L’an 2 010 s’annonçait comme une année faste. Les Jeux olympiques de Vancouver en février et la tenue des sommets du G8 et du G20 en juin à Toronto et à Muskoka allaient donner au Canada une visibilité internationale sans précédent. L’élection au Conseil de sécurité des Nations unies à l’automne viendrait couronner le tout. L’année finirait en beauté, comme elle avait commencé. Cependant, la réalité n’a pas toujours été à la hauteur de ces attentes.
Les Jeux olympiques ont certes été une belle réussite. Les athlètes canadiens nous ont offert des performances exceptionnelles, et les organisateurs ont su relever tous les défis, notamment ceux d’une météo peu coopérative. On regrettera que les cérémonies d’ouverture et de clôture n’aient pas mieux reflété notre diversité mais aussi notre modernité et nos capacités créatrices. L’image projetée a été celle d’un pays de nature et de traditions, les incontournables « moose, mountains and mounties », de quoi conforter les observateurs étrangers dans leur attitude toujours sympathique mais souvent un peu condescendante à l’égard du Canada. Mais les retombées positives des Jeux olympiques ont été réelles sur le plan intérieur, un moment de fierté partagé par tous les Canadiens.
Des sommets du G8 et du G20, on peut aussi tirer un bilan très positif malgré les affrontements déplorables entre manifestants et forces de l’ordre. Cette violence, de part et d’autre, fait désormais partie du rituel de tous les sommets et est devenue aussi prévisible que le contenu du communiqué final. Pendant plusieurs jours, le Canada a accueilli tous les grands dirigeants politiques et économiques de la planète, ce qui a grandement rehaussé sa visibilité internationale. Il s’est trouvé sous les feux de la rampe, et ce au moment même où le pays se distinguait comme étant celui qui avait le mieux traversé la crise financière. Une publicité qu’on n’aurait pas pu se payer !
Quand on y regarde de près, le véritable bilan des deux sommets reste bien modeste, mais cela tient à la nature même du G8 et du G20. Les engagements concrets, chiffrés, avec un réel calendrier de mise en application sont toujours très rares, et les exhortations à une plus grande vertu politique, économique ou financière restent souvent lettre morte. La présidence canadienne n’a rien à se reprocher. Elle a su faire la promotion d’une réduction de moitié des déficits budgétaires d’ici 2013 et de la diminution de l’endettement public à partir de 2016. Le premier ministre peut aussi être fier d’avoir été suivi dans son initiative en faveur de la santé des mères et des nouveaux-nés ; il doit également être plutôt satisfait d’avoir bloqué, avec le concours des pays émergents, un projet de taxe bancaire défendu par les Européens et les Américains. Il faut sans doute voir là une volonté de ne pas pénaliser les banques canadiennes qui, contrairement à d’autres, ont eu un comportement plutôt exemplaire avant et pendant la crise. Cela dit, on peut peut-être aussi y voir l’amorce d’un repositionnement du Canada : un peu moins près de ses alliés traditionnels, un peu plus près des pays émergents.
L’échec du Canada dans sa campagne pour obtenir un siège non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies restera le point noir de l’année 2010. Comme toujours, les raisons de ce revers sont multiples, mais il serait difficile de prétendre qu’il ne découle pas d’abord d’une politique étrangère qui a été souvent indifférente, parfois même hostile, aux Nations unies, fait sans précédent dans l’histoire canadienne. En effet, l’engagement en faveur du multilatéralisme a toujours été un des fondements de notre politique étrangère et ce, sous tous les régimes et à toutes les époques. L’argument a toujours été le même : lorsqu’on n’a pas les moyens d’imposer sa loi, il faut essayer de construire un système de règles internationales qui s’appliquera à tous.
Des sommets du G8 et du G20, on peut aussi tirer un bilan très positif malgré les affrontements déplorables entre manifestants et forces de l’ordre. Cette violence, de part et d’autre, fait désormais partie du rituel de tous les sommets et est devenue aussi prévisible que le contenu du communiqué final.
Cet échec est aussi le résultat d’une politique étrangère qui nous a aliéné trop de pays : les petites îles, du Pacifique et d’ailleurs, qui sont menacées par le réchauffement climatique et qui n’ont guère d’autres moyens de sanctionner les pays qu’ils jugent indifférents à leur sort que de leur refuser leur voix lors des élections au Conseil de sécurité; les pays musulmans qui reprochent au Canada autant la sympathie qu’il exprime pour Israël que celle qu’il a cessé d’exprimer pour les Palestiniens ; les pays africains, enfin, qui s’estiment lésés par les nouvelles priorités de l’aide canadienne. Le Canada a-t-il été battu parce qu’il est attaché aux grands principes démocratiques et que les tyrans et les despotes ont droit de vote aux Nations unies, comme certains l’ont avancé? Ceux dont c’est l’intime conviction auraient, logiquement, dû s’opposer à ce que le Canada y pose sa candidature. Utiliser cet argument a posteriori, c’est faire injure à tous ceux qui ont été élus. C’est aussi renoncer à exercer une influence quelle qu’elle soit au sein de cette institution.
Malgré l’importance des Jeux olympiques, des sommets du G8 et du G20 et de la défaite du Canada au Conseil de sécurité, l’activité diplomatique canadienne en 2010 ne s’est pas résumée à ces trois événements. Si l’on veut en faire un véritable bilan, il faut aussi dresser l’inventaire complet de tout ce qui a plutôt bien fonctionné et de ce qui, au contraire, peut apparaître comme un recul, un revers ou une erreur d’appréciation. Au chapitre des opérations plutôt réussies, il faut mentionner en premier lieu l’aide d’urgence à Haïti. Le volume, la nature et le déploiement de cette aide ont été à la hauteur de ce que l’on peut attendre d’un pays comme le Canada, engagé depuis longtemps en Haïti et sensible aux préoccupations de la diaspora haïtienne. Seule ombre au tableau, les retards enregistrés dans la mise en œuvre du programme élargi de réunification des familles.
Quant au dossier afghan, la perspective d’un retrait imminent des troupes canadiennes a sans doute permis une gestion plus apaisée. La décision toute récente de maintenir une présence militaire au-delà de l’été 2011, dans un rôle de formation de l’armée afghane, est une décision légitime qui devra cependant être défendue.
En politique commerciale, Ottawa a poursuivi la négociation d’accords de libre-échange notamment avec des pays d’Amérique latine, voulant en faire une nouvelle priorité de sa politique étrangère. Des progrès très importants, et parfois même surprenants, ont aussi été accomplis dans la négociation d’un accord global avec l’Union européenne; le projet est particulièrement ambitieux et le processus complexe en raison de l’implication active et permanente des gouvernements provinciaux.
Dans ses relations avec la Chine et l’Inde, Ottawa a réussi à rattraper une partie de son retard et de ses erreurs. Il sera important de poursuivre une diplomatie bilatérale active en direction de ces deux pays, tout comme du Brésil, en évitant de se limiter aux seules rencontres prévues et programmées dans le cadre du G20. Aucune crise majeure n’est venue compliquer les relations avec les États-Unis. Au contraire, après le succès du plan concerté de sauvetage de l’industrie automobile, le gouvernement a aussi réussi à mitiger les effets négatifs du Buy American Act. Il devra maintenant s’employer à courtiser les nouveaux venus au Sénat et à la Chambre des représentants. La défense des intérêts du Canada passe toujours par la fréquentation assidue des législateurs américains.
Le gouvernement fédéral a aussi su garder l’Arctique sur son écran radar. On pourrait cependant lui reprocher d’avoir une approche trop exclusivement axée sur la protection de la souveraineté. Le potentiel de coopération avec les autres États riverains est encore sous-exploité. La poursuite de projets communs serait pourtant le meilleur moyen de créer un contexte favorable à la solution des problèmes de souveraineté.
La gestion des relations avec l’Afrique a été nettement moins réussie. Le Canada, tout en maintenant son niveau d’aide aux pays africains et en atteignant les objectifs globaux qu’il s’était fixés, a quand même donné à ces pays l’impression qu’il leur tournait le dos, et ce au moment même où la Chine, beaucoup moins bien implantée en Afrique que le Canada, découvre le continent et y investit massivement.
Plus problématique encore a été la gestion des relations avec les pays du Moyen-Orient. Il est difficile de comprendre pourquoi Ottawa considère qu’un soutien indéfectible à Israël lui interdit de formuler la moindre critique à l’égard de l’État hébreu. Tous les autres pays amis d’Israël, à commencer par les États-Unis, ne s’en privent pas et le font en espérant contribuer ainsi à établir une paix durable dans la région. Il est tout aussi difficile de comprendre pourquoi il se montre toujours réticent à manifester la moindre sympathie pour le sort des Palestiniens, ceux de Gaza ou d’ailleurs. Cette apparente incapacité à faire la part des choses nous disqualifie comme interlocuteur au Moyen-Orient.
Enfin, le dossier le plus troublant de 2010 est incontestablement celui d’Omar Khadr. Ce jeune ressortissant canadien a été littéralement abandonné à un système de justice dénoncé par nos propres tribunaux et par tous les pays alliés du Canada, y compris par le président des États-Unis, désireux depuis son élection de fermer ce lieu de non-droit qu’est Guantánamo. L’acharnement du gouvernement canadien à prétendre que ce dossier ne le concerne pas a, là encore, quelque chose d’incompréhensible.
Par-delà les enjeux spécifiques évoqués jusqu’ici, il existe dans la politique étrangère canadienne actuelle des tendances qui sont autant de sujets de préoccupation. Il y a d’abord une propension à traiter avec une certaine désinvolture les obligations internationales que le Canada a contractées. Ce fut le cas du Protocole de Kyoto. Le gouvernement actuel a raison d’affirmer que ceux qui l’ont signé et ratifié savaient pertinemment que le Canada ne serait pas en mesure d’honorer ses engagements, mais la mauvaise foi des uns n’excuse pas l’inertie des autres. Et que dire de la Convention contre la torture qui interdit de transférer des prisonniers s’il y a un risque qu’ils soient torturés, ou du protocole relatif aux enfants-soldats qui aurait dû inspirer le gouvernement dans sa gestion du dossier Omar Khadr? Qu’un pays comme le Canada prenne des libertés par rapport aux engagements qui sont les siens ne peut qu’encourager d’autres, moins scrupuleux, à en faire autant. Le risque est de voir à terme se « détricoter » un système de valeurs et de principes que le Canada a pourtant largement contribué à édifier.
Il y a aussi une tendance à nous marginaliser nous-mêmes dans certaines enceintes. Nous avons déjà évoqué le cas des Nations unies. Il existe hélas d’autres exemples. Le Canada a toujours été un joueur important dans le domaine de la politique commerciale internationale, mais aujourd’hui, dans un forum comme l’Organisation mondiale du commerce, il est perçu comme faisant partie du problème plutôt que de la solution, et il est souvent exclu des groupes restreints de négociation. Dans les négociations sur l’environnement où le Canada a toujours joué un rôle de premier plan, il est désormais sur le banc des remplaçants. Il serait préférable de militer activement pour une alternative à Kyoto, plutôt que de se replier sur soi et d’attendre, avant de définir notre politique, que les Américains aient décidé de la leur.
Autre tendance, celle qui consiste à juger que ce qui a cours au Canada n’est pas nécessairement souhaitable à l’étranger et, à l’inverse, que ce que l’on fait à l’étranger n’a pas nécessairement de pertinence ici. Exemple : l’accès à la contraception ou à l’avortement, des services dispensés au Canada mais absents du projet international sur la santé des mères. Ou alors : la peine de mort abolie au Canada mais que, ailleurs, on laisse s’appliquer à des ressortissants canadiens, sans mot dire. Et encore : les enfants-soldats qu’on réhabilite ailleurs mais qu’on ne rapatrie même pas ici quand il s’agit d’un des nôtres. Tout cela donne, au mieux, l’impression qu’il existe deux standards. Au pire, cela ressemble à un moyen, à bien peu de frais, de donner des gages à un électorat ultraconservateur.
À déplorer aussi l’opacité entourant des dossiers comme celui des prisonniers afghans, ou celui des contributions canadiennes à l’Organisation des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, ou encore celui des négociations avec les autorités américaines en vue du transfert au Canada d’Omar Khadr. À regretter enfin une tendance à vouloir imposer aux organisations de la société civile qui souhaitent obtenir un financement public non seulement des critères de compétence, d’efficacité et d’intégrité mais aussi de convergence avec la politique gouvernementale. Ce faisant, on porte atteinte à ce qui fait la spécificité même des organisations non gouvernementales, et on limite leur capacité à jouer le rôle qui est le leur.
Aujourd’hui, le Canada projette l’image d’un joueur plutôt réticent sur la scène internationale. Les initiatives sont rares et, en dehors des sommets, les visites de haut niveau relativement peu nombreuses. Ottawa donne parfois l’impression d’être un participant forcé et contraint aux réunions des organisations internationales dont le Canada est membre. Notre marginalisation croissante semble, par ailleurs, n’inspirer aucune stratégie de combat pour reconquérir notre place dans le monde.
Et si tout cela était voulu? Et si le gouvernement avait fait le choix d’une forme d’isolationnisme? Plusieurs aspects de sa politique étrangère deviennent tout à coup moins incompréhensibles. Lorsque, en effet, on ne veut pas peser dans les affaires du monde et si, de plus, on est convaincu de ne pas avoir les moyens d’exercer une influence réelle, alors on peut très bien faire les choix qui ont été faits. Aux Canadiens de dire si ces choix sont les leurs.