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Des centaines de milliers de jeunes à l’aube de l’âge adulte à travers le pays sont sur le point de prendre l’une des décisions les plus importantes de leur vie : le choix d’une université ou d’un établissement d’enseignement supérieur pour poursuivre leurs études.

Ils s’adressent généralement à leurs parents, à leurs amis et à leurs conseillers d’orientation pour connaître la réputation des écoles et des programmes qui les intéressent. Ils consultent les sites Web pour se renseigner sur les conditions d’admission ou les services offerts sur le campus. Ils peuvent même consulter le classement des universités établi par Maclean’s.

En revanche, ils ne disposeront d’aucune information utile sur les retombées de ces programmes.

Par exemple, les futurs étudiants ne peuvent pas facilement comparer le taux d’obtention d’un diplôme des étudiants en sociologie de l’Université Saint Mary’s à Halifax avec celui de l’Université Simon Fraser à Vancouver.

Ils ne peuvent pas non plus évaluer les types d’emplois, les revenus moyens et les niveaux d’endettement des détenteurs d’un diplôme de quatre ans en informatique de l’Université de Waterloo par rapport à ceux qui ont obtenu un diplôme de deux ans en technologie informatique du Collège George Brown de Toronto ou qui ont pris part à une formation intensive de 12 semaines en développement Web de la société d’enseignement technologique Lighthouse Labs.

Ryan Craig, gestionnaire d’investissements et auteur, écrit régulièrement sur la nécessité de revoir la formule de l’enseignement supérieur traditionnel en fonction de la population active. Il décrit le choix d’un programme d’études postsecondaires comme étant fondé sur « des informations asymétriques ». Les universités et les établissements d’enseignement supérieur (et souvent les gouvernements) choisissent soit de ne pas mettre à disposition les données relatives aux résultats, soit de ne pas les collecter du tout.

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Il ne fait aucun doute que l’expérience postsecondaire ne se résume pas à l’emploi et au rendement économique. Mais les futurs étudiants, qui s’apprêtent à débourser des dizaines de milliers de dollars et à s’engager pour plusieurs années, ne devraient-ils pas être en mesure d’évaluer la valeur de leur investissement ? C’est particulièrement vrai pour les étudiants issus de ménages à faible revenu.

Ces données inconnues quant aux débouchés de l’enseignement supérieur au Canada n’est pas seulement un problème pour les étudiants. C’est un grand angle mort pour les gouvernements, qui investissent chaque année des milliards dans l’enseignement postsecondaire.

C’est également problématique pour les établissements, les employeurs et les planificateurs des systèmes de main-d’œuvre, ainsi que pour un public de plus en plus sceptique quant au rendement social et économique de l’enseignement supérieur.

Un nouveau rapport du centre Dais de l’Université métropolitaine de Toronto et du Centre de politique publique du Groupe CSA évalue la collecte de données et le suivi des débouchés de l’enseignement postsecondaire au Canada.

Le rapport relève un certain nombre de problèmes pratiques, voire des incohérences : les données relatives à l’enseignement postsecondaire sont incohérentes et souvent inaccessibles d’une province à l’autre. Il n’est pas possible d’établir des comparaisons entre les universités et les établissements d’enseignement supérieur ni entre leurs programmes. Les informations sur les résultats d’établissements et de programmes spécifiques ne sont pas disponibles.

L’absence de données sur les compétences des diplômés et leur situation professionnelle signifie que nous ne pouvons pas évaluer la manière dont les différents types d’enseignement postsecondaire répondent aux exigences du marché du travail – une lacune préoccupante dans notre économie en évolution rapide.

Le Canada peut tirer des leçons des États-Unis, de l’Australie et du Royaume-Uni. Ces pays ont tous :

  • Des réseaux nationaux et des organisations dédiées à la collecte de données sur l’enseignement postsecondaire et à la production de rapports sur les débouchés ;
  • Des données opportunes et comparables à l’échelle nationale, disponibles auprès d’organismes dédiés tels que la Higher Education Statistics Agency ;
  • Des outils de transparence pour les étudiants et les autres utilisateurs qui permettent de comparer les établissements et les programmes à l’échelle nationale, par exemple la College Scorecard des États-Unis et ComparED de l’Australie.

La recherche innovante sur la politique de l’enseignement supérieur est un sous-produit clé pour ces pays. L’exemple des États-Unis, en particulier, démontre le pouvoir de données solides dans l’analyse et le débat sur la valeur de l’enseignement supérieur et dans l’élaboration des politiques publiques.

Comment les gouvernements et les établissements d’enseignement supérieur canadiens peuvent-ils rattraper leurs homologues internationaux ? Voici quelques recommandations sur la manière d’améliorer le suivi des résultats dans l’enseignement postsecondaire national :

  • Faire d’un meilleur suivi des données et des résultats pancanadiens une priorité de la politique postsecondaire – avec l’adhésion des gouvernements et des mandats pour les organismes importants, notamment le Conseil des statistiques canadiennes de l’éducation, le Conseil de l’information sur le marché du travail et Statistique Canada.
  • Développer un moyen d’accès national et ouvert aux données sur l’éducation – par exemple, un service public responsable de la collecte, de la conservation et du partage des données brutes.
  • Utiliser les leviers de financement et de réglementation du gouvernement pour obliger les établissements d’enseignement postsecondaire à communiquer des résultats comparables.
  • Relier les données sur les débouchés de l’enseignement postsecondaire aux informations sur le marché du travail afin de comprendre comment (et si) les programmes d’éducation et les diplômes répondent à la demande des employeurs en matière de talents dans l’économie.
  • Équiper les étudiants, les travailleurs et les conseillers, tels que les parents et les professionnels de l’orientation professionnelle, pour qu’ils puissent prendre des décisions cruciales en matière d’éducation en utilisant des données pour développer des outils de navigation numériques et informer les services d’orientation « de l’apprentissage à la carrière ».

Il est vrai que la question des données insuffisantes sur l’enseignement postsecondaire au Canada n’est pas à l’ordre du jour en ce moment. Mais elle doit l’être. Les enjeux sont tout simplement trop importants pour l’avenir de l’enseignement postsecondaire au pays, pour le développement de son marché du travail et, plus important encore, pour que la prochaine génération d’étudiants soit bien traitée.

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André Côté
André Côté est directeur de recherche et dirige le programme de politique technologique sûre et responsable au sein du groupe de réflexion Dais de l’Université métropolitaine de Toronto.
Graham Dobbs
Graham Dobbs est économiste principal et mène des recherches sur les politiques au Dais, un groupe de réflexion de l’Université métropolitaine de Toronto.
Jake Hirsch-Allen
Jake Hirsch-Allen a cofondé Lighthouse Labs et dirige le développement de la main-d’œuvre pour LinkedIn.

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