Bien qu’il n’existe pas de statistiques à ce sujet, la gestation pour autrui (GPA) représenterait moins de 1 % des naissances au Canada. Cette pratique a pourtant fait couler beaucoup d’encre. Elle permet de fragmenter la maternité : une femme fournit l’ovule, une autre porte l’enfant et une autre encore l’élève. La GPA remet en question les fondements mêmes de la maternité. Maintenant, il peut y avoir grossesse sans relation sexuelle et grossesse sans maternité. En vertu de la Loi sur la procréation assistée, adoptée en 2004, seule la pratique à titre gratuit, que certains qualifient d’« altruiste », est autorisée au Canada. On vise ainsi à éviter l’exploitation des femmes et des enfants. Au Québec, une mère porteuse peut décider de garder l’enfant, puisqu’elle est considérée comme la mère sur le plan juridique (la femme qui accouche est la mère, selon l’article 111 du Code civil du Québec), qu’elle ait fourni ou non le matériel génétique (l’ovule).

La GPA soulève de nombreuses questions juridiques, notamment en ce qui a trait au consentement libre et éclairé de la mère porteuse, à la validité du contrat entre cette dernière et les parents d’intention, à l’établissement des liens de filiation de l’enfant né de cette technique, au droit de l’enfant de connaître ses origines s’il est issu d’un don de gamètes ou encore au « droit à l’enfant ». L’aspect gratuit ou rémunéré du geste de la mère porteuse pose aussi de nombreux défis. La gratuité rend-elle cette pratique plus acceptable ? Assure-t-elle l’absence de pressions indues ? Selon la rumeur, les mères porteuses recevraient plus qu’un simple remboursement de leurs dépenses. La rareté du produit – ici, la disponibilité d’un jeune utérus – en augmente le coût. Les mères porteuses potentielles auraient l’embarras du choix des parents intentionnels. Aucun organisme n’est chargé de surveiller l’application de la loi, Procréation assistée Canada ayant été aboli en 2014.

L’article 12 de la Loi sur la procréation assistée permet le remboursement de certaines dépenses engagées par la mère porteuse. Aucune forme de rémunération ne peut lui être versée. Attendu avec impatience (ou incrédulité) depuis 2004, un projet de règlement portant sur le remboursement des dépenses admissibles pour les mères porteuses et les donneurs de gamètes a été proposé par le ministère de la Santé en octobre 2018. Des consultations publiques ont été menées, mais ce règlement semble ne satisfaire personne. Il ravive le débat sur l’exploitation possible des mères porteuses.

Selon ce projet de règlement, le remboursement des dépenses admissibles ne constitue pas une obligation : les frais « peuvent faire l’objet d’un remboursement » (je souligne). Je suppose que le législateur souhaite ainsi mettre en évidence le caractère gratuit du geste. Cependant, on pourrait présenter l’argument contraire : afin de respecter le principe de gratuité, le remboursement des dépenses de la mère porteuse devrait être obligatoire, sinon, il y aura exploitation de celle-ci. On visait peut-être le cas de mères porteuses intrafamiliales – une femme qui porte un enfant destiné à sa sœur, par exemple. On peut penser que rares seront les mères porteuses qui assumeront les dépenses liées à leur grossesse.

Le projet de règlement dresse une liste limitative de 10 catégories de dépenses admissibles en reprenant les exemples de dépenses déjà proposés par Santé Canada. Il s’agit d’un remboursement, et non d’une indemnisation ou d’une rémunération. Les termes employés sont importants. Sont donc remboursées les dépenses purement matérielles et dont la preuve est facile à faire au moyen de reçus (qui sont exigés) : les frais de déplacement, de repas, de stationnement et d’hébergement pendant les déplacements, les frais pour les soins de personnes à charge, les médicaments, les consultations psychologiques, juridiques et médicales, les frais pour les services d’une sage-femme ou d’une doula, les frais liés à l’accouchement. Le règlement va même jusqu’à déterminer le montant par kilomètre qui peut être versé à la mère porteuse (déterminé par l’Agence du revenu du Canada) et à préciser les renseignements à fournir au sujet du déplacement en automobile. On s’interroge sur la pertinence d’un tel détail. Par contre, il ne prévoit pas de montant maximal pour aucune autre catégorie de frais.

Seuls les frais remboursables relatifs à une assurance maladie, une assurance vie ou une assurance invalidité semblent se distinguer des autres dépenses à caractère matériel, puisque l’assurance comporte une indemnité (préjudice physique et psychologique) et non un remboursement. Une liste détaillée et limitative des dépenses admissibles présente l’avantage d’être claire et d’éviter tout flou au chapitre de ce qui est raisonnable en matière de dépenses. Cependant, rien n’est prévu pour les circonstances exceptionnelles.

Le seul remboursement des dépenses matérielles (qui se calcule facilement avec un reçu) ne me semble pas suffisant pour compenser adéquatement une mère porteuse. En s’y limitant, on néglige d’autres aspects plus difficiles à évaluer, comme le risque couru par la mère qui accouche, son temps investi dans l’aventure, les conséquences futures découlant de l’accouchement, les souffrances… En ignorant ces aspects, n’y a-t-il pas justement exploitation de la mère porteuse, ce que le législateur voulait éviter en interdisant la GPA rémunérée ?

En se limitant au seul remboursement des dépenses matérielles de la mère porteuse, on néglige d’autres aspects plus difficiles à évaluer, comme le risque couru par la mère qui accouche, son temps investi dans l’aventure, les conséquences futures découlant de l’accouchement, les souffrances…

Une mère porteuse peut également se faire rembourser tout salaire perdu pendant la grossesse, si elle obtient d’un médecin qualifié la confirmation écrite que la poursuite du travail présenterait un risque pour sa santé et sa sécurité ou pour celles de l’embryon ou du fœtus (l’article 12 de la loi fédérale le prévoyait déjà.) Donc, toute perte de revenu après l’accouchement ne serait pas remboursée.

La perte de revenu occasionnée par les rendez-vous chez le médecin n’est pas couverte, alors qu’il s’agit d’une perte directe. Bien sûr, le remboursement des dépenses n’est pas une forme de rémunération, mais il y a néanmoins une perte salariale pour la mère porteuse. La ligne est fine entre remboursement, compensation et rémunération. S’agit-il d’un autre cas de travail féminin non reconnu ? Dans la procédure de fécondation in vitro, seules la donneuse d’ovules et la mère porteuse ne sont pas payées. Toutes les autres personnes qui interviennent dans le processus le sont.

Le règlement reflète une peur de trop rembourser (ou de surcompenser) la mère porteuse. Évidemment, tout dépend du sens donné au mot « remboursement » par rapport à une compensation ou à une rémunération. Les dépenses admissibles ne doivent pas servir à déguiser une rémunération, mais doivent toutefois couvrir tous les frais engagés. Lorsque des personnes participent à des projets de recherche, l’article 25 du Code civil du Québec prévoit qu’elles peuvent être indemnisées « en compensation des pertes et des contraintes subies ». Une mère porteuse recevrait-elle un remboursement plus restreint qu’une personne qui participe à un projet de recherche ?

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Sur un plan plus technique, le remboursement peut être fait à « l’intéressée » (la mère porteuse) par toute « personne », soit la mère ou le couple d’intention, ou encore la clinique de fertilité ou la banque de gamètes qui agissent comme intermédiaires. L’argent peut être versé sur présentation de reçus. Le payeur doit tenir un dossier faisant état des montants des remboursements et contenant des pièces justificatives. Afin d’éviter toute lourdeur administrative, aucun organisme étatique n’est prévu pour gérer ces remboursements. Le ministre pourra exiger qu’on examine les documents conservés par la personne qui a fait les remboursements.

Ce projet de règlement ravive le débat sur le caractère éthique de la GPA, mais aussi d’autres phénomènes en lien avec les techniques de procréation.

Dans ce domaine, la plupart des experts et des observateurs s’entendent sur un point : les risques d’exploitation des capacités reproductives des femmes sont réels, comme le montre le commerce international dans la GPA – ou tourisme procréatif. Des couples ou des personnes choisissent d’aller à l’étranger pour obtenir à moindres coûts ce qui leur est difficilement accessible au Canada. Les experts ne s’entendent toutefois pas sur la façon d’éviter l’exploitation des femmes.

Dans le domaine de la GPA, la plupart des experts et des observateurs s’entendent sur un point : les risques d’exploitation des capacités reproductives des femmes sont réels, comme le montre le tourisme procréatif.

Certains auraient voulu que le gouvernement fédéral révise en profondeur sa loi sur la procréation assistée et interdise le recours aux mères porteuses, au nom de la non-commercialisation du corps humain. Évidemment, criminaliser cette pratique ne règle pas le sort des enfants nés de cette technique, qui ne peuvent être pénalisés en raison de la décision de leurs parents. D’autres souhaitaient que la GPA soit permise, mais à titre commercial, pour reconnaître la valeur du travail des femmes, attirer plus de mères porteuses, permettre à des personnes et des couples infertiles de fonder une famille et éviter, entre autres, le tourisme procréatif. À leur avis, les mères porteuses, loin d’être exploitées, sont capables d’exercer leur pouvoir décisionnel. D’autres encore militaient pour que le règlement soit plus englobant et pour que les mères porteuses reçoivent une compensation adéquate, sans pour autant être rémunérées. Mais les mères porteuses se verront-elles offrir ce que d’autres femmes enceintes ne peuvent se payer ?

Le projet de règlement ne semble convenir à aucune des parties, et il n’est pas certain qu’il soit adopté avant les élections fédérales d’octobre prochain. Le milieu de la procréation médicalement assistée fonctionne sans ce règlement depuis 2004, avec la confusion qui en résulte. Le statu quo ne peut être toléré. Avec ou sans règlement, que l’on soit pour ou contre, la gestation pour autrui s’inscrit comme une pratique reconnue par les législateurs et les tribunaux, et acceptée socialement, qui doit être encadrée par des lois strictes. L’histoire nous a démontré à plusieurs reprises que les capacités procréatives des femmes ont été contrôlées par des tiers pour des fins qui n’étaient pas les leurs. L’aide médicale à la procréation, dont la gestation pour autrui n’est qu’un exemple, permet-elle aux femmes de prendre le contrôle de leurs corps ou plutôt s’agit-il d’aliénation ?

Cet article fait partie du dossier Lacunes de notre politique de procréation assistée.

Photo : Shutterstock / Olena Yakobchuk


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Louise Langevin
Louise Langevin est professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université Laval et membre du Barreau du Québec. Elle travaille dans le domaine des théories féministes et du droit à l’autonomie procréative des femmes.

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