader libéral est-il pour quelque chose dans l’augmentation du vote de 18 % des 18 à 24 ans et de 12 % chez les 25 à 34 ans ? La recherche n’a pas permis à ce jour d’obtenir des réponses claires à ces questions, d’autres facteurs ayant aussi influé sur les résultats. La pertinence d’analyser le rôle des leaders par rapport à l’intérêt politique des plus jeunes cohortes semble cependant claire.

Cet article fait partie du dossier Les médias face aux élections canadiennes.

Photo:  Le premier ministre Justin Trudeau (deuxième à g.) assiste à Montréal au défilé de la fierté gay en compagnie de la mairesse Valérie Plante (à g.), du chef du NPD Jagmeet Singh et de la chef du Parti vert Elizabeth May (à d.), le 18 août 2019. La Presse canadienne/Graham Hughes


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Anne-Marie Gingras
Anne-Marie Gingras est professeure de science politique à l’Université du Québec à Montréal et membre de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l’Université Laval.

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