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Plusieurs ont donné leur avis sur la manière dont le Canada peut sortir gagnant des hostilités déclenchées avec les États-Unis suivant les menaces tarifaires et les tactiques de négociation inhabituelles du président Donald Trump, qui ne sont rien de moins que de l’intimidation. Cette tension a créé un appel urgent à diversifier nos relations commerciales et, ce faisant, à réduire notre profonde dépendance économique à l’égard de notre voisin du sud, de moins en moins fiable.
Les barrières commerciales interprovinciales ont fait l’objet d’une attention renouvelée de la part de politiciens fédéraux et provinciaux comme le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, et le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford. Tous deux ont souligné que la réduction de ces barrières pouvait être une solution aux menaces tarifaires persistantes de la part des États-Unis.
Ces menaces restent vives malgré le sursis de 30 jours que le président Trump a accordé, le 3 février, après deux appels téléphoniques avec le premier ministre Justin Trudeau.
Les analystes et les commentateurs ont souligné que les barrières commerciales interprovinciales sont une sanction que le Canada s’est, en somme, auto infligée, nuisant ainsi à sa quête d’une meilleure productivité et d’une compétitivité accrue. Un rapport du FMI publié en 2019 estime que ces barrières ajoutent jusqu’à 14 % au prix des biens et des services et diminuent le PIB par habitant des Canadiens d’environ 4 %.
Les avantages économiques de la suppression des barrières commerciales interprovinciales sont indéniables. Les sondages suggèrent également que les Canadiens sont largement favorables aux politiques de réduction de ces barrières commerciales. Cette question figure depuis longtemps à l’ordre du jour du gouvernement fédéral, depuis l’Accord sur le commerce intérieur (ACI), en 1995, jusqu’à l’Accord de libre-échange canadien (ALEC), en 2017, tous deux visant à réduire les obstacles au commerce intérieur. Alors pourquoi n’a-t-on pas avancé sur ce front ?
Réduire les obstacles au commerce intérieur n’est pas si simple
Si la réduction des barrières commerciales semble simple et logique d’un point de vue économique, elle est beaucoup plus difficile à réaliser d’un point de vue politique. Le Canada, l’un des pays les plus décentralisés au monde, est tenu de respecter l’autonomie décisionnelle des provinces selon les principes constitutionnels et politiques en vigueur. Cette structure rend donc difficile la mise en place d’une réglementation normalisée sur le front du commerce intérieur.
Cette décentralisation contribue à maintenir l’unité nationale et présente l’avantage de permettre aux provinces d’adapter les politiques à leurs besoins. Les provinces peuvent ainsi expérimenter de manière à devenir des « laboratoires de politiques ».
Cependant, le principe d’autonomie provinciale peut entraîner des conséquences économiques négatives. En effet, de nombreuses barrières économiques sont le fruit des pressions de groupes d’intérêts qui plaident en faveur de leur maintien.
D’autres facteurs spécifiques aux provinces, tels que la langue, peuvent également contribuer à l’existence de normes réglementaires différentes. Par exemple, les lois québécoises sur l’étiquetage en français, tout en imposant des coûts aux entreprises cherchant à percer le marché, reflètent une volonté de protéger la langue française, selon des sondages récents. Au Québec, cette question est étroitement liée à la défense vigoureuse de l’autonomie provinciale, ce qui a poussé certains chroniqueurs à s’opposer à la réforme du commerce intérieur. Cependant, il nous paraît évident que, si certaines entraves au commerce intérieur résultent de demandes légitimes de la population, d’autres ne reposent que sur la volonté de préserver des intérêts particuliers.
Par exemple, la vente d’alcool, considérée dans le cadre des mesures de représailles contre les États-Unis, sont soumises à plusieurs barrières réglementaires au Canada. Les taux de taxation sur les boissons alcoolisées, différents pour chaque province, créent une étape supplémentaire coûteuse pour les ventes interprovinciales. En outre, des provinces comme l’Ontario interdisent aux consommateurs de commander directement dans une autre province canadienne. D’autres secteurs, comme l’industrie laitière, sont fortement réglementés, avec des quotas stricts fixés pour chaque province par la Commission canadienne du lait. Ces barrières, qui créent des externalités économiques, reflètent les efforts déployés depuis des décennies par les puissants lobbys des secteurs de l’alcool et des produits laitiers.
La route est semée d’embuches pour les partenaires commerciaux des États-Unis
Dans l’ensemble, si l’idée de réduire les barrières commerciales internes peut être attrayante pour la plupart des Canadiens, les moyens nécessaires pour y parvenir sont probablement moins populaires. Les technicalités derrière les barrières commerciales interprovinciales sont souvent très complexes. Elles ont été peu mises de l’avant sur le plan politique ces dernières années et sont donc peu connues de la majorité des Canadiens. Il est donc difficile pour les politiciens de faire campagne sur ce sujet et de mobiliser les gens sur cet enjeu.
La récente popularité du sujet dans les médias et les milieux politiques pourrait cependant changer la donne. Autant les politiciens conservateurs que libéraux, y compris les candidats à la direction du Parti libéral, ont proposé la réduction des barrières comme moyen d’atténuer l’impact des droits de douane américains. On peut espérer que cela rehaussera l’importance de cette question auprès de la population, déjà largement en faveur d’un libre-échange accru au sein du Canada. En retour, une telle mobilisation rendrait plus difficile pour les provinces de privilégier certains secteurs au détriment des intérêts économiques nationaux plus larges.
Un défi qui en vaut la peine
Le conflit commercial actuel avec les États-Unis est rapidement devenu une question de fierté et de souveraineté nationales et cette réaction peut également servir d’outil pour engager le public à s’attaquer aux barrières commerciales interprovinciales. En définissant cet enjeu comme une question d’unité et d’opportunités économiques, les dirigeants politiques peuvent canaliser l’intérêt public vers un soutien constructif visant à améliorer le commerce intérieur au sein du Canada.
Puisque ces barrières commerciales intérieures ont été érigées sur la base de l’autonomie provinciale, particulièrement forte au Canada, le gouvernement fédéral ne peut pas simplement les démanteler. Une négociation intergouvernementale longue et potentiellement difficile sera probablement nécessaire pour améliorer le commerce intérieur au Canada.
Jean Philippe Fournier, ancien conseiller du ministre des Finances du Québec, a récemment souligné sur les médias sociaux que « les provinces devront réduire leur autonomie dans certains domaines ».
« Sommes-nous prêts à avoir cette discussion ? » a-t-il demandé. « Les provinces se mettront-elles d’accord quand elles seront au pied du mur et que les lobbyistes leur souffleront dans le cou ? Historiquement, la réponse a été un non retentissant et catégorique. »
Mais l’histoire ne se répète pas toujours. Les tensions commerciales actuelles avec les États-Unis sont une menace existentielle qui devrait mobiliser la population et motiver les responsables à tous les paliers du gouvernement à travailler ensemble pour améliorer le commerce intérieur et réduire – ne serait-ce qu’un peu – notre dépendance économique excessive à l’égard de notre voisin du sud, de moins en moins fiable.
Les auteurs remercient Trevor Tombe pour ses commentaires et suggestions.