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Le discours agressif de Donald Trump à propos du Canada a déclenché une crise aux répercussions économiques et politiques profondes. Comme le souligne le politologue Mark Blyth, ce contexte d’incertitude peut inciter les décideurs à considérer des changements majeurs en matière de politiques publiques qui semblaient impensables auparavant.
Des options comme l’augmentation des dépenses militaires, l’amélioration du commerce interne, la diversification de nos partenariats en matière de commerce international et de défense, et un possible rapprochement entre le Canada et l’Union européenne sont devenues des enjeux beaucoup plus saillants qu’avant l’assermentation de Trump, le 20 janvier 2025.
Simultanément, la normalisation du mensonge public par le président Trump et les membres de son administration illustre et renforce une tendance où les faits scientifiques sont contestés au nom de théories complotistes ou d’une propagande hyper idéologique. Cette tendance empoisonne le débat public. Elle s’inscrit dans une époque marquée par le rejet de l’expertise légitime. L’attaque contre l’expertise ne date pas d’hier, mais elle s’est intensifiée depuis la pandémie de COVID-19. Aujourd’hui, elle se manifeste aussi par les coupes budgétaires imposées par de Donald Trump et par les menaces qui pèsent sur la liberté académique aux États-Unis.
Lutter contre la désinformation pour renforcer notre démocratie
Face à ce défi, les chercheurs universitaires ont un rôle important à jouer. En partageant leurs connaissances et les résultats de leurs recherches, ils peuvent rétablir les faits tout en offrant un éclairage sur les choix à faire pour affronter la crise. Les chercheurs en sciences politiques et sociales peuvent contrer la désinformation et enrichir un débat public trop souvent déformé par les idéologies et la manipulation des faits.
Bien des universitaires hésitent pourtant à participer aux débats publics, que ce soit dans les médias traditionnels, les médias sociaux, la sphère décisionnelle, la société civile et le système d’éducation préuniversitaire ou citoyenne.
Briser la peur du regard des pairs
Comment expliquer cette situation ? Nous avançons trois éléments de réponse, même si aucun ne nous apparait entièrement satisfaisant. Premièrement, il y a le jugement des pairs. La participation au débat public demeure mal vue par celles et ceux qui se moquent de tout effort de simplification ou de vulgarisation. On comprend qu’il soit tentant d’associer toute intervention publique à celle de collègues qui s’expriment sur tous les sujets, en dehors de leur domaine d’expertise. Mais avec l’expérience, convenons que les moqueries sont plutôt rares et qu’il est facile d’y survivre.
Deuxièmement, le manque de préparation pour la communication publique freine les ardeurs des universitaires. La formation à la recherche ne nous prépare pas à rédiger un texte de 700 mots (dix fois moins que dans un article scientifique) sans théorie ou à donner une entrevue de quelques minutes à la télévision. Le rythme des médias et de la prise de décision publique est rapide alors que celui de la recherche s’inscrit dans la durée. C’est pourquoi, depuis quelques années, plusieurs initiatives ont été mises en place pour former les chercheurs à l’intervention publique et, comme à La Conversation ou à Options politiques, faciliter le travail de vulgarisation et de diffusion des connaissances. Entre l’entrevue en direct et la discussion informelle avec un journaliste, il existe plusieurs moyens de communiquer qui peuvent s’adapter aux compétences et aux personnalités des universitaires.
Troisièmement, les chercheurs doivent gérer un horaire chargé et répondre à des critères de promotion qui valorisent davantage la publication scientifique, l’enseignement et la recherche de subventions. Dans ce contexte, ils privilégient naturellement leurs tâches principales au détriment de leur rayonnement dans l’espace public. Si ce choix est facile à comprendre en début de carrière, il devient moins justifié une fois la permanence obtenue, car elle nous protège des aléas de la sécurité d’emploi et nous confère une responsabilité sociale accrue.
Oser s’exprimer malgré le syndrome de l’imposteur
À notre avis, une quatrième raison explique l’hésitation de nos collègues : souvent, les chercheurs s’abstiennent d’intervenir parce qu’ils souffrent du syndrome de l’imposteur dès qu’il s’agit d’enjeux qui leur semblent un peu éloignés de leur sujet de recherche principal. Ils craignent d’être évalués par des personnes plus expérimentées qu’eux. Peut-on parler de l’économie chinoise si on est une spécialiste du Parti communiste chinois ? De la constitution états-unienne si on étudie les théories démocratiques ?
Sans surprise, le syndrome de l’imposteur est particulièrement présent chez les femmes et les membres de groupes minoritaires, plus susceptibles d’être harcelés et contestés dans l’espace public. D’où l’importance de ressources comme Femmes Expertes, un répertoire d’expertes à l’intention des journalistes, qui offre aussi des ateliers de vulgarisation et de préparation aux entrevues. De telles initiatives permettent d’améliorer sa confiance et d’être solidaires de celles et ceux qui partagent leur expertise pour le bien commun.
La vraie question n’est pas : « Suis-je l’expert ultime sur ce sujet ? » Elle est plutôt : « Suis-je la meilleure personne disponible pour éclairer le débat public, ici et maintenant ? »
Remplir son devoir de participer au débat
Nous croyons que, même si les contraintes imposées par les organismes subventionnaires, comme le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), sont bien réels, les professeurs et autres chercheurs qui travaillent dans les universités publiques d’ici ont le devoir moral d’ajouter leur voix aux débats.
Ceci est particulièrement vrai dans le contexte actuel de la relation conflictuelle entre le Canada et les États-Unis. Les menaces du président américain touchent de nombreux domaines : commerce, immigration, fiscalité, tourisme, sécurité, diplomatie. Elles bouleversent aussi la campagne électorale canadienne, fragilisée par une vague de désinformation qui risque d’influencer le processus démocratique.
Le meilleur moyen de se prémunir contre la désinformation est d’offrir une information juste, accessible et rapide. Si ce rôle est en grande partie joué par les journalistes, les experts ont également un devoir d’y contribuer compte tenu de leur position privilégiée et de leur capacité à vérifier, analyser et diffuser les faits. Ils font indéniablement partie de l’écosystème essentiel à la transparence et à la sensibilisation de la population aux enjeux de l’heure.