À l’époque bénie où les Canadiens tenaient encore pour acquis un logement sûr, abordable et adéquat, les Premières Nations vivaient déjà une grave crise du logement. Car dans les communautés, les listes d’attente multiannuelles pour des logements insalubres, surpeuplés et inadéquats sont la norme depuis longtemps. 

Et ce problème empire. L’exode des résidents s’accélère, privant leur communauté des compétences et talents nécessaires au développement économique et social. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a révélé la tragédie de celles qui, au péril de leur vie, tentent d’échapper aux effets secondaires de conditions de logement déplorables. 

Les programmes actuels se concentrent surtout sur le logement social et les besoins essentiels, avec des unités construites sans souci de durabilité ni d’efficacité énergétique ni pour l’urgence climatique. C’est à peine si les efforts grignotent l’arriéré : 130 000 logements seront nécessaires d’ici 10 ans selon l’Assemblée des Premières Nations. 

Des solutions plus efficaces, fondées sur la responsabilité personnelle, sont néanmoins apparues, souvent sans aucun soutien gouvernemental. Il s’agit de garanties de prêts bancaires par la communauté elle-même, ou encore de mécanismes de financement entre Autochtones.  

Là où ces mesures sont établies, parfois depuis plus de deux générations, le taux d’accession à la propriété se compare à la moyenne canadienne. Mais faute d’accès au marché des capitaux, l’envergure de ces programmes n’a jamais dépassé la communauté d’origine.  

Or, c’est justement ce que propose l’initiative Yänonhchia’ (« maison longue » en huron-wendat) qui vise à accroître le financement entre Autochtones. Ce nom fait allusion à la longue histoire des Premières Nations en matière de logement durable malgré des climats et des environnements souvent extrêmes. Yänonhchia’ vise à renouer avec cette grande tradition d’autosuffisance. 

Les limites d’un succès 

Au Québec, la communauté de Kebaowek, en Abitibi-Témiscamingue, a bien de la chance. Cette collectivité anichinabée de 1200 habitants, qui jouit d’un fort taux d’emploi, a embrassé l’objectif d’accession à la propriété longtemps avant l’explosion actuelle des coûts de construction. Son chef, Lance Haymond, témoigne de la fierté de ses parents au moment de payer la dernière traite sur la maison qu’ils avaient eux-mêmes bâtie. Et cette fierté, il l’a revue sur le visage de son fils apprenant que le service du logement l’avait sélectionné pour sa future maison.  

Pourquoi une sélection ? Parce que la Loi sur les Indiens limite sévèrement les outils financiers disponibles dans les communautés autochtones. À Kebaowek, comme pour toutes les autres Premières Nations, ni la volonté, ni le revenu, ni la cote de crédit ne suffisent pour devenir propriétaire. Les banques commerciales ne financent les maisons des Autochtones que si elles sont garanties par la Première Nation. Ces nouveaux propriétaires n’ont droit à aucune des mesures d’incitation pour les premiers acquéreurs, tels l’assurance hypothécaire du gouvernement fédéral ou les nombreux plans d’épargne offerts par les institutions financières.  

Par conséquent, c’est le conseil de bande de Kebaowek qui doit garantir les hypothèques de ses membres, une obligation coûteuse qui ne touche aucune municipalité canadienne. Or cette communauté n’est pas bien riche, même si ses finances sont bonnes ; seulement trois ou quatre membres par an peuvent se prévaloir du programme. Et le passif total des garanties hypothécaires, 35 % du budget annuel de la communauté, augmente rapidement avec la hausse des coûts de construction. Ce qui compromet la capacité d’emprunt de Kebaowek pour le logement social et le développement économique. 

Si bien que les délais d’attente pour la construction d’une maison à Kebaowek – quatre ans actuellement – augmenteront spectaculairement.  

La SÉDAC et Yänonhchia’ : un nouveau paradigme 

L’autre approche – les prêts entre Autochtones – a permis à quelques communautés novatrices d’accroître leur autosuffisance en matière de logement. Wendake, en banlieue de Québec, est du nombre des pionnières qui ont mis en place un système de finance social précurseur basé sur le « crédit renouvelable ».  

Depuis 2005, la Société d’épargne autochtone du Canada (SÉDAC), basée à Wendake, a investi plus de 25 M$ de l’épargne des membres des Premières Nations dans le prêt hypothécaire. Cet OBNL conçu et dirigé par des Autochtones n’a subi aucune perte et fonctionne sans garantie hypothécaire des communautés concernées. Malgré la forte demande locale, l’organisme a commencé à étendre ses activités vers d’autres communautés en route vers l’autosuffisance immobilière. 

L’approche SÉDAC s’avère particulièrement efficace là où les banques ne prêtent jamais et où le gouvernement fédéral refuse de soutenir les prêts. Mais si la SÉDAC veut accroître son rayonnement, elle devra relever le défi de l’accès au capital. 

C’est l’idée derrière Yänonhchia’, un réseau national de financement pour le logement autochtone que la SÉDAC et plusieurs institutions financières autochtones mettent en place en collaboration avec l’Association nationale des sociétés autochtones de financement (NACCAA), la Fondation McConnell, le gouvernement fédéral, des investisseurs soucieux de réconciliation et des spécialistes des marchés en capitaux. L’objectif est d’élargir le modèle innovant de la SÉDAC à tout le Canada. 

Cette transformation importante en matière de logement autochtone constitue un changement de paradigme. En sortant les communautés de leur dépendance à l’égard des programmes publics et en offrant à leurs résidents les mêmes outils financiers dont profitent les autres Canadiens, Yänonhchia’ libérera un potentiel considérable trop longtemps négligé.   

Une solution portée par les Premières Nations 

Nous prévoyons que Yänonhchia’ réalisera plus de 7 G$ de prêts sur 20 ans et transformera profondément la manière dont on loge les Premières Nations. 

Les institutions financières autochtones participantes font partie d’un réseau national qui, depuis 30 ans, a déjà accordé plus de 3 G$ de prêts à des entreprises. Des prêts hypothécaires accordés et gérés conformément aux règles en vigueur changeraient profondément la culture du logement parmi les communautés et leurs membres. 

Notre proposition pour Yänonhchia’ prévoit une contribution initiale du gouvernement fédéral de 150 M$ auquel s’ajouterait un soutien sur dix ans afin d’assurer l’autofinancement et une exploitation adéquate. L’objectif est d’atteindre un capital total de 500 M$, le niveau requis pour accéder au marché des capitaux et assurer une croissance continue. 

Mme Wylde passe le balai devant la maison de plain-pied. La maison a un bardage de couleur claire et la fenêtre du salon a un cadre blanc et de fins volets noirs. Mme Wylde est vêtue d’un jean, d’une chemise blanche et d’un gilet noir. Elle a des cheveux bruns courts et des lunettes à monture foncée. 
Denise Wylde balaie la pelouse de la maison qu’elle possède et qu’elle a rénovée dans la communauté de Pikogan, qui fait partie de la Première Nation d’Abitibiwinni. Elle était ravie d’avoir l’occasion d’acheter cette maison parce qu’elle y a grandi et qu’elle y a logé sa famille de 11 personnes. Source : Société d’épargne des Autochtones du Canada.

Afin de résoudre la crise du logement qui les affecte, les Premières Nations peuvent, veulent et doivent faire partie de la solution.  

Certes, le gouvernement fédéral doit s’efforcer de combler le déficit immobilier avec du logement social ou d’urgence, mais nous devons nous extirper de cette gestion de crise au jour le jour.  

Pour que les communautés et le reste du Canada profitent des avantages économiques d’une activité accrue dans le domaine du logement, le gouvernement fédéral doit tout mettre en œuvre pour susciter des solutions conçues et dirigées par et pour les Premières Nations. Celles-ci doivent pouvoir proposer à leurs membres les mêmes outils et leviers que ceux dont profitent tous les Canadiens.  

C’est une affaire d’équité, mais aussi d’intérêt personnel éclairé.  

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Jean Vincent
Jean Vincent est président du conseil d'administration de la Société de crédit commercial autochtone et de la Société d'épargne des Autochtones du Canada. Il a été vice-grand chef de la Nation huronne-wendat de 2008 à 2018 et a participé à la création de l'Association nationale des sociétés de financement autochtones, dont il est président du conseil d'administration. Il est également administrateur du Fonds pour les habitations du marché des Premières nations et membre fondateur de l'Association des agents financiers autochtones du Canada, aujourd'hui l'AFOA Canada, dont il est vice-président du conseil d'administration. Il a travaillé à la Banque nationale du Canada et au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. 
Lance Haymond
Lance Haymond est un Anishinabe de Kebaowek, une communauté de la région du Témiscamingue, au Québec, où il en est à son dixième mandat à titre de chef. Il dirige le dossier du logement et des infrastructures à l'Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador et est coprésident du Comité des chefs nationaux sur le logement et les infrastructures de l'Assemblée des Premières Nations. Il a été gestionnaire des programmes de logement des Autochtones dans les réserves pour la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL). Il a récemment été nommé à la tête de l'initiative Yänonhchia. 

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