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Le visage de la population canadienne et québécoise est en train de changer, entraînant du même souffle une transformation du marché du travail. Une proportion croissante de la population est issue de l’immigration et cette tendance s’accélérera au cours des prochaines décennies. Selon les prévisions de Statistique Canada, les immigrants et leurs enfants nés au Canada représenteront près de la moitié de la population canadienne en 2041, et donc une proportion importante de travailleurs.

Si la très grande majorité des immigrants arrivés récemment font partie des minorités visibles, de plus en plus de personnes nées ici sont également issues de la diversité. Statistique Canada prévoit que les minorités visibles pourraient représenter de 38 à 43 % de toute la population canadienne en 2041.

Selon les données du Recensement de 2021, près d’un jeune Québécois de moins de 25 ans sur quatre est issu d’une minorité visible, une réalité avec laquelle le marché du travail doit désormais composer.

Si la notion de personne immigrante est claire, celle de minorité visible l’est moins. Tous les membres de minorités visibles ne sont pas des immigrants et tous les immigrants ne sont pas des membres de minorités visibles, quoique depuis quelques années, la très grande majorité des immigrants récents (73 % au Québec et 85 % dans le reste du Canada) sont membres d’une minorité visible.

Le terme minorités visibles réfère aux « personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche ». Au Canada, les Latino-Américains, Chinois, Coréens, Japonais, Philippins, Sud-Asiatiques, Asiatiques du Sud-Est et Asiatiques occidentaux de même que les Noirs et les Arabes sont considérés comme des membres de minorités visibles. Ainsi, toutes les personnes qui immigrent d’un pays d’Amérique latine sont considérées comme étant des minorités visibles, même celles qui ont la peau blanche. En 2021, au Québec, les membres de minorités visibles appartenaient essentiellement à trois groupes : les Noirs (31 %), les Arabes (21 %) et les Latino-Américains (13 %).

Des écarts importants dans le taux d’emploi

L’emploi est un important marqueur d’intégration. Plusieurs études se sont intéressées à la situation des immigrants sur le marché du travail, mais l’intégration en emploi des personnes issues de la diversité, et particulièrement des jeunes nés au Canada, est un phénomène beaucoup moins documenté.

Une étude du CIRANO comble ce vide en utilisant les données publiques tirées de l’Enquête sur la population active de Statistique Canada et du Recensement de 2021.

Les constats sont clairs : l’appartenance à une minorité visible réduit la probabilité d’occuper un emploi. Les personnes nées au Canada qui appartiennent à une minorité visible sont celles qui affichent le plus faible taux d’emploi, autant chez les 15 à 64 ans que chez les jeunes de 15 à 24 ans, comme le montre le tableau 1. Les résultats sont qualitativement les mêmes dans l’ensemble du Canada, avec des taux d’emploi généralement moins élevés qu’au Québec.

Mais ce qui est plus révélateur ce sont les écarts ajustés, soit les écarts qui persistent même lorsqu’on neutralise l’effet de caractéristiques personnelles autres que l’appartenance à une minorité visible ou le statut d’immigrant comme l’âge, le niveau d’éducation, le sexe, la fréquentation d’un établissement scolaire, le lieu de résidence et l’état matrimonial.

Au Québec, les immigrants qui ne sont pas membres d’une minorité visible ont des taux d’emploi inférieurs de 5 points de pourcentage par rapport au groupe de référence, toutes choses égales par ailleurs. Cet écart est encore plus grand pour les immigrants qui appartiennent à une minorité visible, avec des taux d’emploi inférieurs de 9,4 points de pourcentage.

Chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans, les écarts ajustés sont tous plus importants que pour l’ensemble des 15 à 64 ans, et ce, même si on contrôle pour les différences dans plusieurs caractéristiques personnelles incluant la fréquentation d’un établissement d’enseignement. Ainsi, même s’ils sont nés au Canada, qu’ils ont une bonne maîtrise du français ou de l’anglais, et même s’ils ont été scolarisés ici, les jeunes d’une minorité visible semblent peiner à se tailler une place sur le marché du travail.

Les minorités visibles ne sont pas rémunérées à leur juste valeur

Nous avons aussi examiné les écarts de salaire annuel, autant les écarts effectivement observés que les écarts ajustés, c’est-à-dire les écarts qui persistent même lorsqu’on neutralise l’effet de plusieurs déterminants du salaire annuel autres que l’appartenance à une minorité visible ou le statut d’immigrant.

Comme le montre le tableau 2, les écarts ajustés sont très différents des écarts observés, ce qui traduit bien le fait que les quatre groupes ne présentent pas les mêmes caractéristiques.

Dans le cas des natifs appartenant à une minorité visible, l’écart par rapport au groupe de référence passe de 26,9 % (écart observé) à 9 % (écart ajusté). L’écart de 26,9 % signifie qu’à la base, les natifs appartenant à une minorité visible ont des caractéristiques qui ne les favorisent pas sur le plan de la rémunération comparativement aux natifs qui ne sont pas des minorités visibles. L’écart de 9 % après ajustement pose problème et témoigne de difficultés d’intégration pour les minorités visibles, même si elles sont nées au Canada.

Pour ce qui est des immigrants membres d’une minorité visible, les écarts de salaire par rapport au groupe de référence se creusent, après ajustement, pour atteindre près de 24 %, autant au Québec qu’au Canada. C’est dire que ces immigrants ont des atouts qui leur permettraient de gagner un meilleur salaire que le groupe de référence, mais dans les faits, ils gagnent moins.

Le cas des immigrants qui n’appartiennent pas à une minorité visible est particulier puisqu’on passe d’un écart observé positif à un écart ajusté négatif. À la surface, ils sont mieux rémunérés que les natifs qui n’appartiennent pas à une minorité visible. Cependant, après ajustement et donc à caractéristiques égales, les immigrants qui n’appartiennent pas à une minorité visible gagnaient en moyenne 15,8 % de moins que les natifs qui n’appartiennent pas à une minorité visible.

Ces constats méritent qu’on pousse plus loin les analyses pour vérifier si les expériences vécues par ces personnes découlent de discriminations ou d’autres facteurs non observables qu’il convient de révéler.

Agir aujourd’hui pour inclure les travailleurs de demain

De plus en plus de nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi seront des membres d’une minorité visible. La situation des jeunes Canadiens de naissance issus des minorités visibles mérite une attention particulière pour éviter leur exclusion socioéconomique et les conséquences qu’elle pourrait avoir sur la cohésion sociale.

Dans un contexte où le Québec et le reste du Canada comptent sur l’immigration pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre, la logique voudrait qu’on réalise d’abord le plein potentiel de ceux qui se trouvent déjà sur place. L’intégration des Canadiens de naissance issus de groupes ethnoculturels minoritaires, et en particulier les jeunes, au milieu du travail doit figurer parmi les priorités des décideurs politiques, pour éviter que les difficultés d’intégration ne se transmettent d’une génération à l’autre. Sinon, une partie croissante de la population risque de se retrouver en marge de la société.

Les gouvernements, le monde des affaires et tous les acteurs concernés doivent travailler ensemble à cet effet pour éliminer de manière permanente les obstacles qui se dressent devant l’intégration économique de ces jeunes et qui les empêchent de contribuer pleinement au développement de leur société.

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Brahim Boudarbat
Brahim Boudarbat est professeur titulaire à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal et fellow au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO). Il a publié plusieurs études sur l’intégration des immigrants, les inégalités de revenu, les choix de carrière et les conditions de travail des Canadiens.  
Idossou Marius Adom
Idossou Marius Adom est économiste au Fonds monétaire international.

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