
(English version available here)
Les ménages canadiens à faible revenu seront sans doute les plus touchés par la flambée des prix causée par la guerre commerciale entre le Canada et les États-Unis, à commencer par les Américains eux-mêmes. Ils pourraient également subir un autre choc financier si la Remise canadienne sur le carbone (RCC) pour les particuliers était supprimée, une possibilité bien réelle lorsque le prochain gouvernement prendra le pouvoir.
Ottawa devrait combler les lacunes en matière de soutien au revenu alors qu’il envisage un programme d’aide pour compenser l’impact des tarifs douaniers généraux susceptibles d’entrer en vigueur en mars. Les tarifs douaniers sur l‘acier et l’aluminium doivent entrer en vigueur le 12 mars, et le président américain Donald Trump vient de dévoiler son plan de tarifs réciproques.
Le coût de la vie est sur le point d’augmenter. Aujourd’hui, plus que jamais, une allocation pour l’épicerie et les besoins de base devrait être mise en place pour aider les ménages à faible revenu à faire face aux difficultés à venir.
Nous avons plaidé en faveur de cette prestation, une extension du crédit pour la TPS/TVH, qui cible les adultes à faible revenu en âge de travailler ainsi que leurs enfants, comme moyen de réduire la pauvreté et l’insécurité alimentaire.
Réduire l’inflation ne suffira pas à rendre la vie plus abordable
What’s the true cost of food when you’re poor? (en anglais)
A grocer’s code of conduct isn’t a silver bullet. The right to food comes first. (en anglais)
Le gouvernement fédéral pourrait offrir un soutien direct et significatif aux personnes les plus vulnérables, y compris les chômeurs ou les travailleurs précaires, en élargissant et en restructurant le crédit d’impôt pour la TPS/TVH , une mesure déjà bien établie, qui a une vaste portée et qui est facile d’accès. Son ciblage efficace garantit que les ressources parviennent à ceux qui en ont le plus besoin, et sa mise en oeuvre serait simple et adaptable.
Une prestation pour l’épicerie et les produits essentiels pourrait également offrir un soutien durable et évolutif face à la hausse du coût de la vie. En cette période d’inégalités croissantes et d’incertitude économique, il s’agit d’un investissement à long terme pour réduire l’écart de revenus et soutenir les personnes vulnérables.
Les problèmes d’abordabilité pourraient s’aggraver
Les Canadiens à faible revenu font déjà face à d’importants défis pour se nourrir, se loger, s’habiller et se procurer d’autres produits essentiels. En 2023, Les ménages appartenant au quintile de revenu le plus faible ont consacré 69 % de leur revenu disponible à l’épicerie et au logement (y compris l’eau, l’électricité et le gaz), contre seulement 21 % pour ceux du quintile le plus élevé.
De nombreux ménages à faible revenu sont endettés. En 2023, la dette moyenne du quintile inférieur atteignait 30 984 $, tandis que les ménages les plus aisés disposaient d’une épargne moyenne de 68 660 $ (figure 1).
Les tarifs douaniers américains ou la supression de la Remise canadienne sur le carbone pourraient accentuer ces pressions.
L’incertitude entourant ces tarifs a déjà eu un impact sur le dollar canadien, qui a chuté à 67 cents américains au début de février, son niveau le plus bas depuis 2003, avant de remonter à environ 71 cents.
Les économistes prévoient que ces tarifs et la faiblesse du dollar canadien alimenteront l’inflation et le chômage. Pour les ménages à faible revenu, qui consacrent déjà une part importante de leurs revenus aux produits de première nécessité, une légère augmentation des prix peut suffire à accroître leur endettement.
Perte des gains liés à la réduction des émissions de carbone
Le Parti conservateur et les favoris à la direction du Parti libéral, Chrystia Freeland et Mark Carney, ont tous promis d’abolir la taxe sur le carbone s’ils sont élus. Dans ce cas, la Remise canadienne sur le carbone serait également supprimée.
Cette perte serait particulièrement importante pour les ménages à faible revenu, qui bénéficient d’un gain financier net grâce à cette remise. Ils reçoivent le même remboursement que les autres, mais consacrent une part plus faible de leurs dépenses à des biens et services à forte empreinte carbone, comme l’essence et le chauffage.
La tarification du carbone, comme la redevance fédérale sur les combustibles, a fait l’objet d’un examen minutieux en raison de son rôle dans l’augmentation du coût de la vie. Une étude récente montre que l’impact de la tarification du carbone sur le coût de la vie a été minime, contribuant à moins de 0,5 % des hausses de prix depuis 2019, soit une fraction de la hausse de 19 % des prix à la consommation sur la même période.
Même si la redevance sur les combustibles était supprimée, les baisses de prix qui en résulteraient seraient probablement faibles, de courte durée et sont conditionnels au fait que les entreprises transfèrent les économies réalisées aux consommateurs.
Toutefois, le remboursement du carbone représenterait un gain estimé à 580 $ par année d’ici 2030 pour les ménages appartenant au quintile de revenu inférieur (20 % les plus pauvres), lorsque la taxe et le remboursement seraient à leur plus haut niveau. Cette estimation tient compte des coûts directs et indirects de la taxe (prix plus élevés à la pompe et pour l’épicerie, par exemple).
Les personnes du deuxième quintile pouvaient s’attendre à un gain moyen de 260 $ par an. Les ménages plus aisés bénéficieraient probablement modestement de l’élimination de la redevance sur les combustibles. Elles dépensent davantage pour des biens à forte empreinte carbone, dont le prix pourrait diminuer si les entreprises refilaient leurs économies aux consommateurs.
Un soutien plus efficace
Il est crucial que tout plan de relance soit ciblé et efficace. Les mesures récentes n’ont pas toujours atteint cet objectif. Par exemple, le congé de TPS, récemment terminé, a peu aidé les ménages à faible revenu tout en bénéficiant davantage aux ménages aisés.
Selon des simulations que nous avons effectuées en décembre, les ménages les plus modestes pouvaient s’attendre à économiser seulement 24 dollars (en déboursant 164 dollars de TPS au lieu de 188 dollars pendant deux mois), pour une économie de 14 %. Les ménages plus aisés devaient économiser pour leur part 130 dollars (en déboursant 583 dollars au lieu de 713 dollars) soit une réduction de 18,5 %. Ils profitaient davantage du congé en raison de leurs dépenses plus élevées.
Les données récentes sur l’inflation montrent également que l’exonération de la TPS a eu un effet limité pour alléger les pressions sur le coût de la vie.
De plus, l’exonération de la TPS couvrait des articles que le gouvernement fédéral appelait des « produits essentiels pour les Fêtes », tels que les aliments préparés, les repas au restaurant, l’alcool et les cadeaux, moins susceptibles d’être achetés par les ménages à faible revenu. Les produits de première nécessité, comme l’épicerie, sont déjà exonérés de TPS.
Plutôt que d’adopter une mesure générale inefficace, le gouvernement fédéral devrait renforcer les programmes existants, comme le crédit pour la TPS/TVH, qui repose sur le revenu et apporte une aide directe à ceux qui en ont le plus besoin. Une allocation ciblée pour l’épicerie et les besoins de base, comme celle recommandée par le Conseil d’action pour l’abordabilité , pourrait fournir un soutien plus adapté aux familles vulnérables.
Cette prestation fournirait 1 800 $ par année par adulte et 600 $ par enfant. Elle serait mensuelle, et non trimestrielle, afin d’offrir aux bénéficiaires plus de stabilité pour payer leurs factures. Les ménages qui reçoivent le remboursement de la TPS/TVH recevraient plus d’argent, mais les ménages aux revenus les plus faibles verraient la plus forte augmentation.
Les défis auxquels le Canada est confronté auront une incidence importante sur les Canadiens à faible revenu, ce qui aggravera les crises de l’abordabilité des aliments, du logement et d’autres besoins fondamentaux. Alors que les décideurs politiques envisagent des réponses aux retombées de la guerre commerciale en cours et aux pressions sur le coût de la vie, ils doivent privilégier des solutions ciblées et efficaces pour protéger les Canadiens les plus vulnérables.