
(English version available here)
Les Canadiens entretiennent une relation complexe avec le Nord. D’une part, ce territoire est un symbole identitaire fort et nous réagissons fortement aux menaces à sa souveraineté. D’autre part, cette vaste région est souvent oubliée et chroniquement sous-financée.
L’autonomisation des institutions et communautés nordiques a pris du temps et demeure inachevée. Les autorités nordiques locales occupent toujours une position de dépendance face au gouvernement fédéral. Le Nunavut est le dernier territoire nordique canadien à avoir signé une entente de transfert des responsabilités, le 18 janvier dernier, et ce transfert ne sera mis en œuvre qu’en 2027.
Tenant compte de ce paradoxe, nous avons sondé 2081 citoyens canadiens pour mieux comprendre leurs perceptions du Nord, qui comprend le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut. Notre objectif était de mesurer leur appui envers l’autonomisation de ce territoire. Ce sondage fut réalisé en collaboration avec la firme SOM, du 30 juillet au 13 août 2024. Il révèle que, de manière générale, les Canadiens soutiennent une plus grande autonomie pour le Nord, mais considèrent l’autodétermination des peuples autochtones en Arctique comme un enjeu secondaire.
Les répondants considèrent le Nord canadien comme un enjeu stratégique. Un grand nombre d’entre eux (42 %) perçoivent les infrastructures dans l’Arctique canadien comme étant d’une importance nationale plutôt que purement régionale (33%) ou locale (16%). Puis, une majorité (63 %) de répondants appuie l’idée que les territoires nordiques devraient se voir déléguer davantage de pouvoirs et de responsabilités. Cet appui est le même dans l’ensemble du spectre politique du pays. Ainsi, on trouve un appui égal auprès d’électeurs libéraux (64 %), conservateurs (64 %) et néo-démocrates (63 %). Étonnamment, les répondants ayant voté Bloc Québécois aux dernières élections générales appuient cette idée dans une plus grande proportion (69 %).
Pour l’autonomie, mais contre l’exploitation des ressources
Toutefois, si la majorité des répondants appuient l’importance d’une plus grande autonomie du Nord canadien, on observe chez ceux-ci une dissension quant aux sources de revenus que cette région peut tirer de l’industrie extractive, pourtant déjà bien implantée dans le Nord. Cette industrie représente déjà une partie importante des revenus générés par les administrations territoriales, en plus d’embaucher de nombreux résidents des territoires nordiques.
Une plus grande proportion de répondants (46 %) avait une opinion négative de l’industrie minière dans le Nord canadien contre 41 % qui en avaient plutôt une opinion positive. Même son de cloche pour la reprise de l’exploration gazière et pétrolifère dans les eaux de l’Arctique canadien. Parmi les répondants appuyant une plus grande autonomie territoriale, 71 % appuient le moratoire sur l’exploration du gaz et du pétrole dans les eaux de l’Arctique canadien.
En d’autres mots, les Canadiens sont d’accord pour déléguer plus de responsabilités aux trois territoires nordiques, mais ils s’opposent aux sources de revenus les plus susceptibles de financer ces nouvelles compétences. Paradoxalement, parmi ces opposants, 68 % estiment que les ressources naturelles au Nord seront en forte demande dans les prochaines années.
La protection de l’environnement d’abord
Notre sondage a révélé que l’autodétermination des peuples autochtones du Nord n’est pas une priorité majeure pour les Canadiens. Pour 58 % des répondants, renforcer l’autonomie des peuples autochtones vivant en Arctique arrivait en troisième ou quatrième position de quatre priorités suggérées. La priorité absolue pour les Canadiens est plutôt la protection de l’environnement, choisie par 32% des répondants, alors que seulement 15% place l’autonomie des peuples autochtones au premier rang.
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Ainsi, les Canadiens perçoivent le Nord canadien comme une région à protéger plutôt qu’une zone où des communautés vivent et s’activent. Ce constat s’observe aussi dans le domaine des contrats publics. Notre sondage montre que les répondants privilégient, dans une plus grande mesure, l’octroi de contrats publics à des entreprises adoptant les pratiques les plus écoresponsables (44 %) plutôt qu’à des entreprises autochtones ayant des activités dans le Nord (35 %).
Un fossé entre le discours politique et l’opinion publique
Il semble donc exister un fossé entre le discours de réconciliation avec les peuples autochtones tenu par la classe politique canadienne et l’opinion publique. Alors que, depuis dix ans, nos gouvernements adoptent des politiques visant la reconnaissance des droits ancestraux et d’autodétermination des peuples autochtones, les Canadiens n’y accordent que très peu d’importance.
Cela confirme le résultat de nos recherches effectuées lors des élections générales fédérales de 2019 et 2021. Nous avions alors étudié la proportion des messages portant sur les enjeux autochtones publiés par les candidats de tous les partis sur les réseaux sociaux. Considérant qu’en campagne électorale, les candidats débattent d’enjeux chers aux citoyens, nous trouvions ces discussions révélatrices des véritables préoccupations et intérêts de l’électorat.
Or nous avons observé que moins de 3 % des messages publiés dans les médias sociaux concernaient des enjeux autochtones et que ces messages avaient surtout été publiés par les chefs des partis lors d’évènements importants comme la journée nationale de la vérité et de la réconciliation. Qui plus est, les enjeux touchant les peuples autochtones ont surtout intéressé les candidats libéraux et néo-démocrates, alors que du côté des Conservateurs, ils ont brillé par leur absence.
Les résultats de notre plus récent sondage montrent bien que, dans l’opinion publique, l’autonomie du Nord ne doit pas nécessairement passer par la reconnaissance du droit à l’autodétermination des peuples autochtones. Et si les Canadiens soutiennent l’autonomie et le développement des territoires nordiques, ils ne sont pas prêts à donner carte blanche à l’exploitation de leurs ressources naturelles au détriment de la protection de l’environnement.