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Et si la politique américaine n’était plus une affaire de vision, mais de jeu ? Donald Trump ne gouverne pas comme un dirigeant traditionnel. C’est un politicien qui prend des risques et gouverne en multipliant les paris. Son style de gouvernance s’apparente à celui d’un joueur de poker.
Stratège opportuniste, il avance ses idées comme on pose des jetons sur une table de jeu. Contrairement à un dirigeant guidé par une vision claire, Trump mise, teste, provoque, observe les réactions et décide ensuite s’il relance ou se retire. Ses décisions ne sont pas fondées sur la science ou des convictions, mais sur du bluff.
Ce style ne s’impose pas dans le vide. Il prospère dans les démocraties où les citoyens sont peu informés et faiblement engagés. Cela crée un terrain propice aux acteurs politiques capables d’en tirer parti. Les risques sont limités et les gains potentiellement considérables. Donald Trump exploite cette situation mieux que quiconque.
Un terreau fertile pour le populisme
Plusieurs dynamiques structurelles rendent les démocraties occidentales perméables aux stratégies populistes.
D’abord, l’ignorance rationnelle, bien documentée par le politologue et économiste Anthony Downs dans son livre An Economic Theory of Democracy, publié en 1957. Ce concept, aussi connu comme la « loi du moindre effort », explique pourquoi les citoyens sont peu informés.
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S’éduquer sur des enjeux complexes demande du temps et des efforts ; des ressources que beaucoup choisissent rationnellement de ne pas investir. Voilà qui explique qu’une grande partie des électeurs américains ont une compréhension très simplifiée des enjeux politiques, les rendant particulièrement réceptifs aux slogans de leur président : Make America Great Again (MAGA), America First, Fake News, etc.
La théorie du passager clandestin
Ensuite, la théorie du passager clandestin peut expliquer la difficulté de se mobiliser collectivement. Décrite par l’économiste Mancur Olson dans son ouvrage The Logic of Collective Action : public goods and the theory of groups publié en 1967, elle postule qu’en l’absence de bénéfices personnels tangibles, de nombreux individus choisissent l’inaction, convaincus que leur engagement n’aura que peu d’effet. Ils adoptent la posture du « passager clandestin » comptant sur l’action des autres pour faire le travail à leur place.
Ce désengagement citoyen crée un vide que Trump exploite pleinement. Il peut alors gouverner, prendre des décisions controversées, voire improviser, sans craindre une opposition populaire significative.
L’immensité du territoire américain et la méfiance envers les institutions ajoutent à cette démobilisation. Enfin, devant la surabondance d’information en continu, fragmentant l’attention des citoyens, l’électeur réagit souvent sous le coup de l’émotion plutôt qu’après une réflexion approfondie.
Des institutions de plus en plus inefficaces
Ces failles des démocraties modernes seraient moins inquiétantes si les institutions américaines jouaient pleinement leur rôle de contrepoids. Pourtant, là où la séparation des pouvoirs entre le Congrès, la Présidence et la Cour suprême est inscrite dans la Constitution, il devient de plus en plus difficile de freiner les agissements du président en place.
Trump n’hésite pas à critiquer le pouvoir judiciaire ni à s’en prendre aux juges qui lui résistent. Il contourne sans scrupule le Congrès et agit souvent plus vite que les institutions ne peuvent réagir. En sapant la légitimité de la justice et en défiant les mécanismes de contrôle, il parvient à imposer sa vision, y compris dans ses aspects les plus controversés et radicaux.
Dans un contexte où les institutions peinent à lui opposer une véritable résistance, Trump exploite pleinement la liberté d’action dont il dispose. Il mise sur la provocation et l’effet de surprise. Chacune de ses déclarations fonctionne comme un ballon d’essai destiné à jauger les réactions de ses opposants et à semer le trouble dans leur rang.
Le bluff comme arme politique
Au cœur de sa stratégie, il y a le bluff. Trump s’efforce avant tout de projeter une image de force. En donnant l’illusion qu’il détient une main imbattable, il cherche à intimider ses opposants pour les pousser à se coucher, c’est-à-dire à reculer ou à lui céder du terrain sans confrontation. Et face à ceux qui songeraient à le relancer, il brandit la menace de surenchérir aussitôt, histoire de maintenir la pression et conserver l’initiative.
La méthode Trump se traduit par des menaces de guerres commerciales, notamment par l’instauration de droits de douane. Ces mesures visent à mettre de la pression sur ses partenaires économiques, et ce, dans le but de les pousser à faire des concessions ou à conclure des accords commerciaux qui sont d’abord avantageux pour les États-Unis. La stratégie a l’air de fonctionner, car après avoir annoncé des droits de douane plus élevés dans plus de 150 pays, plusieurs d’entre eux auraient apparemment cherché à négocier.
Trump : le produit d’un système fragilisé
Chez Trump, les mises sont sans limite. Ses propositions d’annexer le Canada et le Groenland paraissent si absurdes qu’elles ont d’abord été prises pour des plaisanteries. Cependant, elles s’inscrivent toujours dans la même mécanique bien rodée : rappeler qu’il est le plus fort, annoncer l’extrême, observer les réactions. On verra pour la suite !
En définitive, Trump a compris qu’en semant la confusion, il oblige ses partenaires à jouer selon ses propres règles. Sa capacité à changer d’avis sans avertissements rend d’ailleurs toute riposte difficile de la part de ses anciens alliés… qu’il considère aujourd’hui comme des ennemis.
Trump n’est pas une anomalie : il est le produit d’un système fragilisé. Tant que les démocraties ne corrigeront pas leurs propres angles morts, elles continueront d’être vulnérables aux bluffeurs en série. À nous de changer les règles – pendant qu’il est encore temps.
Reprendre le contrôle du jeu démocratique
Nos institutions doivent être repensées pour empêcher toute dérive autoritaire. Trump incarne les dangers de la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul individu. Lorsqu’un président affaiblit les institutions censées le surveiller, c’est la démocratie qui vacille. Et quand il brouille la ligne entre politique et justice, c’est l’État de droit qui s’effondre.
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Il faut aussi protéger les contre-pouvoirs civils et médiatiques. La désinformation, souvent propagée par Trump lui-même, érode la confiance dans les médias, les institutions et les élections. Il est impératif d’investir dans l’éducation civique et de défendre un journalisme indépendant pour sauvegarder l’essence même de la démocratie.
Trump a peut-être remporté deux élections, mais ses échecs dans l’industrie des casinos rappellent qu’il n’est pas infaillible. Faire faillite avec un casino, là où « la maison gagne toujours », soulève des doutes sur ses compétences. En politique comme au poker, ceux qui misent gros peuvent tout perdre.