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Je me souviens très bien de l’appel téléphonique du matin du 25 janvier 2020. Un premier patient ontarien était soupçonné d’avoir contracté la COVID-19. Nous nous y préparions depuis quelques semaines et avions fait de la COVID-19 une maladie à déclaration obligatoire au début du mois. J’étais bien informée sur notre préparation générale aux situations d’urgence : l’équipe avait de l’expérience dans la gestion de la saison annuelle de la grippe et des événements majeurs, tels que les jeux panaméricains et parapanaméricains. Cependant, aucun niveau de préparation ne laissait anticiper ce qui nous attendait.

Nous n’avions pas compris l’ampleur et la durée de la pandémie qui s’annonçait et la façon dont elle mettrait à l’épreuve les capacités de la population et des institutions gouvernementales. Ce qui a commencé par une réponse de la santé publique au début 2020 s’est rapidement transformé en une réponse de tout l’appareil gouvernemental et même de la société au grand complet, en seulement quelques semaines. Aujourd’hui, avec le recul, nous pouvons tirer de la pandémie d’importantes leçons qui peuvent inspirer une nouvelle façon d’envisager les soins de santé en Ontario.

Dans les deux jours qui ont suivi le premier cas signalé en Ontario, le ministère provincial de la Santé a activé son plan d’intervention en cas d’urgence, qui prévoyait le renforcement du centre d’opérations d’urgence et la mise en place d’une table de commandement, soit une structure décisionnelle sont le rôle était de superviser l’intervention sanitaire et de conseiller le ministre de la Santé, le cabinet et le premier ministre.

En Ontario, nos premiers efforts ont porté sur le rapatriement des Canadiens à l’étranger. Mais la situation a rapidement évolué et, en l’espace de quelques semaines, des confinements sont entrés en vigueur à l’échelle de la province. Les informations étaient imparfaites et évoluaient constamment, et les intervenants concernés (tout comme le public) avaient des avis aussi partagés que tranchés sur ce qu’il convenait de faire. Il fallait mettre de l’ordre dans tout ça, et le cycle de prise de décision est passé de quelques semaines à quelques heures. À l’époque, le cabinet se réunissait tous les jours.

En parallèle, des points de presse quotidiens sur l’évolution de la situation et les mesures prises par le gouvernement ont été organisés à l’intention des médias, et des sessions de breffage pour le caucus et les intervenants concernés. L’Ontario a appliqué pour la première fois la Loi sur la protection civile et la gestion des situations d’urgence de 1990, et le médecin hygiéniste en chef a publié une série de directives rarement utilisées auparavant pour aider à contenir le virus.

Le test de résistance de la gouvernance canadienne

Les fonctionnaires et le personnel politique ont travaillé sans relâche pour répondre aux besoins de rapports et d’analyses en temps réel, pour soutenir les efforts de communication et pour superviser et mettre en œuvre les mesures de réponse à la crise. Les effectifs du ministère de la Santé et ceux d’autres ministères clés impliqués ont été augmentés. Les professionnels de l’informatique et des données au sein du gouvernement et de ses agences ont intensifié leur travail pour améliorer les capacités de tous. Les travaux de modernisation de la chaîne d’approvisionnement, entamés avant la pandémie, ont été recentrés et accélérés pour faire face aux pénuries d’équipements de protection individuelle (EPI) et d’autres fournitures.

Avec la propagation tragique de la COVID-19 dans les centres de soins de longue durée et d’autres milieux de vie, d’autres ministères sont intervenus et une table de coordination centrale présidée par le secrétaire du cabinet et le chef de cabinet du premier ministre a été mise en place pour superviser toutes les composantes de l’intervention. Cela a ajouté à la fois de la capacité et de la complexité à la réponse, et aidé à éclairer les zones d’ombre entre les différents paliers de gouvernement, entre les ministères, entre le gouvernement et ses agences, et entre les acteurs provinciaux et locaux.

La fréquence des réunions fédérales, provinciales et territoriales des ministres et sous-ministres de la santé est passée d’un rythme trimestriel à plusieurs fois par semaine. En Ontario, le Conseil du trésor a augmenté le pouvoir de dépenser du ministère de la Santé et s’est rendu disponible 24 heures sur 24 pour accélérer l’achat d’EPI de plus en plus rares, et pour mettre rapidement en place de nouveaux programmes et de nouvelles aides.

En tant que haute fonctionnaire de longue date, j’avais déjà vu la fonction publique rehausser son jeu dans le passé, mais je n’avais jamais été confronté à la complexité et à la rapidité de la prise de décision face à une menace évoluant sans cesse. Tous les outils possibles du gouvernement ont été mis à contribution : analyse des données et des politiques, dépenses, communications, autorités légales et réglementaires, et approvisonnement.

En avril 2020, le gouvernement a demandé à la Dalla Lana School of Public Health de mettre en place une table scientifique spéciale pour aider à « voir plus loin » (mes mots), en faisant appel aux meilleurs esprits de l’Ontario. La nature publique des conseils issus de cette table a créé une dynamique entre le processus décisionnel du gouvernement et les instances scientifiques, et plus tard entre les organes consultatifs scientifiques tels que le Comité consultatif national de l’immunisation et la Table scientifique de l’Ontario sur des questions publiques telles que l’intervalle entre les doses pour le déploiement initial des vaccins. L’accent mis sur les aspects d’équité face aux infections à COVID-19 et sur le déploiement du vaccin ont été extrêmement efficaces, et continuent de façonner le rétablissement et la planification du système de santé.

Les décideurs publics ont dû naviguer entre diverses sources leur donnant des avis parfois divergents, y compris celles des parties concernées et du public. Les conseils en matière de santé étaient souvent en contradiction avec les conseils économiques et, surtout, avec le point de vue des entreprises. Pendant les discussions sur des sujets comme les fermetures d’écoles, des divergences sont aussi apparues au sein des experts en santé sur l’équilibre entre la prévention des infections et les problèmes de santé mentale. Les décideurs ont dû gérer la tension entre les objectifs sanitaires et économiques, ainsi que les objectifs sanitaires concurrents.

Bien que cela ne soit pas nécessairement nouveau, la dynamique était différente. Il y avait moins de temps pour une réflexion approfondie, de sorte que des erreurs ont été commises et il a fallu faire marche arrière après certaines décisions. Les attentes et le penchant pour l’action étaient forts; les plans devaient être élaborés à partir d’informations très imparfaites, puis modifiés rapidement en fonction des nouvelles données.

Face à cette pandémie sans précédent, les institutions gouvernementales ont largement fonctionné comme elles sont censées le faire. Cela ne signifie pas que toutes les décisions ont été bonnes, mais selon moi, le pouvoir exécutif – le cabinet – est resté fermement aux commandes et a pris toutes les grandes décisions, comme il se doit. J’ajouterais qu’étant donné la rapidité de la prise de décision, il a été difficile de se faire une idée complète des effets des grandes décisions, y compris les fermetures d’écoles, les confinements et les listes d’entreprises essentielles.

L’homme porte une mince couverture vaporeuse jaune pâle qui se noue autour de ses déchets dans le dos et couvre son front et ses bras. Il utilise un flacon pulvérisateur blanc pour désinfecter un bidon bleu pâle sur roulettes de la taille d’un bagage à main. Il porte une casquette noire, un masque blanc, un pantalon sombre et des chaussures noires, et tient un morceau de plastique dans l’autre main. Il se trouve devant des portes coulissantes peintes en vert. Les vitres sont recouvertes de panneaux d’avertissement.
Un employé de Medigas ramasse un concentrateur d’oxygène usagé à la maison de retraite Seven Oaks à Scarborough, en Ontario, le 1er avril 2020, où, à ce stade de la pandémie, plusieurs résidents étaient décédés et des dizaines d’autres avaient été infectés. L’employé a pulvérisé et emballé l’appareil avant de le placer dans sa camionnette (Melissa Tait / The Globe and Mail).

Une grande partie de la modélisation présentait de larges intervalles de confiance. L’analyse prédictive et la modélisation doivent être améliorées. Bien qu’essentielle, la science était un ingrédient, mais pas le seul, utilisé pour guider la prise de décisions. La fonction publique a été reconfigurée pour optimiser ses capacités. La collaboration entre les différents niveaux de gouvernement et entre les différentes juridictions a été sans précédent. De l’aide était reçue et donnée d’une juridiction à l’autre.

Mais il ne faut pas oublier les leçons tirées de la pandémie, qui doivent inspirer pleinement une nouvelle approche de la santé. Le nombre de décès dans les centres de soins de longue durée de l’Ontario a été tragique, a fourni une preuve supplémentaire des mauvaises conditions de vie dans de nombreux établissements. Les recommandations de la Commission d’enquête sur la COVID-19 dans les foyers de soins de longue durée ont abordé les questions liées au personnel, à la collaboration intersectorielle, à la prévention et au contrôle des infections, au leadership et à la responsabilité, ainsi qu’aux inspections. Ces recommandations doivent être mises en œuvre.

Les déterminants sociaux de la santé ont entraîné des résultats différenciés qui ont été mesurés et rendus visibles pendant la pandémie à une vitesse permettant d’influencer la prise de décision en temps réel. Pour la première fois, l’Ontario a recueilli des données fondées sur la race.

La Table scientifique de l’Ontario a été en mesure de produire des notes d’information claires montrant les schémas d’infection et l’utilisation du vaccin par quartier. En avril 2021, elle a déterminé que les habitants des quartiers à haut risque d’infection étaient les moins susceptibles de se faire vacciner. Ce constat nous rappelle brutalement qu’il reste encore beaucoup à faire pour optimiser la santé de tous. La réponse sur le terrain devait clairement changer pour atteindre les résidents et les travailleurs essentiels dans les points chauds.

Les stratégies utilisées pour impliquer ces communautés comprenaient des ambassadeurs communautaires, des équipes mobiles et des cliniques itinérantes, ainsi que des cliniques d’employeurs, qui se sont révélées prometteuses pour traiter d’autres problèmes de santé et réduire des inégalités de longue date.

Au sein du gouvernement, le décloisonnement et le travail interministériel ont eu des effets extraordinaires. Il y a des leçons à en tirer, non seulement pour la santé, mais aussi pour d’autres questions politiques complexes et de grande portée, telles que le changement climatique et l’accessibilité au logement.

Cet article fait partie de la série Vers des institutions publiques plus résilientes : apprendre de la pandémie de COVID-19.

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Helen Angus
Helen Angus est PDG de AMS Healthcare. Elle a été sous-ministre de la santé de l’Ontario de 2018 à 2021. Elle a également été coprésidente du Conseil des sous-ministres de la santé pendant cette période. Elle a occupé des postes de direction à Action Cancer Ontario et est membre émérite de la Munk School of Global Affairs and Public Policy.

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