En contexte de compétition nationale au sein d’une fédération comme celle du Canada, les enjeux LGBTQ+ sont souvent utilisés dans les discours sociaux et politiques comme objet de démarcation entre une nation minoritaire et une nation majoritaire. C’est le cas au Québec, où la nation québécoise s’est longtemps définie par son progressisme à l’égard des communautés LGBTQ+ par rapport à la nation canadienne, alors dépeinte comme plus conservatrice.

Dans le cadre de cette série d’Options politiques sur l’unité nationale, et à l’occasion du 30e anniversaire sur le référendum québécois de 1995, il m’apparaît pertinent de revenir sur le rôle historique qu’a joué le mouvement LGBTQ+ pour le nationalisme québécois et d’explorer la manière dont ces liens semblent désormais se complexifier, voire s’effriter.

Le référendum de 1995 sur la souveraineté québécoise a été un moment majeur pour le mouvement souverainiste au Québec et pour la fédération canadienne plus largement. Or, bien avant que les Québécois aient été invités à se prononcer démocratiquement sur l’avenir du Québec dans la fédération, de nombreux points de rupture avaient fragilisé les liens entre le Canada et le Québec.

Bien qu’on en parle très peu lorsqu’il est question de souveraineté au Québec, ils ont affecté les communautés LGBTQ+ et teinté la proximité idéologique du mouvement social avec le mouvement souverainiste au Québec.

Trudeau, l’État et les chambres à coucher

La gouvernance de Trudeau père au Canada est marquée par deux évènements marquants et contradictoires pour les communautés LGBTQ+ du Québec : la décriminalisation de l’homosexualité d’une part, et les mesures draconiennes prises lors de la Crise d’Octobre d’autre part.

En 1969, le gouvernement de Trudeau père décriminalise les actes homoérotiques entre hommes et soutient que « l’État n’a rien à faire dans les chambres à coucher ». Ce geste s’ancre dans une loi omnibus dans laquelle on retrouve également une législation sur les deux langues officielles. Ces deux lois, sans apparente relation, s’imbriquent dans la volonté de Trudeau de faire du Canada un état centralisateur où la gestion de la diversité et la modernité suscitent un sentiment d’appartenance d’un océan à l’autre.

Par ailleurs, cette volonté se heurte à un mouvement nationaliste fort au Québec, qui rejette cette vision centralisatrice de la fédération et rêve plutôt d’un Québec maître de ses institutions, indépendant et souverain, capable de protéger sa langue française à l’intérieur de ses propres frontières.

À l’époque, plusieurs véhicules politiques au Québec se portent garant de cette vision. Le Front de libération du Québec (FLQ), qui commettra deux gestes sans précédent avec le meurtre du ministre Pierre Laporte et l’enlèvement du diplomate James Cross est l’un de ceux-là.

La suite a fait l’histoire. Trudeau père déclenchera la Loi sur les mesures de guerre qui donne à l’armée et la police le pouvoir d’effectuer des arrestations arbitraires. Fait peu relayé : ce pouvoir extraordinaire sera utilisé non seulement contre les sympathisants à la cause du FLQ, mais à l’encontre de la diversité sexuelle et de la pluralité des genres au Québec.

Difficile, dès lors, d’exclure de la militance gaie et lesbienne (au moins dans les milieux francophones) le dualisme qui oppose la nation québécoise à la nation canadienne alors que cette répression (violente) du Canada à leur endroit s’inscrit précisément dans ce dualisme.

Une proximité idéologique et de militance

Ainsi, le Québec a vu naître, en 1971, le Front de Libération Homosexuel (FLH). La ressemblance de nom entre le FLQ et le FLH n’est pas le fruit du hasard. Pierre Vallière, l’un des membres fondateurs du FLH, deviendra un militant pour la cause gai au début des années 1980.

La proximité entre les deux groupes illustre la volonté pour le mouvement gai et lesbien de l’époque de s’associer avec le nationalisme québécois. D’ailleurs, lors de sa toute première élection (29 avril 1970), le Parti Québécois fera élire deux candidats gais sur un total de sept : Claude Charron et Guy Jodoin. Une composition qui représentera plus du tiers du caucus pour ce parti qui vient juste de naitre.

Incidemment, le Parti québécois, qui sera longtemps perçu comme le véhicule politique du nationalisme québécois, est résolument progressiste en comparaison avec les autres partis sur l’échiquier politique. C’est d’ailleurs ce même parti qui, en 1975, fera adopter une Charte des droits et libertés québécoise dans laquelle on retrouvera l’interdiction de discriminer sur la base de l’orientation sexuelle, une première au Canada.

Ainsi, ce retour sur la décennie 1970 permet de comprendre comment émerge la proximité idéologique et de militance entre le mouvement LGBTQ+ au Québec et le nationalisme québécois. Une proximité qui se traduit par des gestes politiques en faveur des communautés gaies et lesbiennes de l’époque.

Cette proximité se traduira également par des affinités avec le Bloc Québécois, qui défendra souvent les communautés LGBTQ+ du Québec au Parlement (notamment par la voix de Réal Ménard, député de Hochelaga (la circonscription fédérale qui abrite le Village entre 1993 et 2009).

L’émergence d’un discours réactionnaire

Ce lien entre nationalisme québécois et diversité sexuelle a longtemps caractérisé le Québec comme une nation plus progressiste que le « reste du Canada ». Or, cette époque semble révolue.

Le règne du gouvernement libéral de Justin Trudeau de 2015 à 2025 a amélioré de manière considérable la relation que le mouvement LGBTQ+ entretient avec la scène politique fédérale. En interdisant les discriminations fondées sur l’identité et l’expression de genre, ainsi que les thérapies de conversion, en nommant un conseiller spécial au premier ministre sur les enjeux LGBTQ+ et en mettant sur pied un secrétariat dédié à ces identités, l’ancien premier ministre a donné le ton à un Canada plus progressiste.  

Ce changement majeur aura contribué à redéfinir la relation entre le mouvement LGBTQ+ québécois et la sphère fédérale.

Pendant ce temps, le Québec stagne en matière d’inclusion des communautés LGBTQ+. L’émergence d’un discours politique réactionnaire envers leurs droits, et en particulier ceux des personnes s’identifiant comme trans, semble s’enraciner dans le paysage politique.

S’il est impossible de conclure à une tendance lourde, faute de données, on peut tout de même observer des changements dans la relation entre le mouvement nationaliste et le mouvement LGBTQ+ au Québec. L’élan nouveau du Parti québécois de s’inscrire dans la lignée des guerres culturelles américaines, notamment sur les questions LGBTQ+, semble rompre avec son héritage plus progressiste. Une nouvelle ère politique prend forme, alors que de nouvelles alliances se forgent : d’un côté le « wokisme » et de l’autre, une droite sociale de plus en plus décomplexée. 

À l’occasion du 30e anniversaire du référendum sur la souveraineté du Québec, il est bon de se rappeler que l’unité nationale ne réside pas uniquement sous l’angle du dualisme Québec/Canada en matière de partage de compétence. Il réside également dans une concurrence entre nations majoritaire et minoritaire où l’identité occupe une place centrale.

Le progrès comme mesure de réussite nationale

Or, rappelons-nous qu’une nation, qu’elle soit fédérée ou non, n’est enviable que si elle se fonde sur des valeurs démocratiques fortes (que l’on souhaite d’ailleurs inébranlables) : l’État de droit et le respect des droits de la personne, la participation politique, la transparence et l’imputabilité, pour ne nommer que celles-ci.

L’effritement de ces valeurs illustre bien que l’unité nationale ne peut être envisagée en excluant une partie de sa population et en utilisant une démocratie à géométrie variable. C’est le dessein même de cette nation qui est alors mis en péril.

J’espère que les partis politiques qui se présenteront aux prochaines élections au Québec auront encore envie de se mesurer sur la base du progressisme de la nation, et non sur le rejet de ce qu’il a longtemps défini dans l’opinion publique. Le progrès demeure une mesure prioritaire pour se définir collectivement. Il reflète notre capacité collective à accepter les « nouveaux » phénomènes sociaux et à avancer en les considérants réellement.

Le Québec s’est longtemps réfléchi comme une société distincte sur la base de son progressisme et de sa modernité. Il est bon de s’en souvenir, à l’aube du 30e anniversaire du référendum québécois.

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Valérie Lapointe

Valérie Lapointe est la directrice associée du Centre d’excellence sur la fédération canadienne à l’Institut de recherche en politiques publiques. Elle détient un doctorat en politique canadienne de l’Université d’Ottawa et a fait ses études postdoctorales en politique comparée à l’Université d’Édimbourg, en Écosse.

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