(English version available here)

Inscrivez-vous à Un Canada plus fort à l’ère Trump pour recevoir nos toutes dernières analyses politiques sur les prochaines orientations du Canada.

Le Canada, 51e état américain? Ce qui pouvait sembler une plaisanterie au départ, ne fait plus rire personne. Comme le rapportait récemment le New York Times, le président américain a bel et bien contesté le traité frontalier entre les deux pays lors d’un appel avec Justin Trudeau, en février.

Le mouvement Make America Great Again se révèle une version belliqueuse et surréaliste de l’impérialisme américain, reprenant l’idée de la « Destinée manifeste ». Ce concept, évoqué par Trump dans son discours inaugural, repose sur la conviction que les États-Unis ont le droit, voire le destin, d’étendre leur territoire à l’ensemble de l’Amérique du Nord.

L’imposition de tarifs et les exigences de Trump en matière de contrôle des frontières, sous prétexte de lutter contre le trafic de fentanyl et l’immigration clandestine, nous semblent bien anodines maintenant qu’il s’avère que son plan serait d’annexer le Canada!

Les 18 à 35 ans plus réceptifs à l’idée

Si la majorité des Canadiens adultes se disent résolus à résister à toute tentative d’annexion, des failles apparaissent dans ce mur de résistance. Les jeunes de 18 à 35 ans se montrent plus enclins à envisager cette perspective, sous certaines conditions favorables. Plus on est jeune, plus on semble réceptif à Trump et à ses appels à l’annexion.

Une cause souvent ignorée de cette tendance est l’incapacité de notre système d’éducation à enseigner aux nouvelles générations la résistance historique du Canada face aux menaces, incursions et sanctions commerciales des États-Unis, qui remontent à la Révolution américaine.

Face à la menace inédite que représente Trump pour notre souveraineté et à une guerre commerciale potentiellement dévastatrice, une refonte des programmes scolaires s’impose. Il est temps de transmettre l’histoire aux jeunes Canadiens afin de renforcer leur sentiment d’identité nationale.

La génération postnationale

Soixante-cinq pour cent des 18-35 ans interrogés lors d’un sondage Ipsos en janvier 2025 estiment que l’avenir du Canada en tant que pays indépendant est menacé. De plus, 31 % pensent que la fusion avec les États-Unis n’est qu’une « question de temps » et 43 % voteraient en faveur de l’union si elle leur garantissait la citoyenneté américaine et la conversion de leurs avoirs financiers en dollars US.

Les critiques du gouvernement Trudeau considèrent cette tendance comme une conséquence involontaire de sa vision « postnationale ». En 2015, il déclarait que le Canada pouvait devenir le « premier État postnational », affirmant qu’il n’existait pas d’identité principale ni de courant dominant dans le pays.

Cette conception a influencé les politiques fédérales, affaiblissant les mythes nationaux, les symboles et les institutions, au profit d’une promotion accrue de la diversité et de l’inclusion. Le mouvement qualifié aujourd’hui de « woke » a trouvé des partisans dans les universités et les ministères de l’Éducation, où l’affirmation d’une identité nationale est parfois assimilée à un « colonialisme de peuplement ».

Une perte de mémoire collective

Colin MacEachern, ancien professeur d’histoire à Halifax, aujourd’hui enseignant en Australie, s’inquiète de voir les élèves et leurs enseignants sensibles aux discours de Trump. Il déplore que ses étudiants ne comprennent probablement pas le concept de « Destinée manifeste » ni les menaces historiques des États-Unis contre le Canada.

Cette ignorance s’étend à des événements clés, comme l’invasion américaine du Québec en 1775, la guerre de 1812 ou les pressions des États-Unis pour faire entrer le Canada en guerre contre l’Irak en 2003. Vers la fin de sa carrière, MacEachern affirmait être l’un des rares enseignants à Halifax à encore enseigner la résistance historique du Canada aux ingérences américaines.

Cette perte de mémoire collective ne date pas d’hier. Bob Davis, dans Whatever Happened to High School History: Burying the Political Memory of Youth Ontario:1945-1995, soulignait déjà en 1995 la diminution de l’enseignement de l’histoire en Ontario.

Davis écrit que l’inscription aux cours d’histoire en Ontario est passée de 11,4 % de l’ensemble des classes en 1964 à seulement 6,6 % en 1982. De plus, l’histoire et les sciences sociales ont été frappées par ce qu’il a judicieusement appelé la « skills mania » ou l’obsession de l’apprentissage par compétences.

Le résultat a été de priver les étudiants d’occasions de se connecter à la grande histoire nationale et de développer une conscience historique ainsi qu’une mémoire collective plus solide.

L’ancienne enseignante d’histoire à Toronto, Trilby Kent, auteure de The Vanishing Past, a dressé un portrait plus récent de la situation. Ce qui manque cruellement aujourd’hui, selon Kent, c’est un programme éducatif axé sur l’acquisition de connaissances, qui formerait de jeunes citoyens mieux informés et capables de participer intelligemment aux débats publics.

Des lacunes dans les programmes actuels

En 2009, un rapport de l’Institut du Dominion révélait que seules quatre provinces – Ontario, Québec, Manitoba and Nouvelle-Écosse – rendaient l’enseignement de l’histoire canadienne obligatoire. Ailleurs, on offre seulement des cours de sciences sociales.

Nous laissons tomber nos élèves lorsqu’il s’agit de les éduquer sur l’histoire du Canada, écrivent les coauteurs de ce rapport, Mark Chalifoux et J.D.M. Stewart en 2009 dans The Globe and Mail. Cela reste vrai aujourd’hui.

Les programmes varient. L’Ontario tente de développer des processus d’« apprentissage par enquête » et propose aux élèves de 7e et 8e année une continuité historique canadienne cohérente de 1712 à 1850, et aux élèves de 10e année, de 1914 à aujourd’hui.

Bien que ces cours offrent un aperçu thématique et chronologique, des lacunes subsistent dans la continuité, car le programme fait des allers-retours pour aborder des enjeux sociaux contemporains. Le seul cours obligatoire d’histoire canadienne dans les écoles secondaires ontariennes est également assorti d’objectifs généraux et larges, laissant place à diverses interprétations.

Des cours d’histoire… sans Histoire

Stewart constate de nombreuses preuves que les élèves du secondaire ont du mal à établir des liens entre les contenus appris dans les années précédentes, ce qui les amène à obtenir leur diplôme sans une connaissance solide des événements fondateurs, des institutions essentielles et des défis historiques liés au partage du continent avec les États-Unis.

Le cours d’histoire du Canada en Nouvelle-Écosse, introduit en 2002 comme matière obligatoire pour tous les élèves de 11e année, a été progressivement abandonné à la suite d’une série de changements bien intentionnés, mais fragmentés, visant à répondre aux besoins des élèves noirs et autochtones.

Aujourd’hui, en 11e année, les élèves néo-écossais peuvent choisir parmi plusieurs cours : histoire canadienne (académique ou appliquée), études canadiennes contemporaines, études afro-néo-écossaises, études mi’kmaq ou études gaéliques.

Dans toutes ces variantes, notre histoire nationale, ses origines et ses fondements sont relégués au second plan en raison d’une approche axée sur les identités multiples et les sciences sociales. Il est donc tout à fait possible de passer à côté de l’apprentissage de l’évolution du Canada vers la Confédération et de son histoire de résistance aux invasions américaines, aux tentatives d’annexion et aux pressions économiques continentales.

Une approche axée sur la justice sociale

Les élèves de la Colombie-Britannique sont encore moins bien préparés, car ils ne bénéficient ni d’une base solide en histoire ni d’une compréhension approfondie des racines de la crise nationale actuelle. La refonte récente du programme d’études sociales en C.-B. met fortement l’accent sur les « grandes idées », le « processus d’apprentissage » et une « compréhension approfondie des concepts », plutôt que sur la maîtrise des sujets.

L’histoire y est réduite à la mémorisation de faits et d’informations isolés. Les cours d’histoire en 9e et 10e année adoptent une approche axée sur la justice sociale, mettant l’accent sur les pratiques discriminatoires et les injustices, au détriment d’aspects plus positifs.

En C.-B., les élèves de 11e et 12e année doivent suivre un seul cours en sciences sociales, choisi parmi un large éventail d’options qui privilégient fortement les enjeux mondiaux contemporains, les études autochtones, les études sur les génocides et la justice sociale.

Des jeunes mal préparés pour l’avenir

Aucune de ces options ne fournit les connaissances historiques nécessaires pour préparer les élèves aux défis actuels liés à l’identité nationale, à la souveraineté ou à l’indépendance économique du Canada.

Les jeunes ayant grandi dans une ère « postnationale » sont mal armés pour affronter les défis actuels. Les ministères de l’Éducation et les institutions scolaires tardent à réagir à ce bouleversement.

Déboulonner des statues, critiquer d’anciens premiers ministres pour leur allégeances et minimiser l’importance des traditions ont contribué à éroder notre identité collective. Sans une base historique solide, la jeune génération risque d’avancer à tâtons vers l’avenir, inconsciente des menaces qui pèsent sur notre souveraineté.

Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux discussions d’Options politiques et soumettez-nous votre texte , ou votre lettre à la rédaction! 
Paul W. Bennett
Paul W. Bennett, Ed.D., est chercheur principal à l'Institut Macdonald-Laurier, directeur du Schoolhouse Institute et président de researchED Canada. Largement connu pour avoir produit trois manuels d'histoire canadiens reconnus au niveau national dans les années 1980, il est membre du conseil d'administration de l'Association canadienne pour l'histoire de l'éducation et l'auteur de Saving History in Canada's Schools

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License