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Pendant la pandémie de COVID-19, la surveillance des eaux usées a revêtu une importance scientifique et politique cruciale, tout en fournissant au public des données claires et facilement interprétables sur cette menace à laquelle nous étions tous confrontés.  

 La décision de réduire considérablement ce programme en Ontario, un modèle au pays, soulève d’importantes questions sur l’avenir de la surveillance en santé publique. 

Complet, rapide et peu coûteux 

Pourquoi les eaux usées étaient-elles si importantes pour la surveillance des maladies infectieuses? Les progrès réalisés dans la détection des agents pathogènes en font un tiercé rare du point de vue de la santé publique : exhaustivité, rapidité et faible coût. 

Tout d’abord, les maladies suffisamment graves pour être portées à l’attention des médecins par l’intermédiaire des patients ne représentent presque toujours que la pointe de l’iceberg : la surveillance basée sur des tests effectués sur des individus, bien que très utile, est en effet limitée et très biaisée. En revanche, la surveillance des eaux usées permet de savoir ce qui se passe dans tous les segments de la population, et souvent avec une précision suffisante pour fournir des conseils sur mesure aux communautés vulnérables ou pour les environnements à haut risque (comme les centres de soins de longue durée).  

Deuxièmement, en présence d’une maladie émergence, cette surveillance fournit des informations suffisamment tôt dans une vague pour permettre aux autorités gouvernementales et au public de réagir de façon appropriée. Par exemple, les eaux usées ont détecté la variole du singe dès qu’une seule personne par million était infectée. Cela a permis de profiter d’un délai de plusieurs semaines avant que le risque pour la population générale ne devienne significatif. Les individus ont ainsi pu prendre des précautions (comme mettre leurs vaccins à jour), et les systèmes de santé ont pu se préparer à une hausse attendue des cas de maladie grave.   

Troisièmement, la surveillance des eaux usées est incroyablement rentable. Bien que les estimations soient un peu vagues – ce qui est un enjeu de transparence, en plus des préoccupations pour la santé publique – une évaluation récente a chiffré le budget de fonctionnement à moins de 15 millions $ pour l’Ontario. C’est l’équivalent de 1 $ par personne, par année, ce qui est plus abordable que la plupart des formes de surveillance. 

L’analyse des eaux usées fait appel à une technologie remarquablement souple dans ses applications potentielles, non seulement pour la COVID-19, mais aussi pour de nombreux autres virus, dont le VRS, la variole du singe, ainsi que les grippes aviaire et humaine. Elle est également utile pour suivre et réagir à la crise des opioïdes et pour évaluer l’exposition de la population aux toxines et aux hormones, en plus d’être prometteuse pour surveiller la pandémie de plus en plus dangereuse de résistance aux antimicrobiens.  

Nous ne savons pas de quoi aura l’air une future «maladie X», mais la surveillance des eaux usées constituera très certainement un élément essentiel d’un système d’alerte précoce et souple, destiné à protéger les Canadiens. 

L’affaiblissement d’un outil essentiel  

En 2023, plus de 100 sites d’analyse des eaux usées fonctionnaient en Ontario, couvrant ainsi 75 % de la population. L’Agence de la santé publique du Canada a repris ce programme la semaine dernière, en ne conservant que quatre sites autour de la ville de Toronto, ce qui couvre 20 % de la population de la province. Quatre autres sites doivent être opérationnels d’ici l’hiver.  

Cette importante perte de capacité de surveillance a d’importantes implications en matière d’équité, puisqu’elle entrave la capacité de détection de la propagation de la maladie chez les Canadiens vivant en milieu rural, dans les petites communautés et dans le nord de la province, toutes des régions où l’accès aux soins hospitaliers est déjà limité.  

La vague de COVID-19 qui circule cet été met aussi en relief d’autres problèmes d’équité qui se posent lorsque les capacités de surveillance diminuent. En l’absence de mesures de santé publique, la prise de décision concernant la protection contre la COVID a été principalement transférée à l’individu, des stratégies comme le port du masque ou la vaccination restant les seules options. 

Les données informent les décisions pour les individus aussi 

Comment les individus peuvent-ils prendre des décisions sans les informations nécessaires pour évaluer les risques auxquels ils font face? L’évolution de cette vague estivale est un parfait exemple des défis qui se posent, comme le montre le résultat des analyses finales des eaux usées affichées la semaine dernière et qui laissent planer le suspense sur la suite des choses. 

Par exemple, les vaccins mis à jour ne seront disponibles qu’à la fin de l’automne, puisque les entreprises se concentrent sur la production d’une version qui cible le variant KP.2. Or, de nombreuses personnes à haut risque ont reçu leur dernière dose de vaccin il y a plus de six mois et devront attendre encore trois mois avec une protection décroissante, pendant que la propagation du virus risque de s’accroître autour d’elles.  

Ces personnes devraient-elles se faire vacciner maintenant avec la version du vaccin de l’an dernier, ou attendre une version à jour qui correspond mieux aux variants qui courent présentement? De tels questionnements devraient pouvoir amener les patients et ceux qui les soignent à prendre des décisions guidées crucialement par les données face au risque. Le problème est que les informations découlant de la surveillance, qui guideraient cette évaluation, ne sont plus disponibles pour beaucoup de gens.  

En ce mois d’août étouffant, la COVID-19 est, à juste titre et heureusement, bien loin des pensées de la plupart des Canadiens. Mais réduire considérablement un programme qui a démontré sa valeur fondamentale, et renforcé l’équité et notre capacité à soigner les personnes les plus vulnérables, ne rencontre pas les attentes minimales envers les pratiques de santé publique.   

L’absence de ces informations rend les décisions en matière de soins plus difficiles pour les plus vulnérables d’entre nous et pour ceux qui vivent dans les régions déjà mal desservies de notre pays. En plus, elle fait en sorte que nous serons tous moins bien préparés à faire face aux futures épidémies et pandémies. 

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Fahad Razak
Fahad Razak est interniste à lhôpital St. Michaels et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur lamélioration des soins fondée sur les données à lUniversité de Toronto. 
Doug Manuel
Doug Manuel est scientifique principal à lHôpital dOttawa et professeur émérite à lUniversité dOttawa. 
Allison McGeer
Allison McGeer est une épidémiologiste spécialiste des maladies infectieuses et professeure à lUniversité de Toronto. 

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