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En 2019, le gouvernement fédéral a adopté une loi révolutionnaire sur la protection de l’enfance autochtone. Bien qu’imparfaite, cette loi a permis de franchir une étape cruciale, soit celle de la reconnaissance du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Dans ce cas, cela incluait la compétence et l’autorité législative sur les services à l’enfance et à la famille.
Cette approche fondée sur la reconnaissance des droits (et qui constitue désormais la base de référence de toute nouvelle législation concernant les peuples autochtones) peut aider le Canada à résoudre un autre problème systémique persistant, celui des services de police des Premières Nations. Étonnamment, le gouvernement fédéral propose une voie législative qui va dans le sens opposé.
Au début de l’année 2024, le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, a partagé un document de discussion portant sur cette législation. À l’origine, les services de police des Premières Nations devaient être traités comme un service essentiel, ce qui supposait de garantir un financement adéquat pour répondre aux besoins des services de police des Premières Nations et des communautés qu’ils desservent.
Cependant, l’ébauche de législation n’inclut rien de tel. Elle s’abstient aussi de faire ce que d’autres lois fédérales touchant les Autochtones ont fait récemment, à savoir reconnaître leur autodétermination.
Le gouvernement doit corriger le tir en déposant un projet de loi qui traite les services de police des Premières Nations comme un service essentiel. La sécurité et le bien-être des personnes et des communautés autochtones en dépendent.
Le programme de police des Premières Nations a été lancé au début des années 1990. Pendant des années, les dirigeants autochtones ont demandé qu’il soit déclaré service essentiel, ce qui mettrait en place un mécanisme législatif de responsabilisation garantissant que le financement et les services répondent aux besoins des Premières Nations. En 2020, le gouvernement Trudeau a finalement promis de le faire.
La législation proposée vise à aller au-delà de l’approche de financement actuelle, qui se traduit par des services sous-financés et inadéquats, bien en deçà de ce que les autres Canadiens considèrent comme acquis. Présentement, le financement est entièrement discrétionnaire, et donc soumis aux caprices des gouvernements en place.
Le financement est aussi réparti entre les gouvernements fédéral (52 %) et provinciaux (48 %), et doit donc être approuvé par les deux niveaux de gouvernement. Cela signifie généralement que le montant total est déterminé par le gouvernement qui met le moins d’argent sur la table.
Le retour de l’approche d’assimilation?
En février dernier, la Cour suprême du Canada a confirmé à l’unanimité la validité de la loi fédérale sur la protection de l’enfance autochtone, après que le Québec ait contesté les dispositions relatives à l’autonomie gouvernementale. Cette décision a mis fin à l’incertitude juridique qui aurait pu refroidir Ottawa d’adopter une approche similaire dans une éventuelle loi sur le maintien de l’ordre.
Les raisons invoquées par la Cour suprême sont instructives. La Cour décrit comment « les législateurs ont appliqué à tort une politique d’assimilation » jusqu’à ce que le gouvernement l’abandonne récemment en faveur de la réconciliation, y compris la « réconciliation par voie législative », qui promeut et protège les droits inhérents.
Avec son ébauche de législation sur la police, le Canada semble revenir à l’approche d’assimilation, en liant les Premières Nations aux lois provinciales sur le maintien de l’ordre.
Cela imposera aux Premières Nations des normes et des modèles de maintien de l’ordre provinciaux souvent inappropriés, et minera leurs efforts pour adopter leurs propres lois et mettre en œuvre des approches fondées sur leurs besoins et leur culture spécifiques.
Une telle approche va également à l’encontre des appels à une réforme plus large lancés par le vérificateur général et des demandes répétées des dirigeants des Premières Nations de poursuivre la réconciliation législative entamée avec la loi sur la protection de l’enfance autochtone.
La réconciliation législative est importante en soi en tant que reconnaissance de droits inhérents préexistants. Mais elle est aussi un moyen de parvenir à une fin.
Des défis et des lois propres aux Premières Nations
Les Premières Nations ont des défis et des opportunités uniques qui nécessitent souvent des solutions législatives qui leur sont propres. Elles savent mieux que quiconque ce dont elles ont besoin. Pour obtenir des services adéquats, culturellement adaptés et basés sur leurs besoins, elles doivent pouvoir choisir le modèle de police qui leur convient le mieux – et non se voir imposer des modèles provinciaux.
Les systèmes juridiques coloniaux ont contribué à la surreprésentation flagrante des peuples autochtones en tant que victimes de la criminalité et en tant que personnes incarcérées. La Commission de vérité et réconciliation, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et la Cour suprême ont qualifié cette situation de « crise ».
La reconnaissance du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale en matière de maintien de l’ordre est l’un des ingrédients nécessaires pour résoudre ce problème.
Avec cette reconnaissance, les Premières Nations pourraient, par exemple, fixer leurs propres normes de maintien de l’ordre, définir des codes de conduite pour leurs agents, promouvoir des approches de justice réparatrice, mettre en œuvre des modèles alternatifs de maintien de l’ordre, nommer leurs propres agents, déterminer leurs qualifications et se débarrasser des exigences provinciales, qui interfèrent avec la sécurité de leurs communautés.
Des changements plus fondamentaux sont également possibles. La législation ne peut pas tout résoudre, mais elle constitue un pas en avant important et peut éliminer des obstacles cruciaux.
La récente décision de la Cour suprême s’appuie également sur l’article 4 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qu’elle cite à trois reprises.
L’article 4 de cette déclaration stipule que « les peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ont le droit d’être autonomes ou de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes ».
Cet article et la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, votée par le Parlement fédéral, soutiennent fermement la reconnaissance du droit inhérent à l’autonomie en matière de maintien de l’ordre, ainsi qu’un financement adéquat pour l’exercice d’un tel droit.
L’autonomie sans financement adéquat est un droit sans substance.
Récemment, la législation sur les droits de l’homme a été utilisée pour demander des comptes au Canada. Par exemple, le Tribunal canadien des droits de la personne a récemment conclu que le gouvernement fédéral avait fait preuve de discrimination à l’égard d’une Première Nation du Québec en sous-finançant son service de police pendant plusieurs années. Toutefois, une loi est nécessaire pour éviter que les Premières Nations aient besoin de recourir aux tribunaux.
Une loi assortie d’une garantie de financement est essentielle pour procurer aux Premières Nations des services de police sûrs, financés et encadrés, et que les autres Canadiens considèrent comme acquis.
La sécurité des communautés autochtones exige à la fois la reconnaissance du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale en matière de maintien de l’ordre et la garantie du financement nécessaire.