(Cet article a été traduit de l’anglais)

Le bref est tombé. Les panneaux électoraux parsèment les quartiers. Les photographies des candidats locaux serrant des mains, effectuant les premiers lancers cérémoniels lors des matchs de baseball de la ligue locale ou tenant la spatule devant le grill lors d’événements communautaires envahissent les médias et les fils des réseaux sociaux. Tous ces efforts de sensibilisation et de communication visent à mettre en valeur les attributs identitaires et les qualités des politiciens locaux, ainsi que leur profil professionnel et leurs réalisations. Le processus consistant à mettre l’accent sur le candidat pendant une campagne est connu sous le nom de personnalisation.

Il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau. Les individus ont toujours joué un rôle prépondérant en politique. Cependant, l’évolution de la couverture de l’actualité politique par les organisations médiatiques et les journalistes, associée au rôle central joué par les plateformes médiatiques centrées sur l’identité dans le processus politique au cours des dernières décennies, a augmenté l’importance de la personnalisation dans la vie politique. Simultanément, les politiciens ont adapté leur approche de la création d’une image personnelle et de la diffusion de messages politiques à la structure et au format des canaux médiatiques dominants.

La dynamique de la personnalisation dans les campagnes de terrain lors des élections fédérales canadiennes est importante. Nous utilisons la campagne libérale de Martin Francoeur dans la circonscription très disputée de Trois-Rivières comme étude de cas pour explorer le rôle et les effets de la personnalisation dans la politique locale et, ce faisant, illustrer comment les traits de caractère personnels et professionnels, les attributs identitaires et les histoires personnelles des candidats deviennent des raccourcis permettant aux membres du public de se familiariser avec la politique et de la comprendre.

En utilisant des techniques narratives, les candidats élaborent et diffusent des récits mettant en avant des aspects stratégiques de leur identité, ce qui leur permet de créer des liens personnels avec les électeurs. Ces récits ont des thèmes très variés. Parmi eux figurent les réalisations ou les échecs personnels ou professionnels passés et les traits de caractère tels que l’honnêteté, l’intégrité ou l’authenticité.

Cette mise en récit personnalisée peut affecter tous les aspects d’une campagne politique. Elle peut aider les politiciens à faire campagne en créant une image négative de leurs adversaires politiques ou donner aux journalistes des nouvelles politiques à commenter. Cela peut affecter la façon dont les électeurs perçoivent et comprennent les informations politiques et même les aider à faire un choix le jour du scrutin.

Martin Francoeur s’entretient en août 2021 devant l’hôpital de Trois-Rivières avec une femme qui milite contre la flambée des coûts de l’immobilier. Source: Instagram

Alors, comment les candidats locaux développent-ils et rendent-ils opérationnelles leurs stratégies de personnalisation pendant une campagne en ligne et hors ligne ? La campagne de M. Francoeur offre plusieurs indices. Avant de remporter l’investiture libérale, M. Francoeur a travaillé pendant 27 ans comme journaliste et éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières, une publication locale bien connue. À bien des égards, cela a fait de M. Francoeur un candidat vedette.

Il a affronté trois autres candidats jouissant également d’une grande notoriété dans la communauté : René Villemure, un éthicien qui s’est présenté sous la bannière du Bloc Québécois ; Yves Lévesque, l’ancien maire de Trois-Rivières et candidat du Parti conservateur ; et Adis Simidzija, le candidat du Nouveau Parti Démocratique et travailleur communautaire bien connu. Finalement, M. Villemure l’a emporté par moins de 100 voix à la suite d’un recomptage judiciaire, tandis que M. Francoeur est arrivé troisième. La précédente députée de Trois-Rivières du Bloc Québécois Louise Charbonneau a choisi de ne pas se présenter aux élections de 2021. Peu après l’émission du décret d’élection, l’équipe de M. Francoeur a déployé une campagne de communication s’appuyant largement sur ses réalisations professionnelles. Sa carrière en journalisme et son implication dans la communauté de Trois-Rivières lui ont permis de se présenter comme un candidat crédible et prêt à être élu. Son équipe a planifié plusieurs efforts de sensibilisation pour mettre en valeur ses qualités. L’équipe a jugé important de le présenter sous un jour positif, tant en ligne que hors ligne.

Alors que la campagne devenait plus négative au niveau national, les chefs de parti s’attaquant les uns aux autres, l’équipe est restée fidèle au message et est restée positive jusqu’au jour de l’élection et même après. Même si M. Francoeur a dû faire face à des controverses, comme ses pratiques de collecte de fonds et ses critiques antérieures à l’égard du chef libéral Justin Trudeau ­– ce qui a entraîné une couverture négative de sa campagne et des discussions sur les médias sociaux –, son équipe a choisi d’éviter d’aborder ces questions directement et s’est concentrée sur les aspects plus positifs de son image et sur ses thèmes de campagne axés sur le futur. Parmi ces thèmes figuraient l’accès aux services de garde d’enfants et le logement abordable. À bien des égards, ses messages sur les médias sociaux portaient sur la façon dont une victoire électorale de M. Francoeur apporterait positivité et croissance à la communauté de Trois-Rivières.

Justin Trudeau et d’autres candidats vedettes des libéraux, comme Mélanie Joly, ont été utilisés comme modèles lors de l’élaboration et du partage de messages sur les fils de médias sociaux de M. Francoeur. Sur Instagram, des photos reproduisaient les valeurs libérales du multiculturalisme et des familles multigénérationnelles. Prenons par exemple des photos de M. Francoeur interagissant avec des personnes âgées au Service d’accueil des nouveaux arrivants, un organisme d’accueil des immigrants dans la région de Trois-Rivières, qui ont été publiées sur Instagram. Son engagement à travailler à la réconciliation avec les peuples autochtones a également été mis en évidence sur des photos de M. Francoeur interagissant avec des leaders locaux au Centre d’amitié autochtone de Trois-Rivières. M. Francoeur a également montré son soutien aux femmes en partageant une photo de lui participant à une marche publique pour la sécurité des femmes.

Selon le responsable des médias sociaux de M. Francoeur, ces messages et les légendes qui les accompagnent ont été inspirés par l’approche de M. Trudeau en matière de communication politique numérique. Reproduire la façon dont le chef du parti projette son pouvoir et ses qualités personnelles a été vu comme une façon de présenter la philosophie du parti sous un jour nouveau pour les messages locaux et la sensibilisation. L’équipe de Francoeur voulait s’assurer d’être cohérente avec la façon dont le parti menait sa campagne à l’échelle nationale.

Francoeur voulait également être perçu comme un candidat très connecté au préoccupations locales. Ses origines modestes de Bas-du-Cap, un quartier pauvre et négligé de Trois-Rivières, ont été utilisées comme un symbole de mobilité sociale. Cela lui a permis de se présenter comme une personne bien placée pour comprendre les difficultés vécues par de nombreux résidents de Trois-Rivières. L’importance de son enracinement dans la communauté s’aligne sur l’image publique de Trudeau qui se dépeint également comme un leader en contact avec les gens.

M. Francoeur lors d’une rencontre avec des leaders autochtones à Trois-Rivières. Source: Instagram.
M. Francoeur lors de la marche contre la violence faire aux femmes en septembre à Trois-Rivières. Source: Instagram.

Plusieurs questions importantes pour la communauté de Trois-Rivières ont été soulevées et discutées tout au long de la campagne par M. Francoeur et son équipe. Il s’agissait notamment de développer de meilleurs logements pour personnes âgées près de la rivière Saint-Maurice et de fournir un environnement plus accueillant pour les immigrants. M. Francoeur a également déclaré son appui aux investissements dans l’Université du Québec à Trois-Rivières et son Institut de recherche sur l’hydrogène, qui pourraient jouer un rôle important dans la lutte contre les changements climatiques.

À l’instar de M. Trudeau, de nombreuses publications Instagram de M. Francoeur ont contribué à l’humaniser et ont fourni des indices identitaires appréciés par une grande partie de l’électorat, notamment en le présentant comme quelqu’un d’accessible, d’empathique et à qui on peut s’identifier. Dans ses messages, M. Francoeur se présente comme quelqu’un qui se soucie des enjeux régionaux et de tous les segments de la communauté de Trois-Rivières, des jeunes familles aux électeurs âgés en passant par les entrepreneurs.

M. Francoeur avec des membres de l’Institut de recherche sur l’hydrogène de l’Université du Québec à Trois-Rivières pour parler de nouvelles approches environnementales. Source: Instagram.

À certaines occasions, M. Francoeur s’est ouvert et a donné un aperçu de sa vie privée, y compris de sa relation avec son partenaire, avec des messages sur les médias sociaux montrant M. Francoeur et celui-ci en train de faire du porte-à-porte dans les quartiers de Trois-Rivières et de parler avec les électeurs. Cela était conforme aux valeurs libérales et aux messages de la campagne. Sa vie personnelle n’a pas été exploitée pour mettre en valeur ses qualités ou ses compétences, mais plutôt pour l’humaniser aux yeux de ses partisans et du grand public, d’une manière qui pourrait potentiellement élargir son soutien.

La campagne de M. Francoeur montre que les principes de personnalisation politique qui ont guidé son travail de terrain ont été informés par les valeurs et la philosophie libérales plus générales. Bien qu’il ait été capable d’infuser des aspects de sa vie personnelle et de son histoire dans sa communication de campagne, il a tout de même suivi le modèle de personnalisation politique qui a guidé la campagne de communication globale du chef et des autres candidats vedettes. Cela lui a permis de faire passer un message qui ne s’opposait pas aux activités de communication et de sensibilisation des autres candidats ni à la campagne nationale du chef du parti.

Anthony Ozorai a contribué à cet article. Il était le directeur de la campagne de médias sociaux et de publicité de Martin Francoeur, le candidat du Parti libéral dans Trois-Rivières en 2021.

Cet article présente une version abrégée d’un chapitre tiré d’un ouvrage qui sera publié en 2022 chez UBC Press. Il fait partie du dossier spécial Au cœur d’une campagne de terrain.

 

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Mireille Lalancette
Mireille Lalancette est professeure en communication politique à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Ses travaux portent sur l'image médiatique des politiciens ainsi que l'usage des médias sociaux par les groupes d'intérêts, les organisations citoyennes et les différents acteurs politiques.
Vincent Raynauld
Vincent Raynauld est professeur agrégé au Département de communication de l’Emerson College à Boston. Il est aussi professeur affilié au Département de lettres et communication sociale de l'Université du Québec à Trois-Rivières.

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