(Cet article a été traduit de l’anglais)
Un des rôles fondamentaux des équipes locales en campagne électorale est de relayer les lignes de presse quotidiennes établies par l’équipe de la campagne nationale, en vue de les amplifier. Ce faisant, les candidats de chacune des circonscriptions se font le porte-voix local de la plateforme électorale de leur parti. En parallèle, ils doivent mettre de l’avant leurs propres engagements électoraux. Idéalement, ces messages destinés aux électeurs de leur circonscription sont en phase avec le contenu de la campagne nationale. Cela étant dit, à certains endroits, et plus particulièrement au Québec, les candidats doivent adapter le message national aux réalités locales. Ils peuvent même exceptionnellement chercher à se détacher de ce message.
Afin de favoriser la cohérence des messages locaux et nationaux, les équipes centrales des partis fournissent aux campagnes locales une gamme d’outils de communication : éléments visuels destinés aux médias sociaux ou gabarits pour les affiches et dépliants. Elles conseillent également les équipes locales en matière de publicité, de relations de presse ou de tactiques liées à la gestion des médias sociaux. Sans surprise, les partis politiques assurent généralement un contrôle serré sur le contenu et les promesses des campagnes locales. De fait, seuls les candidats vedettes ou les figures locales très fortes peuvent se permettre de dévier des messages mis de l’avant au niveau national.
Au Québec, les partis politiques fédéraux publient bien souvent une plateforme électorale distincte afin d’adapter le message national aux spécificités locales. Cette stratégie s’avère particulièrement utile lorsque les promesses électorales des partis ont peu de résonnance chez les électeurs québécois. À titre d’exemple, pensons à la promesse phare des Libéraux en 2021, qui promettaient un système national de garderie à 10 $ par jour, ou encore à la promesse du Nouveau Parti Démocratique (NPD) de mettre en place une assurance-médicaments universelle, deux programmes déjà bien implantés au Québec.
Ces plateformes régionales permettent parfois de répondre à certaines critiques. Ce fut le cas lors de l’élection fédérale de l’automne 2021, alors que le premier ministre François Legault appelait les Québécois à se méfier de certains partis politiques qu’il jugeait susceptibles de porter préjudice aux ambitions de son gouvernement et du peuple québécois. C’est dans ce contexte que le NPD présentait sa plateforme électorale pour le Québec. Elle se fondait sur la reconnaissance de la spécificité de la nation québécoise et répondait aux craintes du premier ministre en proposant un fédéralisme asymétrique et coopératif. Le Parti conservateur présentait pour sa part son contrat avec le Québec, proposant un fédéralisme de partenariat.
À travers le Canada, plusieurs enjeux discutés lors de campagnes électorales nationales soulèvent traditionnellement des tensions entre les partis et en leur sein en raison de différences de perceptions régionales. Les candidats se trouvent alors contraints de réconcilier des visions parfois peu compatibles. L’enjeu des armes à feu, par exemple, divise traditionnellement les régions urbaines et rurales. L’exploitation des sables bitumineux et la construction de pipeline constituent un autre facteur de division, plusieurs Canadiens étant réfractaires au développement de cette filière énergétique.
La campagne du chef adjoint du NPD au Québec
Afin de comprendre comment les équipes locales composent avec ces tensions entre les messages locaux et nationaux, nous avons conduit deux entretiens avec le chef adjoint du NPD Alexandre Boulerice qui a remporté le seul siège du parti au Québec lors de la dernière élection. Nous nous sommes également entretenus avec Lisa Cerasuolo, directrice de campagne de M. Boulerice pendant la campagne et attachée politique à son bureau de circonscription.
Afin d’identifier des enjeux locaux attrayants aux yeux des électeurs de la circonscription montréalaise de Rosemont–La Petite-Patrie, l’équipe de M. Boulerice a d’abord consulté les citoyens en amont de la campagne électorale. Elle a ainsi demandé aux électeurs de répondre par courriel à des questions posées dans son bulletin d’information numérique. Elle a également inséré des coupons-réponse dans le bulletin périodique du député, distribué quelques fois par année à tous les ménages de la circonscription. Elle a enfin eu recours aux médias sociaux – plus particulièrement à Facebook – afin de sonder les opinions des électeurs sur une variété de sujets.
Suite à ces exercices de consultation, la protection de l’environnement, l’accès au logement et une meilleure redistribution de la richesse sont apparus comme les principales préoccupations des électeurs de la circonscription. Pour évaluer la réaction de ses électeurs, l’équipe de M. Boulerice leur a présenté l’idée de protéger le fleuve Saint-Laurent en lui accordant un statut juridique distinct. Au printemps 2021, le candidat et son équipe ont sillonné les multiples parcs de la circonscription pour aller à la rencontre des gens et les inciter à signer une pétition en faveur de cet engagement. Dans les mois qui ont précédé la campagne, un groupe d’ornithologistes a par ailleurs contacté le chef adjoint pour l’informer de la menace planant sur un milieu humide appartenant à l’aéroport de Montréal, alors qu’un promoteur envisageait y construire une usine de fabrication de masques N95. L’équipe de M. Boulerice a décidé d’inclure la protection de ce milieu parmi ses promesses électorales liées à l’environnement.
Comme c’était le cas lors des campagnes précédentes, le parti a fait appel à une agence de publicité basée au Québec afin de développer les principaux outils communicationnels destinés à la province. Des groupes de discussion ont été réunis pour aider à développer les messages les plus efficaces pour l’électorat québécois. Ces professionnels ont proposé le slogan « Oser ensemble ». Légèrement différent du slogan national, « Ready for better » (que notre propre traduction rendrait par : « Prêts pour mieux »), il incitait directement les Québécois à oser voter pour le NPD.
Tout au long de la campagne électorale, l’équipe du chef adjoint a adapté le contenu fourni par le parti afin de mieux refléter le style et les priorités de leur candidat. Ainsi, elle a parfois choisi de s’éloigner des lignes de presse quotidiennes lorsque celles-ci avaient peu de résonnance en contexte québécois, choisissant plutôt d’insister, à ces occasions, sur les enjeux environnementaux. Les contenus destinés aux médias sociaux préparés par la campagne nationale ont également souvent été modifiés – ou carrément mis de côté – puisqu’ils s’avéraient peu adaptés aux préoccupations de l’électorat québécois. Le ton choisi par l’équipe de M. Boulerice était par ailleurs souvent plus direct et familier, voire plus audacieux et combatif, que celui proposé dans les lignes de presse émanant de la campagne centrale du parti. À certaines occasions, l’équipe du chef adjoint a même choisi de verser dans la campagne négative, sur la base de recherches menées sur les membres et alliés des partis adverses.
En dépit de cette relative marge de manœuvre, certains enjeux ont placé M. Boulerice dans une position difficile, l’incitant à maintenir un certain flou autour des engagements du parti et à faire quelques contorsions langagière. Ce fut le cas avec l’avenir du pipeline Trans Mountain, un projet que le NPD ne souhaitait pas rejeter entièrement pour des raisons électorales. Qui plus est, la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21) qui interdit au Québec le port de signes religieux pour les personnes en position d’autorité lorsqu’elles sont en fonction, tels les juges ou les enseignants, a constitué une autre question litigieuse. Alors que cette interdiction est largement acceptée au Québec, le NPD s’y oppose sur la base de la liberté de choix. L’adoption de normes nationales en santé a en outre dû être abordée avec prudence par l’aile québécoise du parti, certains engagements pouvant être vus comme empiétant sur les compétences provinciales.
En définitive, l’examen de la campagne du chef adjoint du NPD lors de l’élection de l’automne 2021 montre que ce dernier a pu bénéficier d’une certaine marge de manœuvre afin de prioriser les enjeux jugés prioritaires dans sa circonscription et au Québec. Il a également pu adapter aux réalités locales les lignes de presse et autres outils communicationnels fournis par l’équipe de campagne nationale. Cette latitude n’a toutefois pas empêché l’émergence de tensions liées au positionnement du parti sur certaines questions délicates en contexte québécois, mais tout de même défendues par le candidat pour des raisons de cohérence.
Au final, ce cas illustre que même si les candidats locaux se retrouvent parfois contraint d’embrasser des positions qui s’opposent à celles de leur électorat, la dissension demeure rare. En général, les candidats se plient aux impératifs du parti, en ayant recours à des discours vagues, creux ou ambigus afin de tenter de masquer leur position conflictuelle. Comme le souligne Alexandre Boulerice, c’est le juste prix à payer pour être membre d’un parti politique, plutôt que de faire campagne comme candidat indépendant.
Cet article présente une version abrégée d’un chapitre tiré d’un ouvrage qui sera publié en 2022 chez UBC Press. Il fait partie du dossier spécial Au cœur d’une campagne de terrain.
L’autrice tient à remercier Alexandre Boulerice, député de Rosemont–La Petite-Patrie, et Lisa Cerasuolo, directrice de campagne du chef adjoint et attachée politique pour le bureau du député de Rosemont–La Petite-Patrie, pour leur soutien essentiel dans la rédaction de cet article.